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climat COP23

COP 23, ça coince sur le financement. Existe-t-il un plan B pour sauver l’accord de Paris ?

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La sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris, annoncée en juin, a lancé un premier signal négatif. Depuis, de nombreux rapports font état d’un écart inquiétant entre les objectifs collectivement acceptés à Paris et les actions réellement entreprises. Les pays riches pèchent par frilosité sur le plan financier tandis que les pays en développement sont très en retard dans l’élaboration de politiques climatiques susceptibles de leur permettre d’atteindre leurs engagements. Un écart que l’ONU juge « catastrophique » entre actions et besoins. Comme toujours, ce sont les financements qui posent problème. En l’état, l’Accord de Paris semble compromis. Faut-il alors changer de paradigme et réfléchir à un plan B ?
Taxer les extractions et les externalités du carbone plutôt que ses émissions : voilà une alternative intrinsèquement plus incitative et opérationnelle pour dépasser les blocages et les limites à la transition énergétique. C’est le résultat d’une analyse (1 et 2) de Jacques de Gerlache, (éco)toxicologue, membre actif du Club de Rome, manager de GreenFacts (3) et Romain Ferrari, Président de la Fondation 2019 (4), think tank sur les liens entre écologie et économie. Démonstration et explications.
 
L’Accord de Paris signé par la majorité des Etats et les COP 21 et 22 auront permis une sensibilisation des opinions publiques sans équivalent jusqu’alors. Mais malgré les efforts de certains et les apparences diplomatiques qui en sont données, cet Accord se heurte aujourd’hui aux réalités économiques, politiques et politiciennes multiples. La prise de position isolée du président des Etats-Unis. en est le signe le plus tangible. Une multitude d’initiatives nationales, régionales, locales qui commençaient à émerger de l’Accord et de ses suites (COP 22) risquent ainsi de se voir infiniment compliquées.
 
Même si une minorité (en nombre mais pas en impact !) (re)met encore en doute la matérialité de ce réchauffement, voire du rôle qu’y joueraient les activités humaines en considérant que celles-ci n’en représentaient qu’une part infime, ne vaudrait-il pas mieux éviter « la goutte qui fait déborder le vase » ? Car, même sans atteindre les 2°C de réchauffement global, les risques d’événements climatiques ne sont pas seulement linéaires mais ceux de transitions abruptes et généralisées, comparables aux déclenchements d’avalanches ou de tremblements de terre. Ces risques deviennent en effet plus élevés, avec notamment les bouleversements climatiques déjà irréversibles subis par la région arctique qui pourraient bientôt bouleverser brutalement et irréversiblement l’ensemble de l’équilibre climatique de la planète.
 
En ce qui concerne les moyens à mobiliser, M. Mezouar, président de la COP22, a lui-même déclaré qu’il faudrait non seulement respecter l’engagement de 100 milliards de dollars d’ici 2020, mais, confrontés à l’ampleur de ce qui est nécessaire pour faire face aux impacts du changement climatique, ce seront des milliers de milliards qui sont indispensables, ce que confirme notamment le Word Energy Outlook 2016 (5). Ceci dans un contexte de pression vers le bas sur les prix du baril de pétrole ayant notamment comme objectif de rendre les gaz de schiste U.S. non compétitifs et au point de constituer aussi un réel risque de crise de subprimes liée aux prêts accordés par les banques aux milliers de leurs exploitants (6). De plus, les centaines de milliards de dollars de subsides encore accordés aux combustibles fossiles, particulièrement dans les pays en développement, maintiennent leurs prix artificiellement bas (7) et le prix associé aux émissions de carbone reste bien inférieur à ces subsides et constitue un bilan globalement négatif (8).
 
Pris isolément, chaque acteur a intérêt à retarder sa contribution à l’effort collectif en attendant que tous les autres réduisent leurs émissions. Et c’est pour mettre fin à ce « waiting game » ainsi nommé par Gollier et Tirole (9), que le prix du carbone, selon Christian de Perthuis, devrait refléter la valeur que la collectivité accorde effectivement à la protection du climat. Ceci d’autant plus qu’il reste beaucoup d’énergie fossile disponible qu’il faudrait renoncer pour l’essentiel (60%) à exploiter en l’absence de technologies de capture du CO2 efficaces.
C’est dans ce contexte que l’accord de la COP21 a mis fin au principe de différenciation de la responsabilité entre pays développés et pays en développement qui, dans le cadre du Protocole de Kyoto, étaient exonérés de tout engagement de réduction d’émissions et quasiment de tout rapport sur leurs émissions mais qui bénéficiaient des Mécanismes de Développement Propre (MDP) crédités aux pays développés qui les finançaient n’a pas nécessairement, comme en Chine, en Corée ou en Inde entraîné de diminution des émissions, bien au contraire.
 
