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Plus de 40 % des plateformes de glace de l’Antarctique ont diminué

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Plus de 40 % des plateformes de glace de l’Antarctique ont diminué au cours des 25 dernières années, ce qui pourrait accélérer l’élévation du niveau de la mer en permettant à davantage de glace terrestre de se déverser dans l’océan. Un phénomène qui risque d’affaiblir leur rôle de barrière à l’érosion de la calotte continentale, selon de nouvelles recherches publiées jeudi 12 octobre 2023 dans la revue scientifique Science Advances. L’amincissement des plateformes glaciaires est plus répandu qu’on ne le pensait, ce qui prouve de plus en plus que le continent subit les effets de l’augmentation des températures mondiales.

71 des 162 plateformes de glace du continent blanc ont rétréci en volume entre 1997 et 2021, libérant 7.500 milliards de tonnes d’eau fondue dans l’océan, ont estimé les chercheurs, en analysant plus de 100.000 images satellites prises entre 1997 et 2021. Près de 50 plateformes ont perdu plus de 30 % de leur masse initiale au cours de ces années, l’Antarctique ayant connu une hausse de température de plus de 4°C au cours des cinquante dernières années. 


La glace de mer a presque uniformément reculé autour de l’Antarctique, sauf dans la mer d’Amundsen – Photo : NOAA Climate.gov, basé sur les données du centre américain National Snow and Ice Data Center (NSIDC)

Par surcroît, l’eau douce peut diluer l’eau salée de l’océan et la rendre plus légère, ce qui affaiblit la circulation océanique – un changement que les chercheurs ont déjà observé autour de l’Antarctique. « Une fois que la banquise aura disparu, les fleuves de glace qui débouchent dans la mer pourront accélérer leur débit et deviendront moins épais, jusqu’à disparaître complètement » explique Peter Fretwell dans son livre « Atlas de l’Antarctique » qui vient de sortir aux éditions Armand Colin ce 18 octobre. Il précise : « Ainsi, un paysage peut s’évanouir, quelques années à peine après avoir été contemplé pour la première fois par des explorateurs, et ce en raison d’un changement climatique que la civilisation humaine a déclenché. »

Évolution de la fonte de la banquise antarctique de 1981 à 2023 / Source : NSIDC

Les plateformes glaciaires sont d’immenses sections de glace flottantes qui s’étendent à partir des glaciers sur la terre ferme. Elles jouent un rôle essentiel dans le ralentissement de l’écoulement de la glace terrestre dans l’océan en agissant essentiellement comme un mur qui entoure la quasi-totalité du littoral de l’Antarctique.
« Ce qui m’a surpris, c’est le nombre de plateformes de glace qui se détériorent de manière aussi importante et continue », corrobore Benjamin Davison, chercheur à l’université de Leeds et auteur principal de l’étude. « De nombreuses plateformes de glace, et pas seulement les plus grandes, perdent régulièrement de la masse au fil du temps, sans aucun signe de rétablissement. »

L’Antarctique, un continent aux nombreux territoires

A mesure que les explorateurs ont découvert les côtes de l’Antarctique, ils ont nommé chaque lieu où ils ont débarqué ou dressé des cartes, et finalement divisé le pourtour du contient en un certain nombre de territoires, appelés « terres ». Aujourd’hui, chaque pays impliqué dans la recherche scientifique en Antarctique a le droit de nommer de nouveaux sites géographiques, ce qui parfois prête à confusion lorsque deux pays assignent des noms différents au même endroit …

Rappelons qu’en 1957 et 1958 les institutions scientifiques du monde entier collaborèrent à un projet de recherche multidisciplinaire : l’Année géophysique internationale. Faisant fi des frontières, les chercheurs de nombreux pays se rendirent en Antarctique pour entreprendre plusieurs projets de recherche ensemble et explorer le continent austral. Cette collaboration connut untel succès qu’elle déboucha sur un accord politique : le traité sur l’Antarctique. Néanmoins, les revendications territoriales n’ont pas disparu : elles sont seulement mises en veille, tant que le traité sera appliqué.

