Depuis le début de la crise sanitaire, il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle déconcertante, inquiétante ou contradictoire n’apparaisse dans le flux des informations. Les dernières annonces gouvernementales sur le confinement qui n’en est pas un, sur les doutes sur le vaccin AstraZeneca, sur les paris ratés du président de la République, sur les variants, sur l’explosion des contaminations et la saturation des hôpitaux ne sont pas seulement aptes à saper le moral de la population ; elles sont gravement délétères car elle impactent la santé mentale d’un nombre de plus en plus important de Français, toutes classes confondues, des plus jeunes aux plus âgés, des salariés aux cadres, des retraités aux étudiants. Les enquêtes se succèdent pour révéler que le taux de dépressions, parfois sévères, chez les Français est en train de littéralement exploser.
Le taux de dépressions, notamment sévères, parmi les salariés a explosé en France, un an après le début de la crise sanitaire et le premier confinement, selon une enquête publiée ce 23 mars. Si la détresse psychologique des salariés français reste importante et touche 45% d’entre eux, dont 20% de détresse psychologique élevée, « le taux de dépression nécessitant un accompagnement chez les salariés » explose. Il passe à 36% (+15 points par rapport à décembre 2020) tandis que « le nombre de dépressions sévères a doublé en un an », atteignant 21% en mars 2021, a précisé à l’AFP Christophe Nguyen, à la tête du cabinet franco-québécois Empreinte Humaine, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux (burn-out, dépressions, suicides…). Il présentait ce 23 mars la sixième vague depuis le début de la crise du « baromètre de la santé psychologique des salariés français en période de crise », réalisé par OpinionWay.
La détresse psychologique est l’antichambre de troubles mentaux plus sévères
« La détresse psychologique (indicateur de santé mentale utilisé pour diagnostiquer les troubles mentaux, NDLR) c’est l’antichambre de troubles mentaux plus sévères dont la dépression, et on voit que les gens sombrent », a-t-il ajouté, indiquant que « 63% des salariés déclarent voir de plus en plus de collègues en détresse psychologique ». « La détresse s’exprime aussi par des comportements d’hostilité, d’agressivité, ça ne va pas bien du tout et ça devient une crise au travail », analyse M. Nguyen. « On paie cash le manque de prévention de la santé mentale en population générale et dans les entreprises », ajoute-t-il, en comparant la France au Québec « où il y avait entre 7 et 9% de détresse psychologique fin 2020 ».
Les populations « les plus à risques » restent les moins de 29 ans, dont 62% sont en détresse psychologique avec un risque de dépression accru pour près de quatre sur dix. Les femmes sont également très touchées avec 53% d’entre elles en détresse psychologique contre 38% pour les hommes.
Les managers, dont 48% sont en situation de détresse psychologique, sont plus touchés que les non-managers (44%). Facteur aggravant pour les premiers, 60% d’entre eux ne se permettent pas de parler de leurs difficultés avant de traiter celles de leurs collaborateurs et 4 sur 10 se sentent isolés en tant que manager, selon le baromètre, réalisé du 1er au 12 mars auprès d’un échantillon de 2.004 salariés représentatif, selon la méthode des quotas.
En février dernier, interrogés par Santé publique France dans le cadre de l’enquête CoviPrev, 22,7% des Français affirmaient se sentir dépressifs et anxieux. C’est pire que durant les premier et deuxième confinement. Pour le sociologue de la santé Xavier Briffault, interrogé par le HuffPost, ce bilan s’explique en partie par le tiraillement qu’impose la situation actuelle, entre les nouvelles restrictions et une vaccination porteuse d’espoirs mais au démarrage trop lent. « L’incertitude et l’incohérence sont pathogènes, ce sont des facteurs environnementaux qui dégradent la santé mentale », explique-t-il.
« Les ordres se contredisent de plus en plus fréquemment. En psychiatrie, on connait bien les effets des injonctions contradictoires. Lorsqu’un patient reçoit un ordre puis son contraire à quelques minutes d’intervalle, il devient fou », souligne Serge Hefez, psychiatre parisien. À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, ses consultations explosent. Ses patients, enfants et adolescents, évoquent systématiquement les incohérences de la crise sanitaire, lorsqu’ils arrivent à se confier.
Les psychiatres s’inquiètent de voir apparaître de plus en plus de patients atones. « Mes patients et même certaines personnes de mon entourage sont sidérés, au sens clinique du terme. Ils ne parlent plus, ne désirent plus. Ce sont des personnes figées », raconte Serge Hefez.
Incapables d’envisager clairement leur avenir, de comprendre l’environnement créé par la pandémie, de saisir la cohérence des mesures qu’on leur demande de respecter, de nombreux Français ont le sentiment que le sol se dérobe sous eux et que les fondements de leur santé mentale se délitent.
Les enfants ne sont pas épargnés
Les enfants ne sont pas épargnés par les effets de la pandémie de Covid-19. Plusieurs publications scientifiques attestent de conséquences sévères chez les enfants et adolescents, y compris chez les petits de moins de 6 ans. Ils apparaissent même plus vulnérables au stress de la crise que les adultes.
« Il y a un consensus scientifique fort sur l’existence d’une majoration des symptômes d’anxiété, de dépression, d’irritabilité, de troubles alimentaires chez les enfants et les adolescents (de 30 % à 60 % selon les études et les âges) » déclare dans un entretien au Monde la professeure Christèle Gras-Le Guen, pédiatre et chercheuse en épidémiologie, chef des urgences pédiatriques et du service de pédiatrie générale du CHU de Nantes. Elle préside aussi la Société française de pédiatrie et rapporte une étude canadienne récente qui montre que « cela touche aussi les petits de 2 à 5 ans ». Elle observe dans ses consultations qu’un tiers des parents rapportent plus de difficultés émotionnelles chez leurs enfants, sous la forme d’une plus grande agitation, de colères ou de difficultés de sommeil plus fréquentes.
La pédopsychiatre s’inquiète d’une étude japonaise publiée dans Nature constatant une hausse du taux mensuel de suicides pendant la deuxième vague de l’épidémie, alors qu’il y avait eu une baisse pendant la première. C’est dans la population des enfants et des adolescents que la hausse est la plus importante (+ 49 %), devant celle des femmes (+ 37 %). « Ces données et d’autres montrent bien que cette crise exacerbe les fragilités dans les catégories les plus vulnérables » fait-elle valoir.
Désormais, le gouvernement veut mettre en place sur ce sujet sensible un plan de travail affiné : faire le point sur les dispositifs qui sont déjà en place et regarder ce qu’il faut renforcer. Olivier Véran, le ministre de la Santé, propose notamment des formations aux premiers secours en santé mentale, en entreprise et à l’université. Une mesure nécessaire mais insuffisante tant la crise est profonde. Les capacités hospitalières en psychiatrie et pédopsychiatrie sont déjà saturées laissant présager des tensions difficiles dans les semaines et mois à venir. Quant aux médecins généralistes, en première ligne, ils observent que les demandes de consultation pour stress, troubles anxieux ou dépressifs ont augmenté de 50 % depuis le début de la pandémie.
Que recouvre le terme « détresse psychologique », les variations de % paressent tellement élevés!