Par ailleurs, imposer des taxes à l’émission, parfois difficilement objectivables et inégalement applicables ou appliquées, ne constituent pas, par nature, un incitant à les identifier et les déclarer, bien au contraire …
 
 
Face aux difficultés évidentes dans un tel contexte à définir, à mettre en place et à faire adopter un système fiable d’évaluation, de gestion et de taxation des émissions de ces GES, en particulier les émissions de CO2 issues de l’utilisation des énergies carbonées, fossiles ou non (pétroles, charbons, gaz, tourbes, bitumes, biomasse industrielle de chauffage (bois et pellets principalement), force est de constater que les discussions donnent l’impression de porter plus sur les moyens de traiter une hypertension alors que c’est un infarctus qui menace.
 
Le risque d’échec n’est donc pas le seul fait de la mauvaise volonté politique éventuelle de certaines parties prenantes (Etats, secteurs économiques et industriels, …), mais tout autant du fait de la nature des processus proposés pour maîtriser ces émissions difficiles à mesurer et donc à contrôler.
 

Le « Plan A » adopté à l’issue de l’Accord de Paris

 
Dans cette perspective, le Plan A adopté jusqu’ici consiste à envisager une taxation des émissions de carbone et, à cette fin, d’en créer un marché et un prix. Mais ce plan, malgré sa pertinence initiale, se heurte à un nombre croissant d’obstacles difficilement franchissables à la fois individuellement et, surtout dans leur ensemble et dont certains ont déjà fait la preuve de leur ampleur : impossibilité de quantifier et de répartir la multiplicité innombrable de leurs sources ; impossibilité de les réglementer et de les contrôler de manière suffisamment uniforme pour constituer un système opérationnellement et équitablement gérable. Ceci d’autant plus qu’en absence d’un « marché mondial » à la fois sur le plan politique et économique, les opportunités de contournements et de détournements, se révèleront, elles aussi innombrables.

Les quatre obstacles majeurs à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris

Le premier obstacle majeur est que d’une manière générale, des coûts importants ne sont pas intégrés dans les prix du marché des produits, y compris les combustibles, fossiles ou non, ou dans ceux des activités liées à leur usage : ceux notamment de leurs impacts environnementaux, en particulier climatique, ce que l’on nomme leurs « externalités ». Or si le prix de vente final de l’ensemble des produits fossiles ne comprend pas ces « externalités », cela revient à légitimer un système de ventes à pertes, ce qui devrait être considéré comme inacceptable, en particulier dans une optique d’économie libérale.
Pertes, non pas pour les entreprises, mais pour les Etats qui doivent assumer le coût de leurs impacts par l’endettement ou l’augmentation des taxes et charges sociales, ce qui leur est si amèrement reproché par ailleurs (10) … Et les offres de produits qui tentent dans le système actuel d’inclure ces externalités, en particulier climatiques, sont alors nécessairement plus chères que les prix de marché courant et souffrent dès lors d’une situation de concurrence déloyale empêchant leur développement au-delà de quelques marchés « niche ».
 
Le second obstacle majeur réside dans la définition du coût des « permis d’émissions » des combustibles fossiles, coût qui déterminerait un prix sur un marché du carbone. Deux systèmes majeurs de quota d’émissions devaient en théorie permettre d’y intégrer les très nombreuses petites sources diffuses d’émissions mais aussi de favoriser la transition vers des utilisations ou des activités ayant un impact climatique réduit, voire quai nul, et donc créer des conditions incitatives. Un peu comme un jeune ménage loue un « permis d’habiter », un logement avant d’investir plus durablement dans son acquisition.
 
