La nouvelle n’a pas fait la une des journaux télévisés et pourtant elle est de taille : jeudi 15 octobre dernier, la banque Natixis a annoncé son engagement de ne plus financer de centrales électriques au charbon et de mines de charbon thermique. Soudain accès de vertu face au réchauffement climatique ou peur d’un cataclysme financier ? C’est certainement la seconde raison qu’il faut retenir car un mouvement de fond s’amorce, celui d’échapper au risque d’éclatement de la « bulle carbone ». Risque singulièrement amplifié si la COP 21 s’avérait être un succès.
Le communiqué publié par Natixis est limpide ; la banque, filiale du groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE) s’engage formellement à ne plus financer le secteur charbon « dans le monde entier, en l’état actuel des technologies». Natixis s’engage également à ne plus accepter de nouveaux mandats de conseil ou d’arrangement liés à de tels financements. Elle «renonce aussi à financer les sociétés dont l’activité repose à plus de 50% sur l’exploitation de centrales électriques au charbon ou de mines de charbon thermique».
Comme Natixis vient de le faire, le Crédit Agricole a annoncé fin septembre refuser désormais de financer les centrales électriques au charbon. La semaine dernière, c’est la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, qui annonçait au micro de RMC qu’Engie (ex Suez GDF) mettait fin à ses investissements dans les centrales à charbon. Elle précisait : « Il faut être logique. On ne peut pas d’un côté déplorer les effets catastrophiques du dérèglement climatique et de l’autre continuer à investir dans les énergies fossiles. Il faut de la rigueur et un bon ordre des choses. »
Renoncement on ne peut plus clair même si d’autres acteurs financiers de poids comme BNP Paribas ou EDF, pourtant sponsors de la COP 21, trainent les pieds pour rejoindre ce mouvement vertueux.
Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre
Quelles sont les raisons avancées par la banque pour justifier cette prise de décision ? Le discours écologico-COP21 compatible prend ici le dessus. Natixis affirme en effet sa « décision de renforcer son rôle d’acteur de référence dans le financement des énergies renouvelables, qui représentent déjà plus de 60% du portefeuille de production électrique financé». Elle fait aussi valoir «une impérative prise en compte des risques multiples associés à l’industrie du charbon : risques environnementaux mais également économiques et réglementaires».
Youpi ! Les banques deviennent des défenseurs du climat ! Evidemment, les défenseurs de l’abandon des énergies fossiles ne peuvent que se réjouir de l’émergence de ce phénomène. Il n’est pas étonnant que Les Amis de la Terre tout en déclarant rester très vigilants, s’enthousiasment pour ce coup d’arrêt « à un secteur climaticide ».
En réalité, la motivation de cette décision des banques est des plus prosaïques. De plus en plus d’experts tirent la sonnette d’alarme sur les dangers financiers que représente le risque carbone. L’alerte la plus retentissante revient au gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney, qui présentait fin septembre un rapport qui a fait l’effet d’une bombe dans les milieux financiers. Il y fait référence à un « risque carbone » sur lequel « l’exposition des investisseurs britanniques […] est potentiellement gigantesque ». Il prévient : « les actifs carbone risquent de devenir des « actifs bloqués, obsolètes ».
Si la décision de maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C était appliquée, seulement un cinquième des réserves fossiles affichées dans les bilans des industriels de l’énergie pourrait être exploité. Cela veut dire que la valorisation de ces réserves, telle qu’elle est établie aujourd’hui, se révèle de facto fausse. Or cette valorisation atteint des sommets astronomiques : elle totalise actuellement 28 000 milliards de dollars ! C’est plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni !
Les investisseurs se retrouvent dans une impasse ou plus précisément dans un système de « double contrainte ». S’ils ne font rien pour éviter le chaos climatique, ils perdront du fait des énormes dégâts qui devront être financés (pensons notamment aux assurances). S’ils agissent en prenant des mesures pour désinvestir dans les industries fossiles, ils perdront aussi car leurs actifs perdront toute valeur et la bulle carbone leur explosera à la figure.
Les pétroliers sont en première ligne dans ce risque. Cité par Libération, le chef économiste de la compagnie pétrolière BP reconnaît : « Du fait des préoccupations liées aux émissions de carbone et au changement climatique, il est de moins en moins probable que les réserves mondiales de pétrole puissent jamais être entièrement exploitées. »
Le vent tourne. Et présage une tempête.