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L’une des différences fondamentales à prendre en compte en Antarctique est celle qui existe entre barrières (ou plateformes glaciaires) d’une part, et calottes (ou inlandsis) de l’autre. Les calottes couvent la majorité du continent et sont arrimées au soubassement rocheux. Elles sont épaisses de 2 kilomètres en moyenne, et bien que certaines de leurs pentes peuvent fluer de façon notable (on les appelle alors « courants glaciaires »), les glaces y sont généralement peu mobiles.

L’Antarctique est en perpétuel mouvement. En général, le bilan de masse de la glace est  à l’équilibre : il y a autant d’icebergs qui se détachent le long des côtes qu’il y a de nouvelle glace qui se forme au centre du continent. En temps normal, l’équilibre de masse reste assuré mais cet équilibre est rompu lorsque de l’eau de mer plus chaude que la normale accélère la fonte des glaciers le long des côtes. Et fait reculer leur front vers l’intérieur des terres : la pente finale s’en trouve accentuée, ce qui conduit à une accélération du flux des glaciers et un plus grand nombre d’icebergs qui s’en détachent – perte qui n’est pas compensée par la création supplémentaire de glace en amont. Les chercheurs redoutent que cet effet « boule de neige » ait déjà commencé dans certaines régions d’Antarctique occidentale. 

Quand les plateformes de glace de l’Antarctique diminuent, le niveau de la mer monte

Lorsque les plateformes glaciaires s’amincissent ou reculent, la glace terrestre peut s’écouler plus rapidement dans l’océan et accélérer l’élévation du niveau de la mer. Les inlandsis de l’Antarctique et du Groenland sont responsables de plus d’un tiers de l’élévation totale du niveau de la mer au cours des dernières décennies.
« Actuellement, l’Antarctique contribue pour une relativement faible part (6%) à la montée du niveau de la mer, mais cela pourrait augmenter substantiellement dans le futur si les plateformes de glace continuent à se détériorer », a indiqué à l’AFP Benjamin Davison.

Après plus d’une décennie de fixation au littoral, une grande étendue de glace de mer s’est détachée de la péninsule antarctique en janvier 2022. (Joshua Stevens/NASA Earth Observatory). Les plateformes de glace saines se retirent et s’agrandissent naturellement au fil du temps, explique Benjamin Davison. Une plateforme de glace s’écoule et avance continuellement, mais elle perd aussi de la masse par la fonte ou le vêlage, c’est-à-dire lorsque son front se brise dans l’océan. Elle peut alors gagner de la glace en provenance de la terre et croître à nouveau. Mais la grande partie des plateformes de glace qui rétrécissent régulièrement montre que ce cycle naturel est interrompu : « Nous les voyons devenir de plus en plus petites et de plus en plus petites depuis 25 ans… souvent sans aucun signe d’avancée ou de croissance pendant cette période. Cela ne correspond pas à ce que nous attendons du cycle naturel d’une plateforme de glace. »

La plus grande partie des plateformes de glace en déclin se trouve sur le côté ouest de l’Antarctique, où l’eau plus chaude peut éroder les plateformes par en-dessous. Presque toutes les plateformes de glace du côté ouest ont subi une perte de glace.

L’un des effondrements les plus récents de la plateforme glaciaire s’est produit dans l’est de l’Antarctique en mars 2022. La plateforme de glace Conger – de la taille de la ville de New York – s’est complètement effondrée en l’espace de quelques semaines, probablement à la suite d’une vague de chaleur record en Antarctique, qui s’est avérée être la plus intense jamais enregistrée dans le monde.