Dans ce contexte, face à l’échec relatif mais patent de ce système, des réformes sont proposées, comme l’établissement d’un prix plancher du carbone au niveau européen.
Ce qui est déjà une option qui s’éloigne un peu d’un illusoire « prix du marché », illusoire du fait des subventions aux industries d’extraction de combustibles fossiles, de l’arbitraire dans l’attribution de « quota » d’émissions et des pressions multiples de lobbys politiques autant qu’industriels.
Les quotas, par exemple, sont attribués de façon relativement arbitraire, difficilement généralisables au plan mondial et à toutes les activités (ex : le chauffage des bâtiments responsables de près de la moitié des émissions, le kérosène utilisé en aéronautique dispensé de taxes, …), en particulier en situation de crise économique.
Cependant, le marché des quotas de CO2 a quand même favorisé des systèmes de « cap and trade » couvrant en 2016 10% des émissions, même si les règles s’appliquant à ces marchés sont incompatibles et ceux-ci ne pouvant dès lors être interconnectés.
Et comme le souligne de son côté Emilie Alberola, chef du pôle de recherche Marché du carbone et des énergies à la CDC Climat, les acteurs économiques ne sont pas suffisamment incités à faire les investissements de long terme (de 30 à 50 ans) qu’exigent la réduction des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre (GES), ce qui verrouille pour des décennies encore une véritable « décarbonisation » de l’énergie. Un marché des émissions de carbone ne constitue donc pas en soi un système cohérent, opérationnel et fiable mais surtout, il n’est fondamentalement pas incitatif à orienter vers une diminution drastique de leur ampleur, tout en offrant les moyens financiers nécessaires à une réelle transition énergétique.
 
Un troisième obstacle majeur est la nécessité d’obtenir des Etats les fonds nécessaires à la transition énergétique et promis dans le cadre des COP 21/22. Un objectif est de rassembler 100 milliards à l’horizon.
Les pays émergents sont appelés à fournir des moyens financiers sur base volontaire alors que beaucoup sont dépourvus de ressources, beaucoup d’autres (sur)endettés et d’autres encore plus que réticents à financer le système à la hauteur des enjeux, et malheureusement très souvent les promesses n’engagent que ceux qui les croient. On évoque aussi comme obstacle la forte disparité en matière d’émissions (de moins de 1 tonne à plusieurs dizaines de tonnes par habitant), mais il apparaît pourtant qu’un prélèvement proportionnel à la consommation de carbone favoriserait par essence les pays les moins « consommateurs » de carbone.
Si de nombreux pays s’engagent néanmoins à contribuer à ce financement, de nombreux pays en développement ont subordonné leur contribution à l’existence de soutiens financiers des pays développés. Le niveau de financement proposé atteint est donc loin de correspondre aux attentes, et surtout aux nécessités et une discussion internationale sur le partage d’un budget carbone mondial ou sur un prix mondial du carbone n’a que très peu de chance d’aboutir dans un monde composé d’États souverains disposant d’un droit de veto de fait.
 
Le quatrième obstacle majeur est la gouvernance des plans de transition énergétique. Quel que soit le plan, l‘établissement de principes revisités de gouvernance et d’éthique dans les modalités de leur application, de leur suivi et de leur contrôle, en particulier, financier est indispensable !
Le monde et les opinions publiques ont en effet besoin d’une recomposition paradigmatique majeure de la manière de constituer, de gérer et de contrôler les institutions nationales ou internationales, créées ou existantes, à tous les échelons de la gestion d’argent public. En témoignent les multiples scandales dans les organisations régionales, nationales ou internationales, gouvernementales ou non. Ceci implique la constitution d’un projet de Convention redéfinissant les règles de fonctionnement de ces institutions, projet dont l’importance et l’ampleur ne sont guère moindre que celles qui ont abouti à l’Accord de Paris. Elle serait le préalable à la mise en place d’une institution internationale indépendante mais rigoureusement contrôlable qui soit réellement en mesure de gérer efficacement la collecte des capitaux que constitueront les droits d’accise, leur attribution, leur distribution et leur utilisation dans la transition énergétique.
 
Tout cela étant dit, la difficulté qui n’est certainement pas la moindre dans le fait d’envisager un plan B pour consolider, voire sauver la phase opérationnelle de l’Accord de Paris pour en atteindre les objectifs en temps utile, est, pour chacun, d’être en mesure d’accepter l’idée même de prendre en considération cette évolution de paradigme copernicienne, et de remettre en cause des schémas bien établis dans les cerveaux, les organisations et les politiques mises en place.
Mais ce changement de paradigme est peut-être un jour ce qui apparaîtra devant l’urgence, comme la seule option à même d’éviter l’inévitable …
 

La proposition d’un « Plan B » alternatif : taxer les extractions plutôt que les émissions de carbone

Pour sortir de l’impasse ou éviter de s’y engouffrer plus avant, il est donc légitime sinon urgent d’envisager un réel changement de paradigme. Celui-ci, par une approche plus globale et plus intégrative des enjeux, génèrerait une dynamique qui soit intrinsèquement plus incitative que coercitive dans la mise en œuvre d’un plan réellement susceptible de rencontrer les objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et autres gaz à effet de serre. Des résultats qui s’imposent à la fois dans leur ampleur et dans le temps.
 