Depuis 2014, la consommation de charbon a baissé de 2.9 % en Chine. Les cours s’effondrent en Australie. La valeur boursière des sociétés liées au charbon s’est écroulée aux Etats-Unis. Les investisseurs du monde entier commencent à désinvestir massivement. Plusieurs investisseurs privés ou institutionnels dont le portefeuille de valeurs à forte empreinte carbone est de 2 600 milliards de dollars ont déjà rejoint ce mouvement de désinvestissement. Et ce n’est pas fini. Le risque touche les gros investisseurs mais aussi les petits porteurs. En effet, à travers leur cotisation mutuelle, leur prime d’assurance ou leur assurance vie, un nombre très important de ménages français détiennent des actions de compagnies pétrolières. Les fonds de pension se désengagent et notamment le plus gros fonds souverain du monde, le fonds de pension norvégien. Les investisseurs ne considèrent plus le charbon comme une valeur fiable. Il en est pour preuve, les deux mastodontes du secteur New Hope Corporation et MétroCoal qui ont perdu respectivement 52 % et 100 % de leur capitalisation.
Le pétrole n’est pas mieux loti. Le prix du baril est tombé sous la barre des 50 dollars. Cette chute est dûe en partie par le maillon faible chinois qui devient moins gros consommateur, mais la vraie raison est que les investisseurs commencent à anticiper le fait que les compagnies pétrolières ne pourront, du fait de la prise de conscience climatique, exploiter toutes leurs réserves accumulées.
Rachel Kyte, Vice-Président de la Banque Mondiale et Envoyée spéciale pour le climat
L’inquiétude majeure vient de l’accélération du phénomène. Rachel Kyte, la responsable climat à la Banque mondiale, cité par The Guardian, tient à alerter : «il ne faudrait pas qu’ils (les investisseurs) se détournent trop rapidement des industries polluantes, ce qui pourrait faire éclater «la bulle carbone». Ce que l’on peut craindre, c’est l’émergence d’un violent déséquilibre des prix, susceptible de provoquer l’éclatement d’une bulle, le niveau des cours d’échanges pouvant se révéler à terme excessif par rapport à la valeur financière des réserves d’énergie fossile (pétrole, charbon et gaz naturel).
Ainsi, après la bulle Internet et la crise des subprimes aux Etats-Unis, une nouvelle bulle pourrait voir le jour et menacer le système financier dans son ensemble. Le think Tank Carbon Tracker situe les points névralgiques des échanges de carbone afin de prendre la mesure des risques qui pèsent sur ces marchés. Figurent en premier lieu, Wall Street, le Micex russe et la City londonienne, places financières réputées comme cruciales dans le secteur de l’énergie.
La COP21 qui doit se tenir dans quelques semaines à Paris accélère dramatiquement le phénomène.
En effet, Rachel Kyte souligne que l’accord climatique qui pourrait être conclu à Paris a la capacité de déstabiliser ces entreprises. Les banquiers centraux, qui ont commencé à pencher sur cette question, doivent « analyser si on fait face à un risque systémique» qui pourrait faire chanceler l’économie dans son ensemble », a-t-elle ajouté, espérant que cette « transition sera gérée «de manière ordonnée ». Des voix se font donc entendre pour que la transformation de l’économie après COP 21 se fasse en douceur. Faute de quoi, les turbulences risquent d’être sévères. Si les acteurs de la finance se font surprendre trop brutalement, les marchés risquent d’être déstabilisés violemment entraînant une crise à l’échelle mondiale. Or, selon la déclaration à l’AFP de Mark Spacey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre présent à la conférence de Lima il y a quelques jours : « Il n’y a pas d’information adéquate sur le marché pour gérer cette transition ».
Il n’en demeure pas moins que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère qui peut s’avérer catastrophique ou positive selon les décisions qui seront prises. Janos Pasztor, le responsable climat à l’ONU fait partie des optimistes et affirme à l’AFP : « On est vraiment au bord d’un changement, d’un nouveau système économique bas carbone qui commence, et on voit que le secteur privé va dans cette direction, et ils vont même plus loin que les gouvernements ».
Selon Le Point, parmi les indices de ce changement profond qu’évoque Janos Pasztor, on observe l’engagement des institutions financières à soutenir les investissements bas carbone, le développement des « obligations vertes », la fixation d’un prix carbone par certaines entreprises, et le fait que les investisseurs sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter de l’empreinte carbone de leur portefeuille et l’accroissement de l’assurance contre les désastres climatiques. On peut y ajouter la prise de conscience de plus en plus profonde des populations à l’égard des risques du changement climatique et de l’obligation vitales que nous avons d’emprunter d’autres voies.
Ugo Yaché, Journaliste UP’ Magazine
Photo : Des militants de l’ONG 350.org font rouler une bulle carbone au Trocadero, le 1er septembre 2015. © 350.org
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