Plantons plus d’arbres ! C’est la clé de voûte de la réponse européenne face au changement climatique. Une nouvelle étude, parue dans la revue spécialisée Nature Geoscience suggère de reboiser tous les territoires européens qui peuvent l’être. Cela offrirait non seulement une meilleure séquestration du carbone, mais pourrait aussi aider à combattre les étés toujours plus secs prévus en Europe par les modèles climatiques. Au total, un reboisement de masse permettrait d’augmenter les précipitations estivales moyennes de 7,6 %.
« Une action de reboisement, si elle est bien planifiée, pourrait donner des résultats positifs dans les régions où elle est entreprise », explique Ronny Meier, chercheur à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ), en Suisse, et premier auteur de l’étude. Les scientifiques ont depuis longtemps identifié une relation entre les forêts et les niveaux de précipitations : dans les années 1850, des chercheurs se sont alarmés de la diminution du niveau des précipitations à la suite de la déforestation. Le fonctionnement exact de cette relation n’est toutefois pas encore très clair. R. Meier et ses collègues ont collecté des données provenant de 3 481 stations pluviométriques à travers l’Europe afin de construire un modèle statistique qui lie forêts et niveaux de précipitations. L’équipe a par la suite utilisé ce modèle pour prédire les changements qui s’opèreraient si le couvert forestier augmentait.
Les chercheurs se sont également appuyés sur la Global Reforestation Potential Map [carte du potentiel de reboisement dans le monde], établie lors d’une étude précédente explorant des solutions naturelles au réchauffement climatique.
« [La carte] identifie d’abord les terres qui étaient auparavant boisées mais qui ne le sont actuellement pas ou peu. Ensuite, elle exclut les terres agricoles (il faut bien manger !), les prairies naturelles, afin de préserver la biodiversité, et enfin les zones nécessaires à la mise en place d’autres solutions naturelles au changement climatique », explique Susan Cook-Patton, spécialiste senior des forêts à The Nature Conservancy, qui n’a participé à aucune des deux études.
Les zones restantes sont considérées par les chercheurs comme zones maximales de reboisement possible permettant de maintenir la sécurité alimentaire et la biodiversité. S. Cook-Patton souligne cependant que, dans la pratique, la surface que les personnes pourront et voudront consacrer à ce projet sera probablement bien moindre.
D’après la carte, 14,4 % des terres européennes sont adaptés à un reboisement, avec une concentration notable au Royaume-Uni, au Portugal, en Italie, dans l’Ouest et le Sud de la France et en Europe de l’Est. En 2015, 38 % du territoire européen étaient boisés, et bien que le couvert forestier ait connu une augmentation constante ces 20 dernières années, reboiser toutes les surfaces qui peuvent l’être constitue une tâche colossale. En comparaison, la Commission européenne s’est récemment engagée à planter 3 milliards d’arbres d’ici 2030 afin de combattre le réchauffement climatique, étendant le couvert forestier de 3 millions d’hectares. Cela ne représente que 0,7 % du territoire européen, soit l’équivalent de la Belgique.
Le climat, un système complexe
Prédire la météo est une affaire délicate. Si les modèles de prévision du réchauffement climatique tendent à s’accorder sur la magnitude et le rythme de la hausse des températures à travers l’Europe, l’impact sur les précipitations demeure flou. Le consensus est que les niveaux moyens de précipitation augmenteront en Europe du Nord et diminueront au Sud, avec moins de précipitations en été et plus en hiver.
« Les précipitations sont un paramètre [complexe], » déclare Daniela Jacob, directrice du Climate Service Center Germany, un institut de recherche allemand. « Il est difficile de trouver des signaux clairs dans les études de modélisation et d’observation. »
L’un des défis pour Ronny Meier et son équipe était de comprendre l’interaction bilatérale entre forêts et précipitations. Au contraire des terres agricoles « lisses », la plus grande « rugosité » des forêts provoque des turbulences dans les colonnes d’air au-dessus de la canopée. Cela peut ralentir le mouvement des nuages lourds, entraînant des précipitations en aval des forêts. En outre, les peuplements forestiers transpirent plus que les cultures, ce qui pourrait également provoquer une augmentation des précipitations dans les territoires environnants. Il faut cependant noter que les forêts sont plus susceptibles de pousser dans des zones enregistrant plus de précipitations en raison de facteurs tiers tels que la topographie. L’équipe a ainsi dû veiller à ne pas attribuer la totalité des précipitations aux forêts, alors que celles-ci pourraient, au contraire, pousser à cause des précipitations générées par d’autres facteurs.
Bien qu’une hausse des précipitations estivales serait bénéfique à plusieurs égards, R. Meier prévient que cela pourrait également produire des effets négatifs. Par exemple, les scientifiques ayant confirmé un lien entre températures élevées et fortes averses, plus de précipitations augmenteraient le risque de crue soudaine. De plus, des pluies plus importantes à un endroit pourraient signifier une disponibilité de l’eau moindre et donc des précipitations réduites ailleurs. « Il faut, en plus de cette étude basée sur des méthodes statistiques, étudier plus en profondeur les processus physiques derrière ces résultats, » a déclaré D. Jacob, qui n’a pas participé à l’étude la plus récente.
Les modèles physiques, contrairement aux modèles statistiques, prennent en compte l’interaction complexe entre les différents facteurs météorologiques. Ces modèles sont d’une grande importance dans la prévision des changements météorologiques tels que l’augmentation rapide des températures causée par le réchauffement climatique. L’étude menée par R. Meier s’ajoute aux connaissances qui alimentent les prédictions climatiques et les rendent plus précises, notamment en soulignant les bénéfices potentiels du reboisement autres que la séquestration du carbone.
Bien que planter des arbres présente de nombreux avantages, Ronny Meier, Daniela Jacob et Susan Cook-Patton pointent tous trois le même problème : « Planter des arbres ne suffira pas à diminuer les émissions de gaz à effets de serre produites actuellement par l’Homme. Pour vraiment faire face à ce problème, nous devons commencer par réduire nos émissions de carbone, et vite, » conclut-il.
Jim Tan, Mongabay
Références :
Meier, R., Schwaab, J., Seneviratne, S. I., Sprenger, M., Lewis, E., & Davin, E. L. (2021). Empirical estimate of forestation-induced precipitation changes in Europe. Nature Geoscience, 14(7), 473-478. doi:10.1038/s41561-021-00773-6
Bennett, B. M., & Barton, G. A. (2018). The enduring link between forest cover and rainfall: A historical perspective on science and policy discussions. Forest Ecosystems, 5(1). doi:10.1186/s40663-017-0124-9
Griscom, B. W., Adams, J., Ellis, P. W., Houghton, R. A., Lomax, G., Miteva, D. A., … Fargione, J. (2017). Natural climate solutions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 114(44), 11645-11650. doi:10.1073/pnas.1710465114
Cet article de Mongabay est publié ici dans le cadre de Covering Climate Now, une collaboration journalistique mondiale visant à renforcer la couverture de la crise climatique, dont UP’ Magazine est membre.