Dans la lignée de cette approche, la proposition développée ici consiste à substituer au principe de taxes à l’émission de carbone et autres GES un processus à deux composantes complémentaires et articulées :
 
a) D’une part, un prélèvement d’un Droit d’Accise (11) à l’Extraction de Carbone (AEC) et à la production primaire d’autres gaz à effet de serre (GES), issues des ressources carbonées fossiles ou d’autres sources, synthétiques ou non : agro-végétales et forestières, notamment.
 
Ce droit d’accise serait prélevé au niveau des entités extractives (sociétés, Etats) par une institution internationale créée à cet effet.
Généralisable au niveau des pays signataires de l’Accord de Paris, le prélèvement du Droit d’Accise sur base de quantités extraites, serait dès lors intrinsèque, et à priori relativement aisément objectivable, le nombre de sources d’extraction/production de ressources émettrices de GES étant infiniment plus faible et objectivable que celui des émissions consécutives à leurs usages.
Dans les cas où ce prélèvement à la source ne serait pas effectif, ce droit serait alors prélevé, sur le carbone, les produits ou services importés concernés, aux frontières des Pays Associés à l’Accord Mondial (PAAM) au même titre qu’une taxe, comme la TVA en Europe, qui est prélevée sur les importations.
Celui-ci serait défini moyennant la généralisation de systèmes de calcul de leur « externalité carbone » (matières premières et fabrication du produit, transport principalement), calcul réalisé à partir des méthodes d’analyse de cycles de vie à présent opérationnelles et qui seront évoquées par la suite. Cela empêcherait les Etats non signataires de se dérober à ses contraintes et constituerait par ailleurs un moyen de pression économique sur leurs propres activités en limitant leurs capacités d’échanges et d’exportations.
En outre, son produit éviterait aux Etats, déjà souvent (très) endettés de devoir s’engager à mobiliser directement les hypothétiques ressources financières indispensables aux plans de transition énergétique.
 
b) D’autre part, un mécanisme de redistribution des accises sous forme de subsides incitatoires lorsque ceux-ci peuvent être factuellement justifiés par des actions concrètes et vérifiables par une réduction ou une absence d’émissions de carbone ou de GES extraits ou produits en particulier dans l’industrie, les habitats, les transports ou l’agriculture.
Comme, par exemple, la cogénération d’énergie avec des sources renouvelables, la production de polymères et autres produits à très longue durée de vie et/ou non émissifs, la réduction des consommations d’énergie par les bâtiments et moyens de transport, ou encore la fixation ou de stockage ou la réutilisation durable du carbone et d’autres GES concernés.
Ce droit d’accise aurait l’avantage d’être insensible à des variations dans les quotas d’émissions attribués ou de cours sur des marchés inévitablement spéculatifs, comme dans le cas d’échanges de permis d’émission de CO2. La généralisation et le contrôle du prélèvement de ce droit d’accise à l’extraction/production de GES et son acquittement serait garanti par un mécanisme de traçage des sources, notamment lors des importations, tout comme on le pratique pour certaines filières alimentaires.
 
Ce volet rejoint sur ce point celui constitué de redistribution des subventions et taxes prévues dans la mise en œuvre du Plan A mais, dans ce cas, l’identification des émissions de carbone aurait moins le caractère coercitif de mener à une taxation « punitive » mais, au contraire, présenterait un caractère intrinsèquement incitatif en offrant, moyennant les contrôles appropriés, les moyens de réaliser des actions de réduction d’émissions et créer ainsi une réelle dynamique dans la réalisation opérationnelle d’une réelle transition énergétique.

