Cette étude publiée par Santé publique France a retentit comme un avertissement. Les Français en général et plus particulièrement les enfants ont leur organisme imprégné de polluants. Parabènes, phtalates, bisphénols, composés perfluorés… sans compter toutes sortes de nanoparticules, se sont immiscées dans notre vie quotidienne et nous contaminent dangereusement. Quels sont les risques ? Faut-il interdire ces substances utilisées abondamment par l’industrie pour fabriquer nos produits les plus courants ?
Santé publique France a publié ce 3 septembre les résultats de sa vaste enquête de biosurveillance. Entre 2014 et 2016 soixante-dix substances ont été traquées sur un échantillon de la population française (1 104 enfants et 2 503 adultes). Les participants à cette enquête ont accepté des prélèvements d’urine, de sérum et de cheveux et ont répondu à un vaste questionnaire sur leurs habitudes de vie et de consommation. Objectif de cette enquête minutieuse : identifier à quel point et comment les membres de ce panel était exposés à ces polluants.
Les résultats sont particulièrement inquiétants car bisphénols, phtalates, parabens, éthers de glycol, retardateurs de flamme bromés, composés perfluorés, sans oublier toutes les nanoparticules ou nanoadditifs sont autant de substances omniprésentes dans les objets de notre vie quotidienne. Ce sont souvent des perturbateurs endocriniens ou des cancérigènes suspectés si ce n’est, pour une large part d’entre eux, avérés. Ces composants « sont présents dans l’organisme de tous les Français » conclue froidement l’enquête. Nous sommes tous porteurs de ces substances capables d’interférer avec le système hormonal et impliquées dans une large palette de troubles et de pathologies allant de l’obésité à la baisse du quotient intellectuel en passant par les cancers du système reproducteur. Mais, circonstance aggravante, on en retrouve à des niveaux encore plus élevés chez les enfants. Ceux-ci auraient davantage de contacts cutanés avec les produits du quotidien (jouets, peintures, vernis, etc.) qu’ils portent à leur bouche ou dont ils s’imprègnent par contact.
Car l’alimentation n’est pas la seule source d’exposition à ces substances. Les produits cosmétiques, d’entretien, les produits de soins et d’hygiène augmentent les niveaux d’imprégnation tout comme les poussières domestiques dont les enfants, souvent à quatre pattes sur le sol, s’imprègnent abondamment, malgré toute l’attention de leurs parents.
Des sources de contaminations multiples
- Les bisphénols
Ces substances entrent dans la fabrication de certains plastiques très répandus. On les trouve dans des emballages alimentaires (intérieur des boîtes de conserve, film étirable…), des peintures ou encore des équipements électriques (bouilloires…), mais aussi des tubulures médicales ou des résines utilisées pour les soins dentaires. « Les bisphénols A, S et F ont été détectés dans la quasi-totalité des échantillons », indique Santé publique France, avec par exemple une moyenne de 2,69 microgrammes par gramme de créatinine chez les 900 adultes testés. Les concentrations sont plus élevées chez les personnes consommant des aliments pré-emballés ou aérant moins régulièrement leur logement, constate l’organisme public.
Le bisphénol A (BPA) est défini comme perturbateur endocrinien par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et classé comme « substance extrêmement préoccupante » par l’Agence européenne des substances chimiques (ECHA) du fait de son effet « présumé toxique pour la reproduction ». Il est aussi suspecté d’être associé à d’autres maladies (diabète, cancer, maladies cardiovasculaires, etc.) Les bisphénols S et F sont utilisés comme alternatives au bisphénol A depuis l’interdiction de ce dernier dans les biberons en 2011 puis dans l’ensemble des emballages alimentaires en France, en 2015. Pourtant, « certaines études montrent qu’ils jouent un rôle de perturbateur endocrinien similaire au BPA », souligne Santé publique France.
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- Les phtalates
Ces substances sont aussi présentes dans des emballages alimentaires, mais également des jouets, les sols en vinyle, des produits cosmétiques et ménagers, etc. Sur neuf molécules appartenant à cette famille, les résidus de six d’entre eux ont été retrouvés dans 50% à 99% des échantillons, ce qui montre qu’ils « continuent d’être omniprésents » dans notre environnement malgré les « restrictions d’usage » de certains d’entre eux.
« Les phtalates sont considérés comme des perturbateurs endocriniens », souligne Santé publique France, avec des effets suspectés sur le système reproducteur masculin et sur la fonction thyroïdienne, ainsi qu’un risque de développement perturbé en cas d’exposition prénatale. « L’alimentation participerait à 90% de l’exposition totale » précise l’étude.
- Les parabènes
Ces produits servent de conservateurs dans des cosmétiques (maquillage, crèmes, produits capillaires…), des lingettes, et, pour certains, dans des médicaments et en additifs alimentaires (confiseries, viandes transformées, édulcorants…). Au sein de cette famille de produits, plus la molécule est « longue » plus ses propriétés antibactériennes sont élevées, mais plus elle est nocive.
Le méthyl-parabène a été détecté « chez plus de 90% des adultes et des enfants », devant le propyl-parabène et l’étyhl-parabène, retrouvés dans la moitié des échantillons. Les autres molécules de cette famille étaient rarement présentes. L’imprégnation observée « augmentait avec l’âge, la fréquence d’utilisation de crèmes ou de soins pour le corps et avec l’utilisation de cosmétiques ou de vernis à ongles ».
