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Ces bateaux de croisière sont des géants des mers, de véritables villes flottantes avec leurs immeubles de plusieurs étages, centres commerciaux, piscines, discothèques et casinos. Tout pour amuser des dizaines de milliers de touristes venus entrapercevoir quelques-uns des plus beaux sites côtiers du monde. La semaine dernière un de ces mastodontes a perdu le contrôle et a provoqué la panique dans le canal de la Giudecca à Venise. Émoi dans les médias du monde. Pourtant, le danger que représentent ces bateaux géants est encore plus grave que cet accostage raté. Selon une étude publiée ce 4 juin, ces bateaux de croisière font partie des pollueurs les plus forcenés : le seul leader mondial, Carnival Corporation, avec ses 94 bateaux, émet dix fois plus de dioxyde de souffre que les 260 millions de voitures européennes. Une menace pour l’environnement mais aussi et surtout pour la santé humaine.
Carnival Corporation, le plus grand organisateur de croisières de luxe au monde, à la tête d’une flotte de 94 navires, a émis près de dix fois plus d’oxyde de soufre (SOX) autour des côtes européennes que les 260 millions de voitures européennes en 2017. Ce constat accablant est le résultat d’une analyse de l’ONG Transport & Environment publiée ce 4 juin. Royal Caribbean Cruises, le deuxième plus grand organisateur mondial, armateur du plus gros paquebot du monde, le Symphony of the Seas, long de 362 mètres et capable d’accueillir plus de 8000 passagers, monte sur la deuxième marche du podium, avec une pollution quatre fois supérieures à celle du parc automobile européen.
Les émissions de SOX forment des aérosols sulfatés (SO4) qui augmentent les risques pour la santé humaine et contribuent à l’acidification des milieux terrestres et aquatiques. En 2015, des chercheurs allemands avaient documenté les risques pour la santé des émissions polluantes de ces navires géants. Ils en avaient conclu qu’ils étaient responsables de plus de 60 000 décès prématurés par an en Europe (1).
Selon l’étude de T&E, l’Espagne, l’Italie et la Grèce, suivies de près par la France et la Norvège, sont les pays européens les plus exposés à la pollution atmosphérique SOX des navires de croisière, tandis que Barcelone, Palma de Majorque et Venise sont les villes portuaires européennes les plus touchées, suivies par Civitavecchia (Rome) et Southampton. Ces pays sont ainsi exposés parce qu’ils sont des destinations touristiques majeures, mais aussi parce qu’ils ont des normes moins strictes en matière de combustibles soufrés marins, ce qui permet aux navires de croisière de brûler les combustibles les plus polluants tout au long de leurs côtes.
Faig Abbasov, responsable de la politique maritime chez T&E, pointe le danger : « Les bateaux de croisière de luxe sont des villes flottantes alimentées par le carburant le plus sale possible. Les villes interdisent à juste titre les voitures diesel sales, mais elles donnent carte blanche aux compagnies de croisières qui rejettent des vapeurs toxiques qui causent des dommages incommensurables tant à bord qu’à proximité. C’est inacceptable. » En effet, ces navires utilisent un fioul lourd, c’est-à-dire peu raffiné, qui émet beaucoup plus d’émanations toxiques que le diesel des automobiles qui est pourtant bien décrié.
Le soufre n’est pas le seul polluant dégagé par ces navires. L’oxyde d’azote (NOX), un gaz extrêmement toxique est rejeté en masse. Les 203 navires de croisière recensées sur les côtes européennes en 2017 ont émis 150 000 tonnes de NOX. À Marseille, par exemple, 57 paquebots de croisière ont émis en 2017 presque autant de NOX qu’un quart des 340 000 voitures particulières de la ville. Malgré une pollution atmosphérique croissante, imputée pour une large part aux bateaux de croisière, la cité phocéenne vise toujours la place de premier port de croisière méditerranéen. Une panne touristique apportée par 2 millions de passagers payée au prix fort pour la santé des marseillais.
Le long des côtes de pays tels que la Norvège, le Danemark, la Grèce, la Croatie et Malte, une poignée de navires de croisière sont également responsables de plus de NOX que la majorité de leur parc automobile national.
L’ONG appelle l’Europe à mettre en œuvre dès que possible une norme portuaire à émission zéro, qui pourrait ensuite être étendue à d’autres types de navires. Le rapport recommande également d’étendre au reste des mers européennes les zones de contrôle des émissions (OCE), qui ne sont actuellement en place que dans les mers du Nord et de la Baltique et en Manche. En outre, le rapport recommande de réglementer les émissions de NOX des navires existants, qui sont actuellement exemptés des normes d’émission de NOX applicables dans les zones de contrôle des émissions.
Faig Abbasov conclut : « Il y a assez de technologies matures pour rendre moins sales les bateaux de croisière. L’électricité à terre peut contribuer à réduire les émissions dans les ports, les batteries sont une solution pour les distances plus courtes et la technologie de l’hydrogène peut alimenter même les plus grands navires de croisière. Le secteur des croisières n’est apparemment pas disposé à faire ce virage de son plein gré, de sorte que nous avons besoin que les gouvernements interviennent et imposent des normes d’émissions nulles ».
Le gouvernement français a initié un groupe de travail pour convaincre l’Organisation maritime internationale de classer le pourtour méditerranéen et les côtes atlantiques en zones d’émission contrôlée de soufre (SECA). L’objectif est de réduire le taux de soufre autorisé à moins de 0.5 %. Il faut préciser que la réglementation actuelle autorise les navires à émettre 1.5 % de soufre. Par comparaison, le taux autorisé pour le diesel des voitures est de 0,001 % soit 1500 fois moins ! Les navires de croisière bénéficient d’un laxisme réglementaire qui ne peut plus durer. Un bras de fer entre intérêts des armateurs de bateaux de croisière et santé humaine qui ne fait que commencer.
(1) voir aussi : Sofiev, M. et al., (2018) Cleaner fuels for ships provide public health benefits with climate tradeoffs, Nature Communications, volume 9, Article number: 406 (2018)
Image d’en-tête : Le Symphony of the Seas en escale à Marseille
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