Comment mettre en œuvre le « Plan B » d’Accise/Contre-Accise

1/ Par le Prélèvement du Droit d’Accise sur l’Extraction de Carbone (AEC)
 

Un droit d’accise fixé à 10 USD/baril (25 USD/t) sur les 30 giga-barils de pétrole extraits par an ne constituerait pas, avec un cours du baril variant entre 30 et 110 USD, un surcoût économique insurmontable pour les utilisateurs et consommateurs. On est loin en-dessous des prix du carbone entre 50 et 100 USD suggérés par le Think 20.
Cela permettrait de générer déjà à partir du seul baril de pétrole pas moins de 300 milliards USD (!) qui seraient alors disponibles pour financer les remboursements d’accise et les projets de transition énergétique telle que décidés déjà au Sommet de Copenhague … Si on y ajoute les apports financiers des Accises prélevées sur le charbon, la tourbe, le gaz naturel classique ou de schiste, la biomasse industrielle (bois et « pellets »), le produit des accises pourrait approcher le milliard d’euros !
Pour les pays – extracteurs ou utilisateurs de carbone fossile – qui refuseraient d’adhérer au système, la mise en place de mécanismes d’ajustement « carbone » aux frontières pour les pays sont, comme l’analyse W. Nordhaus (12), compliqués à concevoir l’enjeu consistant à évaluer le contenu de l’externalité « carbone » des produits ou services. Cependant, ces données seraient quand même plus facilement objectivables que la plupart des émissions diffuses et certains outils sont déjà opérationnels dans ce domaine (13).
 
2/ Par la mise en place d’une « taxe et marché du carbone » . Mais quelle limites ?
 
Une analyse économique française (14) considère le changement climatique comme une externalité, qu’il convient de faire internaliser par les émetteurs de GES qui implique la mise en œuvre d’un prix du carbone, à travers une taxe ou un marché. Déjà c’est pour la mise en œuvre du « Plan A » et afin notamment d’intégrer dans le choix des agents économiques le coût des externalités et internaliser les frais de leurs contraintes collectives, Jean Tirole, prix Nobel d’économie, préconise le prélèvement d’une « taxe carbone » à combiner avec un système de « Fonds verts » articulés avec le marché des permis d’émission, système dans lequel une organisation multilatérale attribuerait aux pays participants, ou leur vendrait aux enchères, des permis échangeables.
Dans ce système, les Etats non signataires seraient pénalisés par le biais d’accises prélevées aux frontières et gérées par l’OMC, la BCE ou une institution spécifique créée à cet effet. Ce système aboutirait à la fixation évolutive d’un « corridor » du prix du carbone. Mais les pays rejoignant le système ne s’engageraient que sur une base volontaire à assurer le suivi des initiatives prises pour le mettre en place.
 
Christian de Pertuis en a également repris l’idée(15) en soulignant qu’elle n’engendrerait pas de distorsion de concurrence mais que son application imposerait aux entreprises des comptabilités précises des flux de carbone associés à leurs activités, ce qui n‘est pas hors de portée, des instruments méthodologiques, comme les analyses de cycle de vie (ACV), rendant cette opération généralisable.
Dans ce contexte, sa proposition consistant à mettre en place un mécanisme de bonus-malus dont l’accord, intégrant les pays en développement, porterait d’abord sur les règles de redistribution de la taxe sur la tonne de CO2 émise avant d’en fixer le montant, pourrait s’appliquer au système basé sur l’accise prélevée à l’extraction du carbone. L’avantage du système bonus-malus étant, selon Ch. de Perthuis, de pouvoir se construire sur base d’une règle d’égalité, voire d’équité en matière d’impact climatique par habitant.
 
D’autres économistes, comme Weitzmann (2015) (16,) ont aussi avancé l’idée qu’il serait plus facile et plus efficace de se mettre d’accord sur une taxe carbone universelle. Une Commission qui comprenait treize économistes de neuf pays développés et en développement co-présidée par Joseph Stiglitz et Nicholas Stern (17) a conclu, à l’occasion du sommet Think2018 fin mai 2017 que, pour atteindre de manière efficace les objectifs climatiques de la communauté internationale tout en encourageant la croissance, il est impératif que les pays fixent un prix du carbone, avec l’objectif d’atteindre entre 40 et 80 dollars par tonne de CO2 en 2020, puis entre 50 et 100 dollars en 2030. Mais cette option reste intrinsèquement difficilement contrôlable et peut générer, comme les « paradis fiscaux » des déséquilibres compétitifs dont profiteront inévitablement les marchés et les entreprises.
 
