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L’Amazonie à un point de bascule : elle réchauffe l'atmosphère de la Terre au lieu de la refroidir

L’Amazonie à un point de bascule : elle réchauffe l’atmosphère de la Terre au lieu de la refroidir

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Ce n’est un secret pour personne que la plus grande forêt tropicale du monde, l’Amazonie, subit une pression immense, s’approche d’un point de basculement écologique et risque de s’effondrer. Mais la situation est bien pire que nous ne le pensions. Des scientifiques suggèrent que l’avenir sombre de l’Amazonie est déjà là, dans le sillage de la déforestation galopante. Une nouvelle recherche — l’évaluation la plus complète de l’influence du bassin amazonien sur le climat mondial à ce jour — a révélé qu’avec les incendies, la sécheresse et le défrichage, la forêt libère plus de gaz qui piègent la chaleur qu’elle n’en stocke dans les plantes et le sol. De ce fait, elle réchauffe l’atmosphère de la Terre au lieu de la refroidir.

Historiquement, la forêt amazonienne a été l’une des plus importantes sources de séquestration du carbone de la planète, absorbant des milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère chaque année. Pendant des décennies, les scientifiques nous ont mis en garde de ne pas prendre ce service crucial pour acquis, avertissant que dans seulement 15 ans, l’Amazonie pourrait connaître le sort d’autres grandes forêts et devenir une gigantesque source de gaz à effet de serre. Une nouvelle recherche dévastatrice montre que ce sombre scénario a probablement déjà commencé.

Le point de non-retour sera atteint en 2035

Cela signifie que l’Amazonie est très probablement en train de réchauffer l’atmosphère de la Terre, et non de la refroidir, et cet effet inquiétant ne devrait que s’amplifier. De plus, on ne peut plus compter sur la jungle pour aider à compenser les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines, à savoir la combustion de combustibles fossiles, qui dilapident notre dernier budget carbone mondial.

Une étude révolutionnaire publiée ce 11 mars dans la revue Frontiers in Forests and Global Change suggère que la forêt amazonienne dégage au moins autant de gaz à effet de serre qu’elle n’en séquestre. L’analyse, menée par plus de 30 chercheurs d’Amérique du Nord et du Sud, est la première à évaluer le cycle cumulatif de tous les gaz réchauffant la planète que la jungle émet par rapport à ce qu’elle aspire et stocke dans les plantes et le sol. Ce qui distingue cette recherche, c’est que, contrairement aux études précédentes, elle comptabilise tous les gaz réchauffant le climat qui circulent dans le bassin amazonien et dans l’atmosphère, et évalue les impacts directs des activités humaines sur l’une des plus grandes réserves de carbone de la planète.

« Couper [la forêt] interfère avec sa capacité d’absorption du carbone ; c’est là le problème », a déclaré à National Geographic l’écologiste et auteur principal Kristofer Covey, du Skidmore College de New York. « Mais lorsque vous commencez à examiner ces autres facteurs à côté du CO2, il devient vraiment difficile de ne pas voir que l’Amazonie dans son ensemble réchauffe significativement le climat mondial. »

Dans l’ensemble, les études écologiques et les recherches sur le climat du bassin de l’Amazone se sont concentrées sur l’absorption et le stockage du CO2 par la forêt, et ce à juste titre —le CO2 constitue la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre de l’humanité —, qui, en Amazonie, sont largement dues à la dégradation de la forêt.

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La perte de forêt en Amazonie est si grave que certains scientifiques ont estimé que la forêt tropicale pourrait passer d’un puits de carbone à une source de carbone libérant plus de CO2 qu’elle ne peut en contenir dès 2035.

Les chercheurs craignent également qu’avec l’augmentation des activités illégales de défrichement, la région se rapproche rapidement d’un « point de basculement » catastrophique où l’Amazonie serait poussée au bord du gouffre et se transformerait en un tout autre écosystème, beaucoup plus sec. 

Il n’y a pas que du CO2

Mais le CO2 n’est pas le seul facteur influençant le climat de la Terre, et le bassin amazonien n’est pas non plus simple à étudier, avec ses forêts montagnardes, ses zones humides de mangrove et ses systèmes fluviaux à cheval sur neuf pays d’Amérique du Sud.

Bien que les termes soient souvent utilisés de manière interchangeable, le carbone n’est que l’un des nombreux gaz à effet de serre qui circulent dans la forêt tropicale biodiversifiée d’une surface de 5,2 millions de kilomètres carrés soit plus de huit fois un pays comme la France. Ces dernières années, les chercheurs ont découvert que les arbres, en particulier ceux des zones humides tropicales, émettent une quantité surprenante de méthane (CH4), un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le carbone à court terme. Ces gaz ne restent pas aussi longtemps dans l’atmosphère que le CO2, mais ils sont bien plus puissants en tant que gaz à effet de serre — certains comme l’oxyde nitreux (N2O), piégeant 300 fois plus de chaleur par molécule que le CO2.

Le sol séquestre naturellement l’oxyde nitreux (N2O), mais lorsqu’il devient plus sec et plus dégradé en raison de l’exploitation forestière et du changement climatique, il peut libérer plus de gaz qu’il n’en absorbe. Et lorsque les éleveurs allument des feux de forêt pour dégager de l’espace pour l’élevage du bétail, ils ne libèrent pas seulement du dioxyde de carbone, mais aussi du carbone noir, une forme de particules qui contribuent à réchauffer la planète.