La concentration des parabènes autorisés dans les cosmétiques est limitée par la réglementation européenne, mais « les effets sur la santé des expositions à de faibles concentrations en parabènes ne sont pas connus », souligne Santé publique France.
- Les éthers de glycol
Ces solvants entrent dans la composition de peintures, vernis, colles, produits ménagers, cosmétiques et phytosanitaires. Ils sont suspectés d’entraîner des effets toxiques sur la reproduction et le développement (diminution de la fertilité masculine, augmentation du risque d’avortements spontanés, malformations fœtales) et d’être toxiques pour le sang.
« L’ensemble de la population (adulte et enfant) était exposé » à au moins un des huit résidus recherchés, avec un niveau d’imprégnation associé avec l’utilisation de cosmétiques et de produits ménagers.
- Les retardateurs de flamme bromés (RFB)
Ces produits très persistants dans l’environnement sont incorporés, de façon réglementée, pour ralentir l’inflammation des matières combustibles dans de nombreux biens de consommation : appareils électroniques (téléviseurs, ordinateurs), textiles (vêtements, rideaux), voitures (sièges, plastiques), meubles (mousses, capitonnages) matériaux de construction (résines, câbles) … Seules certaines formes ont été retrouvées par Santé publique France avec, comme facteurs associés à une concentration élevée, le temps passé en voiture et l’aération des logements.
« Peu d’études permettent d’estimer l’impact sanitaire d’une exposition aux RFB » mais quelques-unes mettent en évidence des risques pour le système nerveux, la reproduction et la fonction thyroïdienne notamment.
- Les composés perfluorés
Cette famille de produits a de nombreuses applications : traitements antitaches et imperméabilisants, enduits résistants aux matières grasses (emballages alimentaires), revêtements antiadhésifs, cosmétiques, produits phytosanitaires (pesticides et insecticides) … Sur 17 composés recherchés, sept ont été retrouvés chez plus de 40% des adultes (et six chez plus de 40% des enfants). Deux de ces substances, le PFOA et le PFOS étaient présents chez 100% des participants.La consommation de produits de la mer, de légumes et les travaux manuels et de bricolage favorisent une imprégnation élevée.
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« Leur persistance dans l’environnement » et leur toxicité suspectée (cancérogénicité, perturbateur endocrinien, immuno-toxicité, métabolisme lipidique ou de la thyroïde…) en font des substances à surveiller » déclare l’organisme de biosurveillance.
Un plan national sur les perturbateurs endocriniens
Ces résultats constituent le premier volet d’une grande étude de biosurveillance menée par Santé publique France, qui seront suivis de deux autres volets sur les métaux et les pesticides. « L’intérêt c’est que c’est la première photographie du niveau de concentration de ces polluants dans la population française », a déclaré sur franceinfo Sébastien Denis, directeur santé-environnement-travail à Santé publique France.
Cette publication intervient à l’occasion de la présentation par la ministre de l’Écologie Elisabeth Borne et la ministre de la Santé Agnès Buzyn de la nouvelle « stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens » (SNPE). Elle vise à renforcer l’information et la protection de la population, ainsi que les connaissances scientifiques sur ces produits. C’est dans cet esprit qu’a été mis en ligne, ce 3 septembre, le site Agir pour bébé qui a pour mission de donner des conseils très pratiques aux jeunes parents afin de limiter l’exposition aux produits chimiques pendant la grossesse et après la naissance.
L’Agence de sécurité sanitaire (Anses) devra notamment établir une liste de perturbateurs endocriniens, en expertisant au moins six substances en 2020, puis neuf par an à partir de 2021. Les informations sur la présence de perturbateurs dans les produits de consommation courante seront disponibles pour le grand public sur un site sur les produits chimiques, qui doit être lancé avant la fin de l’année.
- LIRE DANS UP : Perturbateurs endocriniens : la liste du gouvernement pour mieux informer la population
Cette liste doit permettre d’informer non seulement le public mais aussi les industriels, afin que ceux-ci soient en mesure d’anticiper les substitutions qui s’avèreront nécessaires. La liste sera toutefois loin d’être exhaustive. « Il est hors de portée d’analyser toutes les substances », confie à l’AFP Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques à l’Anses, qui souligne la complexité scientifique et l’incertitude liée aux perturbateurs endocriniens.
Le gouvernement souhaite porter devant la Commission européenne la révision de la réglementation, en priorité les règlements sur les cosmétiques et sur les jouets. L’objectif est de « définir rapidement et de façon cohérente les perturbateurs endocriniens dans toutes les législations européennes concernées afin d’assurer un niveau de protection approprié pour tous les modes et voies d’exposition », précise le plan d’action.
Des mesures jugées insuffisantes au regard du risque de santé publique que représente la dissémination de ces substances toxiques. L’ONG Générations futures réclame ainsi un « plan d’urgence » et la mise en place de mesures visant à « la disparition rapide des substances pointées par Santé publique France de notre environnement ». Selon l’organisation, il s’agit là d’une « priorité de santé publique absolue ».
Avec AFP
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