Cependant, l’établissement d’un hypothétique « marché du carbone » reste bien aléatoire et les aménagements proposés, telle la taxe carbone, relèvent malheureusement de ce fait plus de l’emplâtre sur une jambe de bois que d’une stratégie globale et opérationnelle à la hauteur des enjeux et de leur urgence.
Aucune institution internationale existante n’a pour l’instant la légitimité pour imposer une taxe aux gouvernements nationaux ou pour contrôler sa bonne mise en œuvre dans tous les pays du monde. Un tel contrôle serait relativement complexe, puisqu’il faudrait vérifier que la taxe est bien appliquée et qu’elle n’est pas compensée par d’autres ajustements fiscaux sur les produits énergétiques. Un tel transfert de souveraineté fiscale de tous les pays ne semble pas réaliste, en particulier s’il doit s’appliquer à une taxation des émissions par essence « locales ».
C’est ici qu’apparait encore l’avantage, non négligeable du principe d’un droit d’accise ou taxe carbone à l’extraction qu’un système de contrôle et de « sanctions » serait, ici aussi, moins complexe que s’il devait s’appliquer au niveau du non-respect des limites d’émissions de carbone.
 
3/ En Intégrant les externalités du carbone dans le prix des produits et services non soumis au Droit d’accise à l’extraction
 
Intégrer le coût des « externalités » climatiques et environnementales, mais aussi sociales, du carbone dans les prix des produits et services serait un incitant complémentaire important pour assurer les transitions énergétiques et serait le moyen de couvrir les produits et services n’ayant pas été soumis en amont au Droit d’accise.
Cette intégration se ferait sans nécessairement augmenter les charges pour les producteurs, les utilisateurs et les consommateurs à partir du moment où ils adopteraient des solutions réduisant sélectivement leurs externalités, climatiques et autres. Une telle option rejoint notamment la proposition de taxe sur le carbone ajoutée (TCA) proposée par Laurent et Cacheux (19) pour contrôler les émissions de GES liées à leurs importations et le coût des externalités climatiques des produits importés (20).
 
Ces externalités climatiques, positives ou négatives, seraient calculées à partir d’outils déjà existants, comme les analyses de cycle de vie (Life Cycle Analysis ou LCA) ou d’autres outils en développement ou déjà développés dits de « monétarisation » de ces externalités notamment par la Fondation 2019 (21). Elles auraient notamment l’atout, de réduire des situations de concurrence déloyale soulignés précédemment en évoquant le premier obstacle majeur pour les acteurs ayant intégré des mesures de réduction des émissions de carbone.
En Europe, cela pourrait constituer une partie d’une TVA circulaire plus générale, qui intégrerait l’ensemble des externalités environnementales et sociales, directes ou indirectes, d’une activité ou d’un produit, comme par exemple celles définies dans le cadre des objectifs de développement durable du millénaire (22). Une première expérimentation d’une telle démarche a débuté récemment en France avec la participation de l’ADEME (’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) (23).
 
4/ Par le financement des transitions énergétiques par la redistribution de l’Accise sous forme de subsides incitatoires ou ‘contre-accises’
 
La mise en œuvre du procédé d’allocation ou primes au gain d’efficacité énergétique financé par le droit d’accise prélevé en amont, ou « Contre-accise », pourrait se faire au travers de la mise en place d’allocations incitatoires modulables au travers de la présentation par les bénéficiaires l’émission de certificats validés attestant de taux d’Intégration des Externalités Carbone (TIEC) d’une activité ou d’un usage émissif direct ou indirect de combustible fossile ou de GES. Ces certificats permettraient de différencier les produits, services et activités générant moins ou pas d’émissions de GES en allouant une prime au différentiel d’émissions ou au gain d’efficacité énergétique obtenu.
Ces mécanismes imposeraient, bien sûr, une structure à même de déterminer le mode d’attribution des allocations selon une grille de critères explicites et vérifiables.
 
A Copenhague, un Fonds Vert pour le Climat avait été créé sous l’égide de la Convention Climat et dont le mode de gouvernance a imposé de longues négociations. La CPLC (Carbon Pricing Leadership Coalition) (24) qui regroupe des gouvernements nationaux, régionaux, locaux, ainsi que des entreprises et des ONG et qui défendent la tarification carbone pourraient être intéressés par le principe de l’accise universelle.
 
Une banque mondiale du carbone fossile dotée des organes de gouvernance appropriés, et plus fiables dans leur contrôle que ceux de la plupart des institutions actuelles, serait sans doute une solution plus adaptée. Elle pourrait notamment comprendre un conseil de gouvernance ou de surveillance sous la forme d’un jury renouvelé régulièrement et constitué de membres tirés au sort, y compris parmi des représentants de la société civile selon une procédure, elle aussi, appropriée. La structure en charge de la définition des critères d’attribution des allocations pourrait être issue de certains groupes du GIEC et d’autres institutions compétentes en matière de technologies énergétiques, structure dotée, elle aussi des organes de gouvernance appropriés.