Une étude historique

En analysant les données existantes sur les émissions de gaz à effet de serre et les effets combinés des impacts humains dans tout le bassin de l’Amazone, les chercheurs ont montré comment l’Amazonie aggrave probablement le changement climatique en émettant plus de gaz qu’elle n’en absorbe naturellement.  L’équipe a passé en revue des dizaines d’études antérieures sur ces innombrables processus, élaborant l’évaluation la plus complète à ce jour de l’effet de la forêt amazonienne sur le climat.

Jamais auparavant une étude du bassin de l’Amazone n’avait évalué les données de manière à prendre en compte l’ensemble des interactions entre la forêt et le climat, ce que les auteurs de l’étude ont qualifié de « tâche intimidante » et de « défi central limitant notre compréhension de l’impact climatique global de l’Amazonie ». L’analyse à l’échelle de l’écosystème entre aussi dans les moindres détails, car étant donné l’immensité du bassin amazonien, même des changements apparemment minimes dans la quantité de gaz à effet de serre absorbée ou libérée par la forêt (et ses sols riches en microbes) s’ajoutent à des bouleversements massifs dans l’ensemble de l’écosystème.

Massacres en Amazonie

Les sécheresses prolongées diminuent la capacité de l’Amazonie à absorber le CO2, et augmentent les risques de feux de forêt — qui ont brûlé en 2019 à un rythme record. Tout comme les incendies illégaux allumés pour défricher des terres, ces feux de friches transforment les arbres en particules de suie qui absorbent la lumière du soleil et font monter le niveau des températures atmosphériques.

Pendant ce temps, la déforestation menée par l’industrie, en hausse de 60 % depuis 2012 en Amazonie brésilienne, déboise des milliers de kilomètres carrés de forêt chaque année pour l’exploitation minière et l’agriculture, bouleversant les sols, modifiant le régime des pluies et augmentant la quantité de lumière solaire que l’Amazonie renvoie dans l’atmosphère où les gaz à effet de serre n’attendent que cela pour réchauffer la planète.

Si l’on ajoute à cette équation la construction de barrages, les pratiques d’extraction minière, les inondations saisonnières, les tempêtes violentes, le compactage des sols pour les terres agricoles et le pâturage du bétail — autant de facteurs qui modifient la forêt et ses émissions — on comprend comment les chercheurs ont pu arriver à une conclusion aussi catastrophique.

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Les chercheurs ont découvert que, malgré le cliché généralement admis selon lequel la jungle amazonienne constitue les poumons de la Terre, elle produit en réalité probablement plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en aspire. Certes l’équipe reconnaît que ses résultats comportent un degré élevé d’incertitude, qu’elle attribue au manque de données sur certaines parties de l’Amazonie, en particulier ses systèmes fluviaux sinueux, et aux caractéristiques écologiques uniques d’une forêt si grande qu’elle crée son propre climat. Pourtant, même avec les données disponibles, le résultat retentissant de leur analyse est que l’Amazonie libère plus de gaz qui piègent la chaleur qu’elle n’en stocke, créant un effet de réchauffement net dans l’atmosphère terrestre.

Un cycle infernal qu’il est encore possible d’inverser

La poursuite de la destruction de l’Amazonie ne pourrait qu’accélérer cette tendance. La déforestation affaiblit la capacité de la forêt à absorber le carbone et rend le sol encore plus malsain, ce qui l’amène à produire davantage d’oxyde nitreux. Lorsque les forêts sont laissées à nu, elles absorbent également plus de chaleur du soleil, ce qui peut assécher davantage le sol et les arbres et les amener à émettre encore plus de gaz à effet de serre. Et la crise climatique — elle-même alimentée par de nombreuses industries à l’origine de la déforestation — augmente le réchauffement dans la région, amplifiant cet effet. Tout ceci pourrait bouleverser l’Amazonie, et dérégler encore plus l’équilibre des gaz à effet de serre de la planète.

Il n’est pas trop tard pour inverser la tendance, mais à bien des égards, nous allons dans la mauvaise direction. Jusqu’au début de la pandémie de Covid 19, les émissions mondiales de gaz à effet de serre étaient en constante augmentation, et on s’attend à ce qu’elles fassent un retour en force, entraînant un réchauffement encore plus important de la planète, y compris de l’Amazonie. Les choses ont également empiré au niveau régional. Comme le notent les auteurs, sous le président brésilien Jair Bolsonaro, le taux de déforestation en Amazonie a atteint son plus haut niveau depuis 12 ans. Ces changements ont été ruineux pour la biodiversité de la région et les 30 millions d’autochtones qui y vivent depuis des dizaines de milliers d’années.

Le plus grand facteur de l’impact futur de la forêt tropicale sur le climat est la façon dont nous décidons d’aller de l’avant. Comme les climatologues l’ont clairement indiqué, il nous reste une fenêtre pour maîtriser le changement climatique et éviter la destruction humaine et planétaire. Cela nécessitera un effort mondial pour réduire les émissions. Il est plus urgent que jamais de protéger l’Amazonie, et cela passe par la réduction de la déforestation et le rétablissement des droits fonciers des autochtones.

Au Brésil, certains changements positifs pourraient se profiler. La semaine dernière, l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, qui a mis en place de nombreuses réformes audacieuses pour protéger l’Amazonie pendant son mandat, a été blanchi des accusations de corruption, ce qui signifie qu’il peut défier Bolsonaro pour récupérer la présidence. Un mince espoir pour l’Amazonie.

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