Tanaka Shozo – Un bœuf dans la tempête, de Kenneth Strong – Editions Wildproject / Collection de poche « Petite bibliothèque d’écologie populaire », 7 février 2024 – 448 pages
L’un des premiers lanceurs d’alerte de l’histoire de l’écologie.
Dans une époque de violente modernisation, où l’État japonais de l’ère Meiji sacrifie les populations au développement industriel, un paysan épris de justice et de vérité sacrifie tout intérêt personnel pour entrer en politique comme on entre en religion. « Tanaka Shozo s’est engagé en faveur des victimes de la pollution au cuivre des mines d’Ashio ; et ce combat en faveur de la justice sociale devient le combat de sa vie. Il est un modèle au Japon pour tous les militants prêts à s’engager en faveur de la cause des droits de l’homme et de l’environnement » explique Pierre-François Souyri, Professeur d’histoire du Japon à l’université de Genève (2012).
Face à l’une des plus anciennes catastrophes industrielles, Tanaka Shozo (1841–1913) consacre sa vie à la lutte non violente. Défenseur de la terre et du peuple, il finit sa vie comme un saint – dans un syncrétisme bouddhiste, confucéen et chrétien.
En tant que fils de paysan, rien ne prédisposait Tanaka Shozo à devenir cette immense figure de la lutte contre la destruction de la nature. « Ancré dans la société traditionnelle et son code moral, il s’est cependant rebellé toute sa vie contre certaines de ses caractéristiques […]. » Malgré cinq séjours en prison pour avoir notamment osé participer à un mouvement réformateur dans son village, puis condamné plusieurs années plus tard pour complot d’assassinat d’un de ses supérieurs hiérarchiques, … il devint député à l’assemblée départementale de Tochigi et, ensuite, député aux premières élections de l’histoire du Japon pour la Chambre des Représentants, à la Diète. Poste auquel il fut réélu à six reprises. A la Diète, il souleva surtout le problème de la pollution par les mines de cuivre d’Ashio, dont il réclama sans relâche la fermeture définitive. Une lutte qu’il poursuivra également à la tête du mouvement d’opposition au projet gouvernemental d’inonder le village de Yanaka pour en faire des réservoirs d’eau naturels afin de diluer la pollution d’Ashio. Il se battit jusqu’à la fin de sa vie contre la destruction du village. Epuisé par une vie d’engagements, il décéda le 4 septembre 1913. Plus de cinquante mille paysans participèrent à ses obsèques.
Il laissa pour toute possession en ce monde un havresac, une liste de personnes intéressées par la défense des rivières, un Nouveau Testament, un exemplaire de la constitution japonaise, trois carnets de notes et quelques pierres. Quasiment oublié pendant des décennies, il fut redécouvert au Japon dans les années 1970, au moment de l’essor de la conscience écologique dans le pays.
Ce député en guenilles, vivant dans une auberge de jeunesse de Tokyo, a ouvert avec un demi-siècle d’avance l’ère des combats écologistes.
« Une vraie civilisation ne ravage pas les montagnes, ne ravage pas les rivières, ne détruit pas les villages, ne tue pas les hommes. » disait Tanaka Shozo.
Le livre de Kenneth Strong raconte méticuleusement la vie et la carrière de Shozo, émaillées de combats pour la liberté et les droits du peuple et précurseur du mouvement écologiste japonais à la fin du XIXe siècle. Une biographie, illustrée de nombreuses photos, qui nous fait découvrir le « portrait d’un homme dont la vie extérieure trépidante était contrebalancée par une imperturbable sérénité intérieure ».
Né en 1925, Kenneth Strong a étudié la littérature et le japonais à Oxford et à Londres. Professeur de littérature anglaise, il a traduit plusieurs romanciers japonais dont Tanizaki.
Panneau issu de l’exposition Lancer l’alerte (Wildproject, 2021)
Pour aller plus loin :
- Livre « Le sauvage et l’artifice », du géographe Augustin Berque. Analyse du rapport des japonais à la nature – Editions Gallimard, 1986