Le spécialiste des glaces, Alex Gardner, qui n’a pas participé à la recherche, a déclaré que les résultats de l’étude confirment les travaux antérieurs portant sur les changements de la plateforme glaciaire, y compris les siens. Ses travaux antérieurs ont révélé que le vêlage a augmenté et que les plateformes de glace ont perdu plus de masse dans les océans. La nouvelle étude complète également une autre étude qui a montré à quel point l’amincissement des plateformes de glace était répandu sur le continent. « Nous avons maintenant plusieurs groupes qui arrivent à la même conclusion : lorsque l’on fait un zoom avant et que l’on regarde les plateformes de glace de l’Antarctique dans leur intégralité, on voit des signaux clairs de recul et d’amincissement, des signaux [qui] sont attendus dans un monde qui se réchauffe », explique Alex Gardner.

Les modèles climatiques prévoient que les plateformes glaciaires diminueront régulièrement dans un monde qui se réchauffe, comme cela a été observé, pour finalement atteindre un point de basculement qui pourrait conduire à une période millénaire de désintégration de la calotte glaciaire.
Mais, selon Benjamin Davison, il n’est pas nécessaire d’atteindre ce point de basculement pour constater des effets sur la planète : « Les changements sont importants et substantiels, même si l’on peut imaginer un scénario encore pire. Il n’est pas nécessaire que toutes les plateformes de glace disparaissent pour que cela ait de l’importance. »

L’organisme de conservation de l’océan Antarctique sous pression

Alors que les gouvernements chargés de protéger la vie marine en Antarctique s’apprêtent à se réunir pour les deux prochaines semaines lors de la réunion annuelle de la Commission pour la conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique (CCAMLR) – du 16 au 27 octobre à Hobart, en Australie -, un sujet clé reste à l’ordre du jour : la progression de la désignation de trois propositions de zones marines protégées à grande échelle (AMP) dans l’Antarctique oriental, la mer de Weddell et la péninsule Antarctique, propositions bloquées depuis des années.

C’est la deuxième fois cette année que les pays ont l’opportunité d’agir sur ces propositions de protection, à la suite d’une réunion spéciale de la CCAMLR dédiée à ce sujet qui a eu lieu à Santiago en juin dernier. Cette réunion extraordinaire s’est malheureusement terminée sans aucun nouveau progrès en raison du blocage de certains pays, empêchant le consensus complet nécessaire. « Ce ne sont pas seulement les groupes environnementaux, mais aussi les gouvernements soucieux de la conservation qui sont de plus en plus frustrés par l’absence de protection de la part de la CCAMLR. Nous savons que celle-ci peut prendre des décisions pour autoriser la pêche.  Elle devrait être capable d’en faire autant pour la conservation. Il est honteux que l’on donne la priorité à l’exploitation plutôt qu’à la protection. Il est temps pour la CCAMLR de faire le travail… » déclarait Claire Christian, directrice exécutive de la Coalition pour l’Antarctique et l’océan Austral.

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La CCAMLR est de plus en plus souvent épinglée au niveau international pour son piètre bilan en matière de conservation, la dernière action significative remontant à 2016 avec l’accord sur la création l’AMP de la mer de Ross. Depuis lors, la crise climatique s’est accélérée, avec le mois dernier un nouveau record de baisse du volume annuel de glace autour du continent Antarctique sur près d’un million de kilomètres carrés supplémentaires.
« Cette année, l’océan Austral a connu des températures record et des niveaux de glace de mer exceptionnellement bas, ce qui, selon les chercheurs, aurait causé la mort de tous les poussins de manchots empereurs dans quatre colonies, totalisant environ 9 000 poussins. La rapidité des changements en Antarctique est préoccupante, mais encore plus préoccupant est le fait que le CCAMLR n’ait pris aucune mesure au cours de la dernière décennie pour faire face aux impacts du changement climatique. Les AMP ne stopperont pas le changement climatique, mais elles contribueront à renforcer la résilience des écosystèmes. Il est temps que la CCAMLR sorte de l’impasse et tienne enfin sa promesse de créer un réseau d’AMP en Antarctique » a déclaré Andrea Kavanagh, directrice du travail de conservation de l’Antarctique et de l’océan Austral pour le projet Pew Bertarelli Ocean Legacy.

