Le dernier rapport du groupe-1 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié en 2013, établit à 0,8 mètre l’élévation maximale du niveau des océans d’ici la fin du siècle. Mais ce chiffre ne tient pas compte d’une possible déstabilisation des calottes glaciaires. Les experts considèrent en effet que ce sujet n’est pas assez mûr. Un article publié récemment dans la revue Atmospheric, chemistry and physics par une équipe internationale de 17 climatologues vient semer le trouble. Et si les climatologues se trompaient ? Et si le risque majeur du changement climatique résidait dans une déstabilisation des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique ? Selon ces experts, la hausse du niveau marin en un siècle ne se mesurerait pas en centimètres mais en mètres. Elle dessinerait alors une géographie du changement climatique très différente de celle que la plupart des modèles proposent.
Cela fait longtemps que l’on surveille attentivement nos calottes glaciaires. Elles fondent à vue d’œil, au point que de nouvelles routes maritimes s’ouvrent régulièrement. Cette semaine, deux nouvelles voies se sont libérées permettant de traverser l’océan Arctique et ainsi de joindre le Pacifique et l’Atlantique. Il faut préciser que la rétractation de la banquise semble irréversible et a atteint son minimum ces jours-ci. Après une période de déclin lent, une rupture s’est opérée en 2007, année où la banquise est passée brusquement pour son minimum annuel de 4 millions de km² à 3 millions. Par la suite elle n’a plus jamais rejoint sa valeur antérieure. Puis, en 2012, elle a de nouveau enregistré une rétraction spectaculaire, à 2,3 millions de km² lors de son minimum.
La banquise en 1985 et en 2013
Ces modifications sont suffisamment intenses pour que les scientifiques se posent des questions. C’est ce qu’ont fait les auteurs de l’article de Atmospheric, chemistry and physics ; ils ont fait ce que le GIEC ne fait pas : introduire des hypothèses de déstabilisation des calottes glaciaires dans les modèles de changements climatiques.
Leur analyse s’intéresse à une période de l’histoire de notre planète qui passe parfois inaperçue. C’est une période courte de 15 000 ans environ qui s’est déroulée au moment charnière de passage de l’ére glaciaire, il y a 130 000 ans, à notre ère géologique actuelle. Cette période – le Eémien – présente la caractéristique d’avoir été 2°C plus chaude que la période avant la révolution industrielle.
Citée par Libération, la paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte (CNRS, Laboratoire de sciences du climat et de l’environnement), co-signataire de l’article, précise : «Et donc de 1°C de plus seulement qu’aujourd’hui». De là à spéculer que cette période préfigurerait ce qu’il peut advenir à notre planète aujourd’hui, il n’y a qu’un pas que les scientifiques se gardent de franchir. En effet ce réchauffement du Eémien trouve son origine dans une configuration orbitale de la Terre et non dans le dégagement de gaz à effet de serre dues aux énergies fossiles comme c’est le cas aujourd’hui. Pourtant, ce qui intrigue les scientifiques c’est la toute fin de cette période, celle où le réchauffement climatique s’est mis en œuvre. A ce moment précis, le niveau des mers s’est élevé de 6 mètres par rapport à son niveau actuel. Pour les auteurs de l’article, cela ne peut être dû qu’à une déstabilisation des banquises australes et antarctiques. Non pas seulement à une fonte massive des glaces, mais plutôt à une modification brutale des circulations océaniques profondes entraînant l’accélération du mouvement des « fleuves de glaces » vers la mer et la déstabilisation des plates-formes glaciaire sur l’océan.
Une Terre de super-contrastes apparaît
Les chercheurs ont donc modélisé ce phénomène en introduisant le facteur de déstabilisation des calottes glaciaires dans les calculateurs de simulation climatique. Si les deux calottes sont déstabilisées, une Terre de super-contrastes apparaît. Les latitudes moyennes et élevées seraient beaucoup plus froides qu’aujourd’hui alors que les régions tropicales seraient excessivement plus chaudes. Paradoxalement, les chercheurs estiment qu’en moyenne, la température globale de la planète pourrait diminuer ! Mais les contrastes élevés de température sur notre globe auraient des impacts catastrophiques sur les configurations côtières à cause de l’élévation du niveau des océans, l’agriculture et l’apparition de méga-tempêtes un peu partout sur notre planète. Sans compter l’intensification des migrations de population que ces changements induiraient. Ne serait-ce qu’à cause de l’élévation du niveau des mers, des mégapoles comme Los Angeles, Tokyo, Shanghaï, Lagos, New York et bien d’autres villes seraient concernées. Selon l’Organisation des nations unies, 44 % de la population mondiale vit à moins de 150 kilomètres des côtes et serait directement affectée.
Cet article qui porte une autre voix que celle des climatologues « institutionnels », en s’attaquant à un « vide » des scénarios actuels, fait l’objet d’intenses discussions et controverses. Selon le journaliste scientifique Sylvestre Huet de Libération, l’un des «relecteurs», Peter Thorne, considère que la simulation numérique n’est pas assez robuste. S’il partage l’idée que l’objectif climatique des 2°C ne doit pas être considéré comme un climat sans dangers, il reproche aux auteurs d’être manifestement trop mobilisés par la volonté de le démontrer à tout prix.
On ne sait pas ce que sera le destin de cet article. Ce qu’il révèle c’est que la limite des 2°C que la COP21 souhaite atteindre est un objectif minimum implacable, quels que soient les scénarios. Or rien ne dit encore que la réunion des principaux responsables de la planète à Paris en décembre ne permettra de rendre cet objectif obligatoire.
Photo : Banquise Arctique, © NASA / Goddart Space Flight Center Scientific Visualization Sudio
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