L’ensemble des écosystèmes de la planète se voit bouleversé face au changement climatique. Quels seront les impacts sur le vivant, ainsi que sur nos sociétés ? Alors que nos gouvernements, à la veille de la COP 21, se sont imposés un objectif de 2 °C à ne pas dépasser avant la fin du siècle, imaginons un instant à quoi pourrait ressembler le monde de demain si aucune mesure n’est prise avant qu’il ne soit trop tard. Telle fut l’expérience proposée par Nathalie Frascaria-Lacoste, écologue à AgroParisTech, qui intervenait le 3 novembre à la Mairie du 2e arrondissement de Paris dans le cadre du cycle Questions de vies.
Nous sommes en 2070. Les temps sont durs. Une scientifique, derrière son masque hygiénique, nous fait un rappel de l’état des lieux de la planète. La superficie des déserts a augmenté de 40 %. L’air est également irrespirable ; le taux de CO2 dans l’atmosphère dépasse allégrement les 600 parties par million (ppm), alors qu’il était à moins de 400 ppm au début du siècle. C’est sans compter les fumées des chauffages au bois, les dégagements de métaux lourds et les pics d’ozone récurrents. Puis il y a cette chaleur…
Les programmes environnementaux européens qui se sont succédé au cours des dernières décennies n’ont servi à rien. La biodiversité s’est considérablement appauvrie. Le prix du fuel a également triplé tandis que l’eau potable se fait de plus en plus rare. Dans ces conditions extrêmes, le monde se retrouve confronté à une crise économique et politique sans précédent. Puis il y a cette chaleur…
À la conférence à laquelle nous assistons, un document historique rare est montré au public : une vidéo d’une plante qui pousse. Un souvenir émouvant d’une époque révolue, durant laquelle le vivant pouvait encore s’épanouir sur notre planète. Aurait-il pu en être autrement ?
Retour en 2015. Nathalie Frascaria-Lacoste retire son masque ; la biologiste n’est plus une scientifique du futur, mais l’invitée du cycle « Questions de vies », organisé par l’Université Populaire de la Mairie du 2e arrondissement de Paris. Le scénario catastrophe n’a pas (encore) eu lieu.
À travers cette mise en scène d’un avenir peu rassurant, Nathalie Frascaria-Lacoste n’a pas pour intention de tenir un discours culpabilisant et pessimiste. « Dans les moments de crise, l’imagination importe plus que les connaissances » disait déjà Einstein, et c’est justement d’imagination dont il est ici question.
La biologiste part de données scientifiques réelles, issues ici d’un rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, datant de 2013. À partir de ces données, elle construit un scénario futuriste plausible. L’objectif est d’utiliser cet imaginaire narratif afin d’interpeller les esprits. Par ces exercices prospectifs, chacun est ainsi amené à anticiper les mutations du monde et, à partir de son expertise, peut se voir (rétro)agir à son échelle.
Quand le réchauffement bouscule les repères et les équilibres
L’action de Nathalie Frascaria-Lacoste est justement de partager son expertise ; elle étudie les effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes. La température est en effet un facteur abiotique, influençant fondamentalement le vivant. Une augmentation de la température peut ainsi se révéler lourde de conséquences.
Un exemple connu se trouve dans les modifications d’aires de répartition. Certaines espèces sont en effet particulièrement sensibles à la température. C’est le cas des papillons ; sur 35 espèces sédentaires observées en Grande-Bretagne, 63 % ont vu leurs aires de répartition progresser vers le Nord du pays afin de fuir le réchauffement de leur habitat.
Ce n’est pas uniquement la distribution spatiale des espèces qui est modifiée mais également leur cycle temporel. On a ainsi observé une précocité de la floraison des arbres, conséquence d’un printemps plus chaud.
Il ne s’agit pas de phénomènes isolés. Ces modifications en cascade chez les organismes bouleversent l’équilibre des écosystèmes. Gilles Luneau, réalisateur du documentaire Urgence Climatique – dont les participants ont pu découvrir un extrait en introduction de la rencontre – et invité au débat, insiste également sur ce point. Les rejets de CO2 n’augmentent pas uniquement la température ; l’acidité des océans croît tandis que leur teneur en O2 diminue. Face à cette modification de leur habitat, les espèces ne s’adaptent pas de la même manière. La sole, par exemple, résiste très bien à ces changements alors que le bar, au contraire, voit sa population décliner. La biodiversité se transforme, et les conséquences sont difficilement préhensibles.
Mais qu’en est-il pour l’Homme ? Certains chercheurs prévoient une augmentation des maladies infectieuses, comme le paludisme ou la dengue. D’autres redoutent les maladies respiratoires, conséquences de la dégradation de la qualité de l’air. À cause de la montée des eaux et du recul des littoraux, ce sont près de 200 millions de personnes qui seront peut-être contraints de migrer.
S’exercer à évoluer collectivement et judicieusement
Ce qui est certain, c’est que nos sociétés, comme les écosystèmes, vont également devoir s’adapter. Et comme pour les écosystèmes, l’adaptation est un processus. Il ne s’agit pas tant de constituer des actions ponctuelles afin de répondre à des objectifs fixés, mais de construire une stratégie dans le long terme.
Selon Nathalie Frascaria-Lacoste, la technologie seule ne peut être suffisante face au défi du changement climatique. Les solutions sont plurielles. Favoriser l’hétérogénéité des territoires ou créer des espaces de renaturation, c’est faire le pari de l’effort, du collaboratif et de l’interdépendance. C’est à travers ces actions conjointes que l’on saura s’adapter.
Pour cela, il faut apprendre à penser autrement. Cette démarche, on la retrouve chez l’artiste plasticienne Maud LC, Invitée à clore la séance, elle cherche, par son initiative intitulée Je Monde, à faire réfléchir sur le rapport du citoyen face au collectif. À travers un recueil de témoignages, l’artiste tente de construire une œuvre collective et vivante, explorant l’Anthropocène, l’ère géologique actuelle caractérisée par l’impact des activités humaines.
Chacun a sa place à tenir dans ce processus de réflexion et de gestion des priorités. « Ces choix doivent dire quelle planète nous souhaitons à très long terme et si « l’environnement est constitué de ce qui n’appartient à personne mais que tout le monde utilise. Il s’ensuit que l’évolution de l’environnement sera une évoluton sociale » nous prévenait déjà l’économiste Jacques Weber en 1991(1), à la veille de la conférence sur le climat de Rio de Janeiro.
24 ans plus tard, la clarification de nos objectifs communs est encore plus urgente. « Nous avons besoin d’inventer des processus d’apprentissage et d’écoute pour tracer l’avenir, » conclut Nathalie Frascaria en donnant l’exemple de la gestion commune de la forêt canadienne ou celle des coraux en Australie. Allier encore et toujours connaissances scientifiques et savoirs pratiques.
Nam Phan Van Song, journaliste
(1) Prévoir c’est gouverner, de Jacques Weber et Denis Bailly
Photos: Tempêtes et sècheresses, innondations et incendies se côtoient au point de s’interroger sur l’existence des saisons ©Public Sénat
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