Les avantages du Plan B – Accises/contre accises

Un premier atout de la combinaison Droit d’Accise/Contre-accise est qu’elle est incitative par nature : peut-on imaginer processus potentiellement plus opérationnel ? Barak Obama avait également envisagé (quoique trop tardivement dans son second mandat …) une telle taxe sur le baril aux E.U. pour y financer la transition énergétique (25), taxe qui n’a évidemment pas soulevé l’enthousiasme des économistes …
Les premières objections de principe faites à cette approche consistent d’une part, à considérer que les pays producteurs seraient, par définition, opposés à une telle « taxation à la source » et, d’autre part, que celle-ci constituerait une forme de « permis de polluer » auquel certains sont opposés par principe. Ce à quoi il est possible de répondre que lorsqu’un pays ou une région comme l’UE, voire la communauté mondiale dans son ensemble, importe des produits. Il ou elle ne demande pas au pays d’origine son autorisation pour leur imposer une taxation : demande-t-on à la Chine l’autorisation d’imposer une TVA sur ses produits importés ?
Pour ce qui est des « permis de polluer », pour en juger, il faut considérer le processus dans son ensemble en prenant en compte les résultats des mécanismes de transition rendus possibles par l’allocation du produit du droit d’accise, forme de « permis de dépolluer », éventuellement combinés à des objectifs chiffrés de limite des émissions.
Plutôt que des compromis sociaux et environnementaux, voire constitutionnels, voilà sans doute ce qui devrait constituer le substrat de pactes tels le TAFTA ou, plus urgent, le CETA déjà bouclé avec le Canada et très bientôt soumis au vote du Parlement européen.
 
Ce « Plan B », en accordant ces « permis de dépolluer » permettrait de résoudre trois des points d’achoppement essentiels rencontrés par les négociateurs dans le paradigme du « Plan A » actuel :
1.- la quasi impossibilité de la mesure généralisée des émissions, compte tenu de leur diversité et multiplicité ;
2.- la non prise en compte de l’empreinte climatique liée aux émissions indirectes hors territoire liées aux importations/exportations de produits finis non soumis aux contraintes de l’Accord de Paris ;
3.- L’alimentation des Fonds Verts de transition énergétique qui ne devrait plus être assurée directement par les « Etats » c.à.d. les gestionnaires des « Biens Communs », charge difficilement supportable du fait des niveaux d’endettement public. Ne serait-il pas plus équitable qu’une part très significative des efforts soit assumée au travers des acteurs économiques qui ont bénéficient directement, et ceci depuis 2 siècles des « ventes à perte » de ces sources d’énergie ?
 
Reste à surmonter l’obstacle majeur déjà souligné qui n’est d’ailleurs pas propre aux enjeux de la gestion des transitions énergétiques, de la définition et de la mise en place de systèmes de gouvernance réellement fiables et opérationnels. Toutes les institutions, nationales et internationales gouvernementales ou non et tout le système économico-financier se trouvent à ce niveau également à la croisée des chemins comme en témoignent les « affaires », presque aussi innombrables que les sources d’émission de carbone …

L’obstacle vraiment majeur ?

Un refus de lucidité alimentant une inertie mentale face aux changements de paradigme …
Tout cela étant, une telle proposition est sans doute difficilement conciliable dans l’immédiat avec la « résistance au changement (26) » qui caractérise les parties prenantes tant politiques qu’économiques de nos sociétés dites avancées. Et même celle des scientifiques et citoyens que nous sommes.
 
Cette véritable inertie mentale alliée à un certain refus de lucidité (le « soyons optimistes »), à laquelle les acteurs impliqués ou mis en cause ne manqueront pas d’être confrontés, impose à chacun la volonté d’une remise en cause de ses repères traditionnels.
Cela passe notamment par la mobilisation et le soutien des opinions publiques quand elles seront enfin convaincues de l’urgence de la mise en œuvre d’objectifs et de moyens de réduction des émissions carbonées qui soient réellement à la hauteur des enjeux.
Même si cela est encore hypothétique, cela ne doit pas empêcher, dans l’esprit de Romain Rolland : « d’associer au pessimisme de l’intelligence, l’optimisme de la volonté ! »
 
