La chaleur anormale qui pèse sur l’Hexagone, en plein mois d’octobre, rappelle « la plume de chaleur » qui avait causé les canicules de cet été ; avec toutefois une différence : on ne parle plus d’un phénomène localisé mais d’ondulations de plumes de chaleur à plusieurs endroits du globe en même temps. Ce phénomène global serait relié au dérèglement du jet-stream, ce courant atmosphérique violent qui tourne normalement autour du pôle Nord et assure l’équilibre des températures dans notre hémisphère. Or ce courant, du fait du réchauffement climatique et singulièrement celui des zones arctiques, présente des méandres qui créent selon les ondes, des appels d’air polaire ou au contraire d’air très chaud. La masse d’air chaud dont nous ressentons actuellement les effets, serait reliée, comme par une corde, à celle qui se propage au même moment dans les Rocheuses américaines.
Le jet-stream ne tourne plus rond
Le jet-stream, ou courant-jet, fait le tour de l’hémisphère nord, tourbillonnant jusqu’à 15 km au-dessus de nos têtes, comme une couronne éthérée et incurvée sur la planète. Cette bande de vent fort sépare l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du sud, et elle est responsable du transport du temps d’ouest en est à travers les États-Unis, au-dessus de l’Atlantique et en Europe. C’est ce jet-stream qui contrôle le degré d’humidité et de chaleur de ces régions. Plusieurs études scientifiques publiées récemment nous alertent sur l’allure de plus en plus sinusoïdale de ce courant, oscillant à l’envi du Nord au Sud.
Une étude publiée le 4 juillet dernier dans la revue Nature établit un lien direct entre le dérèglement du jet-stream et les vagues de chaleur intenses que nous visons en Europe occidentale. Les chercheurs démontrent qu’en plus des facteurs thermodynamiques habituels, les changements dynamiques de l’atmosphère contribuent à l’augmentation du nombre de vagues de chaleur en Europe, ce qui a des implications pour la gestion des risques et les stratégies d’adaptation potentielles.
Une autre étude d’importance confirmait bien que le jet-stream est gravement perturbé : il se déplace vers le nord à mesure que les températures mondiales augmentent. « Le début de la migration du jet-stream vers le nord a déjà commencé », affirme Matthew Osman, chercheur au Climate Systems Center de l’université de l’Arizona et coauteur de l’étude. Cela a des conséquences désastreuses sur les conditions météorologiques dans l’hémisphère nord, entraînant des événements extrêmes tels que des sécheresses et des vagues de chaleur dans le sud de l’Europe et l’est des États-Unis.
Un jet-stream migrateur
Le courant-jet de l’Atlantique Nord existe et est maintenu en place grâce au choc entre l’air chaud qui remonte des tropiques vers le nord et l’air froid de l’Arctique. Lorsque ces masses d’air se rencontrent, elles se déplacent vers l’est à une vitesse pouvant atteindre 360 kilomètres par heure, sous l’effet de la rotation de la Terre.
Mais l’augmentation de la température de l’air perturbe ce mouvement. L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite, en moyenne, que le reste de la planète. L’air chaud se déplace donc plus au nord avant de trouver de l’air froid, ce qui conduit la position du jet-stream à migrer vers des latitudes plus élevées.
Matthew Osman fait remarquer que le jet-stream est capricieux ; l’emplacement de la bande se déplace constamment au fur et à mesure que le différentiel de température qui le provoque fluctue. Les résultats de son étude ont montré que le mouvement actuel de la bande de vent menace de dépasser tous les déplacements précédents. Il devrait s’écarter considérablement de la norme, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. « En poussant le courant-jet en dehors de sa plage naturelle déjà importante, nous pourrions nous exposer à des risques climatiques de plus en plus graves à l’avenir », a-t-il déclaré.
Un jet-stream de plus en plus instable
Certains scientifiques pensent que le réchauffement rendra également le jet-stream plus instable qu’il ne l’est déjà. La trajectoire du jet-stream est sinueuse et sinusoïdale, car tout l’air chaud ne se déplace pas vers le nord au même rythme, et tout l’air polaire ne se déplace pas uniformément vers le sud. D’où les nombreuses vagues dans la bande de vent.