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Le mois dernier, le Secrétaire général de l’ONU a annoncé que seuls 15% des objectifs de développement durable étaient sur la bonne voie, et que beaucoup se trouvent même en recul. Dans le même temps, plus de 80 pays ont signé un nouveau Traité sur la Haute Mer, signe de l’engagement international à renforcer la protection de la vie marine dans l’océan.   « Une telle énergie et un tel élan derrière ce nouveau Traité sur la Haute Mer montrent à quel point le multilatéralisme n’est pas mort. Mais c’est dans la concrétisation de ces engagements internationaux en un changement positif réel que les gouvernements continuent de faillir. C’est ce que nous constatons année après année à la CCAMLR. L’avenir de la planète doit passer en premier. » a déclaré Jehki Härkönen, conseiller en politique océanique à Greenpeace International.

Parmi les autres problématiques clés à l’ordre du jour on trouvera également des mesures pour mettre à jour la gestion du krill – petite créature semblable à une crevette, la clé de voûte de l’écosystème antarctique et qui joue un rôle important dans le cycle mondial du carbone. Il consomme le phytoplancton microscopique à la base de la chaîne alimentaire et sert en retour de nourriture à la plupart des autres espèces de l’océan, des poissons aux manchots, phoques et baleines. La distribution du plancton nous concerne aussi directement, nous humains, car nous figurons parmi les principaux prédateurs. Nos navires de pêche en capturent près de 200 000 tonnes par an, notamment pour l’alimentation animale, mais aussi pour l’industrie pharmaceutique et le secteur de la cosmétique. L’huile de plancton est utilisée dans les médicaments pour les maladies du cœur, le traitement du cholestérol, les compléments alimentaires et les sérums anti-âge. 

Face aux projets d’intensification de la pêche dans la région, les organisations environnementales demandent un renforcement des exigences pour l’approbation des mesures de pêche.  « La pêche fortement concentrée de krill dans la région, associée au changement climatique incontrôlé, mettent le krill en danger, et par conséquent la faune et des services écosystémiques essentiels. L’équilibre entre la conservation et la pêche doit être réinitialisé de toute urgence » a déclaré Emily Grilly, directrice de la conservation de l’Antarctique pour le WWF.

L’Antarctique, « régulateur du climat mondial »

« L’Antarctique est en train de changer parce que le climat se réchauffe » a déclaré dans un communiqué Anna Hogg, coautrice de l’étude et professeure à l’Université de Leeds. Nous l’avons vu, la diminution ou la disparition des plateformes de glace pourrait affaiblir la circulation océanique profonde, qui joue un rôle important dans l’absorption de carbone et de chaleur par l’océan.
« L’océan absorbe beaucoup de carbone et de chaleur atmosphérique et l’océan austral qui entoure l’Antarctique en est le premier contributeur, c’est donc un régulateur du climat mondial extrêmement important », souligne M. Davison.

La banquise de l’Antarctique, qui se forme par le gel d’eau de mer, souffre de fonte massive depuis plusieurs années. En février 2023, en plein été austral, elle avait atteint son plus bas niveau historique, avec 1,79 million de kilomètres carrés. Les impacts de la fonte des glaces, glaciers et calottes, le déclin de la banquise sont nombreux sur le climat, les écosystèmes, les modes de vie traditionnels, l’économie, les relations géostratégiques. « En l’absence de glace, la productivité primaire des océans polaires augmentera fortement, modifiant à sa suite toute la chaîne trophique et permettant à certaines espèces marines de remonter vers les pôles. A l’inverse, la disparition des glaces dérivantes met en danger certaines espèces emblématiques, comme l’ours blanc, qui ont su exploiter ce milieu si particulier. 

La configuration de l’Antarctique, géographique – un continent entouré d’un océan – et climatique – une circulation circumpolaire des vents très intense au niveau des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants – distingue une saisonnalité de l’étendue de sa banquise très marquée, avec une proportion faible de glaces résistant à l’été austral. Cette circulation circumpolaire pourrait-elle isoler en partie l’Antarctique du réchauffement global ? 

Sources :

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