Jacques de Gerlache et Romain Ferrari
 
(2) This document is also available in English
(3) Dr Sc Pharm, (éco)toxicologue, membre actif du Club de Rome – EU Chapter, manager de GreenFacts – www.greenfacts.org
(4) Président de la Fondation 2019 http://www.fondation-2019.fr
(7) de 550 à 5.600 milliards USD par an en fonction de la définition et du mode de calcul :
(8) C. de Perthuis & R. Trotignon. Le climat : à quel prix ? La négociation climatique. Odile Jacob, 2015.
(9) C. Gollier & J. Tirole « Negociating effective institutions against climate change. » Economics ofEnergy and Environmental Policy 4 (2015)
(10) Un exemple type du coût de ces externalités est celui, en France, du coût externe du traitement (épuration) des eaux de l’azote excédentaire issu de l’usage des engrais : 50% de quantités épandues ne sont pas captées par les plantes. Ce coût atteint 100 000 €/t alors que son prix de vente oscille entre 500 € et 1 000 € la tonne …
(11) Ce qui différencie un Droit d’Accise d’une taxe est que celui-ci est un prélèvement monétaire calculé sur base de paramètres objectivables et stables (ex : la tonne de produit) et non sur une valeur de marché (ex : le cours du baril).
(12) Nordhaus W. (2015), « Climate Clubs: Overcoming Free-Riding in International Climate Policy », American Economic Review,
(14) Analyse économique de l’Accord de Paris – Ministère français de l’économie et des finances TRÉSORÉCO – n° 187 – Décembre 2016 http://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-eco
(16) Weitzmann M.L. (2015), Internalizing the Climate Externality: Can a Uniform Price Commitment Help?.
(17) Constituée lors de la COP22 par la Coalition pour le leadership en matière de tarification du carbone (CPLC)
(18) soutenue par le Groupe de la Banque Mondiale et le gouvernement français – via le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire et l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie.
(20) En France, par exemple, depuis 1990, l’empreinte carbone a augmenté de 15% alors que les émissions directes ont décliné de 7% !
(21) Voir le projet de la Fondation 2019 content/uploads/2013/03/MISSION-TVA CIRCULAIREV20110216.pdf
(25) http://www.rff.org/blog/2016/environmental-merits-obama-s-oil-tax-proposal Taxing Oil: Good Climate Policy ? http://www.rff.org/blog/2016/taxing-oil-good-climate-policy
(26) Qui ne persiste pas à voir, 500 après Copernic, le soleil « se lever » dans le ciel alors que nous savons pourtant que c’est le mouvement de l’horizon qui le dévoile … ? https://www.youtube.com/watch?v=v_F20If0-P0
 

Nous avons un message pour vous…

Dès sa création, il y a plus de dix ans,  nous avons pris l’engagement que UP’ Magazine accordera au dérèglement climatique, à l’extinction des espèces sauvages, à la pollution, à la qualité de notre alimentation et à la transition écologique l’attention et l’importance urgentes que ces défis exigent. Cet engagement s’est traduit, en 2020, par le partenariat de UP’ Magazine avec Covering Climate Now, une collaboration mondiale de 300 médias sélectionnés pour renforcer la couverture journalistique des enjeux climatiques. En septembre 2022, UP’ Magazine a adhéré à la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.

Nous promettons de vous tenir informés des mesures que nous prenons pour nous responsabiliser à ce moment décisif de notre vie. La désinformation sur le climat étant monnaie courante, et jamais plus dangereuse qu’aujourd’hui, il est essentiel que UP’ Magazine publie des rapports précis et relaye des informations faisant autorité – et nous ne resterons pas silencieux.

Notre indépendance éditoriale signifie que nous sommes libres d’enquêter et de contester l’inaction de ceux qui sont au pouvoir. Nous informerons nos lecteurs des menaces qui pèsent sur l’environnement en nous fondant sur des faits scientifiques et non sur des intérêts commerciaux ou politiques. Et nous avons apporté plusieurs modifications importantes à notre expression éditoriale pour que le langage que nous utilisons reflète fidèlement, mais sans catastrophisme, l’urgence écologique.

UP’ Magazine estime que les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de la crise climatique sont systémiques et qu’un changement sociétal fondamental est nécessaire. Nous continuerons à rendre compte des efforts des individus et des communautés du monde entier qui prennent courageusement position pour les générations futures et la préservation de la vie humaine sur terre. Nous voulons que leurs histoires inspirent l’espoir.

Nous espérons que vous envisagerez de nous soutenir aujourd’hui. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à offrir un journalisme de qualité, ouvert et indépendant. Chaque abonnement des lecteurs, quelle que soit sa taille, est précieux. Soutenez UP’ Magazine à partir d’1.90 € par semaine seulement – et cela ne prend qu’une minute. Merci de votre soutien.

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