Dans un contexte de tension croissante sur l’approvisionnement en ressources critiques, la coopération entre la France et le Japon dans le domaine des terres rares apparaît comme une initiative à la fois intelligente et porteuse d’avenir. Ce partenariat innovant, combinant recyclage et extraction responsable, illustre une stratégie visionnaire pour garantir un accès durable à ces éléments essentiels aux technologies modernes. Il ouvre également la voie à d’autres collaborations industrielles internationales, visant à renforcer la sécurité économique et environnementale des chaînes d’approvisionnement. Le site ambitionne de produire 15 % du total mondial de certains des métaux les plus recherchés.
Les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiques métalliques comprenant le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides. Bien que leur nom suggère une rareté, ces éléments sont en réalité relativement abondants dans la croûte terrestre, mais souvent dispersés et difficiles à extraire en quantités exploitables.
Les terres rares sont essentielles à de nombreuses technologies modernes, notamment dans l’électronique, l’aérospatiale, la défense et les énergies renouvelables. Elles sont notamment utilisées pour la fabrication d’aimants permanents haute performance présents dans les éoliennes et les moteurs de véhicules électriques, ainsi que dans les écrans de smartphones, les lasers et certains catalyseurs industriels. L’aimant aux terres rares est devenu incontournable par la miniaturisation qu’il permet et est bien plus puissant que son ancêtre en ferrite. Ce qui les rend « rares », c’est le procédé chimique employé pour les isoler de leurs minerais et les purifier à un haut niveau de pureté, préalable indispensable à leur utilisation.
Comme l’explique l’IREF, « Les terres rares sont devenues des matières premières majeures pour les nouvelles technologies. Qu’il s’agisse des aimants, des composants pour les batteries ou pour les équipements médicaux, elles sont désormais essentielles à nos économies. Cependant, il faut tenir compte d’un problème politique actuel : la Chine contrôle la large majorité de leur production. Avec les tensions entre l’Occident et Pékin liées au durcissement du régime chinois, il est de plus en plus périlleux de laisser de tels éléments stratégiques entre les mains d’un adversaire géopolitique. La diversification de leur production doit devenir une priorité. D’autant que la France a le potentiel pour être un acteur majeur dans ce domaine grâce à son espace maritime. »
Selon une étude de l’IFRI, le marché des terres rares est une niche économique évaluée à 9 milliards de dollars. Le volume de matières premières produites et vendues est faible (150 000 tonnes par an à comparer avec 2,29 milliards de tonnes de fer). Mais il alimente des industries représentant un total de 7000 milliards de dollars.
Les réserves connues de terres rares sont concentrées dans quelques pays. Selon les données de l’U.S. Geological Survey en 2020, la Chine en possède 44 millions de tonnes, le Vietnam et le Brésil 22 millions chacun, la Russie 12 millions, l’Australie 3,3 millions, les Etats-Unis 1,4 millions et le Groenland 1,5 millions. Toutefois, la plupart de ces pays n’exploitent pas leurs ressources. En 2019, la Chine, avec 132 000 tonnes produites, représentait 62% du marché, les Etats-Unis, avec 26 000 tonnes, étaient les seconds, à 12%. Suivaient la Birmanie (dont les réserves ne sont pas connues) et l’Australie avec respectivement 22 000 et 21 000 tonnes, soit 10,3% et 9,9% de la production. Des pays possédant de grandes réserves comme le Brésil, le Vietnam ou la Russie n’ont pas investi dans ce secteur permettant de peser dans le marché mondial. (Source : IREF)
Un projet stratégique franco-japonais
Face à la demande croissante et aux tensions géopolitiques autour de l’approvisionnement en terres rares, la France et le Japon collaborent pour développer une alternative durable et sécurisée. La société Carester, fondée en 2019 et basée à Lyon, prévoit la construction d’une usine de raffinage de terres rares lourdes à Lacq, dans le sud-ouest de la France (Pyrénées-Atlantiques), qui démarrera fin 2026. Un site déjà connu pour ses exploitations de pétrole et de gaz puisqu’il se trouve sur un site de TotalEnergies, près de Pau.