Mais une étude publiée en septembre 2021 suggérait que la fonte de la glace de mer arctique pourrait augmenter l’intensité et la taille de ces bourrelets déviants. Lorsque la glace de mer fond, davantage de chaleur et d’humidité se déplacent de la surface de la Terre vers l’espace. Cela agit comme un rocher jeté dans l’étang de l’atmosphère – il crée de fortes ondulations au-dessus de l’Arctique qui déforment le courant-jet. Cela crée des ondulations qui poussent l’air extraordinairement froid vers l’équateur.
Par conséquent, un courant-jet plus ondulé augmente les chances de tempêtes hivernales intenses et de vagues de grand froid ou de grand-chaud sur l’ensemble de l’hémisphère Nord. « Si l’ondulation du jet-stream augmente à l’avenir, cela pourrait impliquer que des événements extrêmes aussi bien dans le froid que dans la chaleur pourraient devenir plus fréquents », alerte Matthew Osman.
Une vague de chaleur d’origine planétaire
Christophe Cassou, climatologue chercheur au CNRS et principal auteur du sixième rapport du GIEC, a publié dans un thread Twitter composé d’une vingtaine de messages, une explication du phénomène.
Été sans fin! Nvelle salve de records chauds très probable cette semaine sur @sudouest 🇫🇷, voire 🇪🇺 de l'ouest.
Nous avons eu des #DomeDeChaleur #PlumeDeChaleur. En route vers une variante: la #PlumeDeChaleurEncordée. Quelle dynamique, quel lien avec #ChangementClimatique?
Un🧵👇 pic.twitter.com/dnpTbfLBuP— Christophe Cassou (@cassouman40) October 16, 2022
Selon lui, il ne fait aucun doute : ce sont les activités humaines qui sont à l’origine de ce dérèglement et de l’augmentation de phénomènes météorologiques anormaux. Les chaleurs inhabituelles pour un mois d’octobre que nous ressentons sur une large partie du territoire français en sont une expression spectaculaire.
Le chercheur, cartes à l’appui, observe que le jet-stream se caractérise en ce moment par des méandres très marqués depuis les côtes ouest-américaines jusqu’en Europe. « On parle de circulation ondulatoire ! »
Quand on anime sur quelques jours, on voit se mettre en place ce serpent ou cette corde ondulatoire qui prend source vers le Pacifique ouest/Rocheuses et s’étend jusqu’à l’Europe. La vague de chaleur de cette semaine a une origine d’échelle planétaire :
Quand on anime sur quelques jours, on voit se mettre en place ce serpent ou cette corde ondulatoire qui prend source vers le Pacifique ouest/Rocheuses et s’étend jusqu’à l'Europe.
La vague de chaleur de cette semaine a une origine d’échelle🌍 planétaire#OnePlanet
14/ pic.twitter.com/SqhCXhg7MB— Christophe Cassou (@cassouman40) October 16, 2022
En résumé, écrit Christophe Cassou, la plume de chaleur de cette semaine est le résultat d’une circulation dynamique ondulatoire d’échelle planétaire dont la source se trouve dans le Pacifique, avec amplification sur l’Atlantique le long de la propagation de l’onde.
Cet été automnal que nous subissons n’est pas sans inquiéter le chercheur. En effet, les écosystèmes sortent à peine d’épisodes de sécheresse intenses et sont plus que jamais vulnérables aux fortes températures. Les conséquences peuvent être particulièrement dommageables pour la végétation. Dans certaines régions du Sud, les cerisiers refleurissent, signes d’un dérèglement du cycle naturel des plantes.
Le climatologue conclut sa série de tweets par une mise en garde : « Les faits sont clairs : les observations confirment nos projections mois après mois. L’intensité et la tardiveté de cette vague de chaleur en sont un nouvel exemple. Ne pas être à la hauteur est aujourd’hui « irresponsable ». »