Vies majuscules – Autoportrait de la France des périphéries, Collectif sous la direction de Emmanuel Vaillant et Edouard Zambeaux – Edition Les Petits Matins, 1er octobre 2020 – 332 pages
Pendant six mois, les journalistes Emmanuel Vaillant et Édouard Zambeaux, fondateurs du média associatif La ZEP (Zone d’expression prioritaire), ont sillonné quatorze quartiers et territoires ruraux de France pour collecter les témoignages des habitants. En s’appuyant sur les Régies de quartier, ils ont encadré des ateliers d’écriture pour faire émerger des récits de personnes de 10 à 80 ans peu habituées à se raconter. Cet ouvrage en regroupe 160 et dresse un remarquable panorama de la France qui vit « à quelques euros près », celle sortie dans la rue lors du mouvement des Gilets jaunes, celle restée sur le pont pendant ce printemps de confinement.
[… Mais que la vie peut être compliquée quand elle se déroule en permanence sur le fil du rasoir ! Qu’elle peut être épuisante lorsque jamais on ne se sent valorisé par la puissance publique ! Puisse la crise majeure du Covid-19 qui vient de nous frapper modifier l’échelle des valeurs. Car cet événement dramatique nous l’a magistralement démontré : les premiers de corvée se sont souvent avérés être les véritables « premiers de cordée » … »
Les auteurs
De l’ombre à la lumière
Le mouvement des Gilets jaunes puis, surtout, la crise du Covid-19 ont braqué le projecteur sur une France aux contours flous, longtemps invisibilisée. Une France qui vit « à quelques euros près », qui n’a pas besoin qu’on lui dise de traverser la rue pour savoir que le travail est un précieux gage de survie ou d’émancipation, pour qui une voiture en état de marche est une absolue nécessité, qui connaît le prix de la solidarité… La France des caissières, des postiers, des aides-soignantes, de celles et ceux qui entretiennent les résidences sociales.
C’est cette France des « vies majuscules » que l’ambitieux projet qui a donné naissance à ce livre a voulu appréhender. Encadrés par des journalistes, quelques centaines de témoins de tous âges, de Marseille à Grande-Synthe, de Mulhouse à Caen, de Troyes à Toulouse, de Nantes à Billom, de Laxou à Saintes, de Vierzon à Mont-Saint-Martin et de Joué-lès-Tours à Lunel, ont pris la plume dans le cadre d’ateliers d’écriture organisés avec les Régies de quartier. Loin des clichés condescendants ou stigmatisants, ils relatent bien concrètement la recherche d’un stage quand on n’a pas « la gueule de l’emploi », le rôle de « psy à temps partiel » d’une employée de ménage, l’angoisse des formalités « dématérialisées » quand on ne maîtrise pas les outils numériques, la sortie tête haute d’une situation de violence conjugale ou familiale. Mais encore la chaleur des relations de voisinage ou d’un réseau d’aide pour obtenir enfin des papiers quand on a « choisi la France ».
Enfin, n’oublions pas que l’immense majorité des auteurs des textes rassemblés ici continuent à nourrir un rêve de France. Celui qui les a fait venir et qui les fait tenir pour certains ; celui du pays qu’ils veulent construire, qu’ils y soient nés ou non, et de la communauté nationale dans laquelle ils souhaitent vivre et s’investir. Indiscutablement, ces territoires que nous avons arpentés sont des terres d’accueil, de projets et parfois d’émerveillement face à ce que notre pays continue, malgré tout, à être : des lieux de belles rencontres, d’entraide et de fraternité ; des territoires sur lesquels il est possible de se construire un parcours, de trouver sa place et de bâtir sa communauté. »
Les auteurs
Personnels et universels, graves, amusés, coléreux, amoureux, informatifs, fantaisistes, ces textes, qui se répondent et se complètent, apportent la preuve, s’il en fallait, que les « petites histoires » permettent bien souvent de comprendre la « grande ».
Ils y sont nés ou y ont débarqué, par hasard ou par nécessité, le temps d’un boulot ou d’une vie. Dans tous les cas, ils y ont leurs repères et leurs habitudes. On est bien chez soi. Avec ou sans acte de propriété, chacun fait de sa ville, de son quartier, de son boulevard, de sa ruelle ou de sa place de village son territoire. Celui-ci protège et rassure. Mais il peut aussi de révéler fragile. Qu’il se dégrade, qu’il s’abîme ou qu’il menace, et ce sont des murs de certitudes qui s’effondrent avec la nostalgie pour seule consolation. « Là où j’habite », c’est là où je me dévoile aux autres, avec mes difficultés du jour, mes fins de mois difficiles, ma solitude et mes failles. C’est aussi le lieu des sociabilités, des espoirs et de la place à laquelle chacun se voit assigné. Bon gré mal gré. Comme une seconde peau, on doit faire avec – ou en changer. »
Les auteurs
Ce projet est porté par La Zone d’expression prioritaire (La ZEP), un dispositif d’accompagnement à l’expression, via des ateliers d’écriture animés par des journalistes, et le Comité national de liaison des Régies de quartier et de territoire (CNLRQ), réseau d’associations œuvrant dans 320 quartiers prioritaires et menant des projets d’insertion par l’activité économique et d’éducation populaire. Il a été piloté par les deux fondateurs de La ZEP :
- Emmanuel Vaillant est journaliste, auteur notamment de Bonnes Nouvelles de l’école (Lattès, 2017).
- Édouard Zambeaux est journaliste et réalisateur. Il a créé et animé l’émission « Périphéries » sur France Inter de 2005 à 2017. Il est coauteur du documentaire de cinéma Un jour ça ira (2018).