La mémoire du futur, un rôle majeur dans la prise de décision…
Dans le langage courant, la mémoire fait référence au passé. Or elle n’est pas destinée qu’au rappel du passé, elle est aussi utilisée afin d’imaginer le futur. Nous nous projetons dans le futur grâce à notre mémoire. Aller chercher les enfants à l’école, planifier les vacances, sont des tâches qui nécessitent l’utilisation d’une mémoire du futur. Pour aller chercher les enfants à l’école, je dois calculer à quel moment arrêter mon travail et m’en souvenir au moment opportun. Pour planifier les vacances, il convient que j’organise à l’avance toutes sortes de tâches…. Dans le cerveau, la mémoire du passé et la mémoire du futur partagent les mêmes zones. Cela n’est pas dû au hasard, mais au fait que ce qui sert à imaginer le futur vient du passé.
La mémoire du futur, une ressource mal connue
Les scénarios que nous élaborons s’inspirent d’épisodes vécus et des informations que nous avons assimilées. Les représentations du futur sont construites en utilisant des traces mnésiques, reconfigurées et enrichies de quelques nouvelles informations. Les génies créatifs sont plus doués que les autres pour trouver de nouveaux agencements ; ils savent induire des suppositions. Les films de science-fiction exploitent au maximum cette compétence cérébrale. L’imagination consiste à combiner des connaissances passées de façon originale, tout en extrapolant d’éventuelles découvertes. La projection d’un élément dans un nouveau contexte, associée à des connaissances venues d’autres domaines, complétée par les apports des nouvelles technologies et, pour les plus créatifs, des pistes de découvertes récentes, permet toutes sortes d’inventions. Si la créativité est à l’ordre du jour dans les organisations, le travail d’enrichissement de la mémoire du futur est largement sous-estimé.
Une compétence qui devient stratégique pour la prise de décision
Si certains sont capables d’agencements innovants, la plupart des personnes privilégient une représentation mentale des choses qu’elles connaissent bien. Soucieux de sécurité et de maîtrise du risque, elles n’ont pas appris à valoriser le raisonnement prospectif. Bien que la nouveauté soit une préoccupation (au moins marketing et financière) depuis de nombreuses années, les innovations par « rupture » restent marginales. Si certains marchés ont été déjà révolutionnés, le phénomène se généralise. Or pour prendre une décision, le cerveau fait des hypothèses à partir de résultats probables, encore faut-il lui donner « du grain à moudre » pour qu’il puisse enrichir ses suppositions.
Dans ce contexte, Daniel Kahneman, spécialiste de psychologie cognitive et d’économie comportementale (prix Nobel d’économie 2002) a démontré à quel point nous pouvions nous illusionner sur nos motivations inconscientes et sur nos possibilités à prendre en compte des éléments statistiques. Sous l’influence de routines cognitives très puissantes, et de toutes sortes d’automatiques encore mystérieux (dont les émotions, le circuit de la récompense…), les décisions ne sont pas aussi objectives que nous le croyons. À partir de ce constat, la décision par disruption est un sport cognitif et émotionnel particulièrement exigeant.
Apprendre l’intelligence exécutive et se doter d’une nouvelle ressource
Au cours de la vie, la plupart d’entre nous apprend que ce qui est prévisible est plus facile à vivre que ce qui ne l’est pas. L’inconnu est plus exigeant au plan émotionnel et cognitif. S’exercer à aborder la nouveauté demande des apprentissages. Le besoin de sécurité, légitime pour tout être humain, peut trouver des appuis dans de nouvelles compétences cognitives et émotionnelles. Dans tous les cas, avoir des repères pour explorer de nouveaux territoires s’avère une aide précieuse. Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université Paris-Descartes, directeur du laboratoire LaPsyDE (CNRS) de la Sorbonne… milite pour l’apprentissage de l’intelligence exécutive, dans les écoles…et ailleurs. Cette condition est nécessaire au développement d’une capacité cognitive adaptée à la remise en cause des automatismes.
L’enseignement a privilégié les raisonnements logico-mathématiques sur des filières scientifiques, créant l’illusion d’une compétence globale. Or nos capacités cognitives sont plus diversifiées, encore faut-il y accéder et savoir les mettre en interaction. Comprendre nos limites et nos potentiels permet d’élaborer de nouveaux outils afin de mieux savoir diversifier nos points de vue et nos modes de raisonnement. Apprendre à ne pas se soumettre à nos automatismes cérébraux cognitifs est un pas essentiel pour la mise en œuvre de nouvelles opportunités et de nouvelles solutions dans un monde qui est en train de nous conduire vers des rivages inconnus.
Bibliographie
• Daniel KAHNEMAN, Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion 2012
• Olivier HOUDE, Le raisonnement, PUF, 2014
• Alain BERTHOZ, La décision, Odile JACOB, 2003
• H. GARDNER, les formes de l’intelligence, Odile Jacob, 1997