L’usine de raffinage, appelée « Caremag« , traitera 2 000 tonnes d’aimants recyclés et 5 000 tonnes de minerai brut afin de produire des oxydes de terres rares individuels, indique Carester à l’AFP. Selon l’entreprise, ce sera « le premier recycleur européen de terres rares et le plus gros producteur occidental de terres rares lourdes séparées, avec 600 tonnes d’oxydes de dysprosium et terbium, soit environ 15 % de la production mondiale actuelle, et 800 tonnes d’oxydes de néodyme et praséodyme ». Ces éléments résistent dans le temps à la démagnétisation, et sont un élément stratégique de la transition énergétique, car ils permettent d’équiper aussi bien des véhicules électriques que des éoliennes (50 % du marché pour ces deux secteurs).
La première pierre symbolique de construction de l’usine de recyclage des terres rares a été posée ce 17 mars 2025. La Communauté de communes Lacq-Orthez se réjouit du développement sur son territoire d’un « projet d’économie circulaire au service du développement durable et de la transition énergétique ».
Ce sera la « première usine de recyclage et de séparation de terres rares lourdes au monde hors de Chine », explique le PDG de Carester, Frédéric Carencotte.
Ce projet bénéficie du soutien des gouvernements japonais et français, dans le cadre de la coopération signée le 1er mai 2024 entre le ministre japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) et son homologue français, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Le METI investira environ 100 millions d’euros via l’Organisation japonaise pour la sécurité des métaux et de l’énergie (JOGMEC), tandis que la France apportera environ 106 millions d’euros sous forme de subventions et de crédits d’impôt. « Cet investissement s’accompagne de la signature d’un accord d’achat à long terme pour la fourniture au Japon d’oxydes de terres rares lourdes produits par Caremag », indique le PDG de Carester.

La diplomatie des ressources : un enjeu crucial
Au-delà du financement, cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large de « diplomatie des ressources ». Cette approche consiste à sécuriser l’approvisionnement en matières premières critiques en établissant des partenariats internationaux et en diversifiant les sources d’extraction. En coopérant, la France et le Japon cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis de certains pays producteurs, notamment la Chine et à assurer une chaîne d’approvisionnement plus résiliente.
L’un des objectifs de cette diplomatie est d’encourager les pays producteurs de terres rares à garantir un accès stable et durable à ces ressources. Cette stratégie permet également de favoriser les technologies de recyclage, comme l’intégration d’aimants recyclés dans le projet de Caremag, pour limiter l’impact environnemental de l’extraction.
La stratégie de « diplomatie des ressources » est utilisée par plusieurs pays pour sécuriser l’accès aux matières premières stratégiques. La Chine est le principal producteur et exportateur mondial de terres rares (environ 70 % de l’offre mondiale). Elle utilise sa position dominante pour influencer le marché mondial et renforcer ses relations diplomatiques. Elle a notamment restreint ses exportations à certains pays en réponse à des tensions géopolitiques, comme en 2010 avec le Japon. Aujourd’hui, Pékin cherche à contrôler toute la chaîne de valeur, du minerai brut aux produits finis (aimants, composants électroniques).
Autre exemple, celui des États-Unis qui veulent réduire leur dépendance à la Chine. Le Pentagone finance des projets d’extraction et de raffinage sur le sol américain, comme celui de la société MP Materials au Nevada. Washington signe aussi des accords avec l’Australie et le Canada pour diversifier ses sources d’approvisionnement.
L’Australie, quant à elle, est devenue un acteur émergent, un acteur clé grâce à ses vastes réserves de terres rares. L’entreprise australienne Lynas est le plus grand producteur hors de Chine et collabore avec le Japon et les États-Unis pour diversifier l’approvisionnement mondial. L’Australie cherche aussi à renforcer ses liens avec l’UE et l’Inde.
Le Japon opère une diplomatie proactive. Il a développé une stratégie de diplomatie des ressources après les restrictions chinoises de 2010. Il investit dans des projets à l’étranger, notamment en Australie, en Asie du Sud-Est et en Afrique, pour sécuriser ses importations. L’implication du Japon dans le projet Caremag en France s’inscrit dans cette stratégie.
Quant à l’Union européenne, elle préconise une approche collective. L’UE a lancé le Critical Raw Materials Act en 2023 pour sécuriser l’accès aux matières premières critiques, dont les terres rares. L’Europe négocie des accords avec des pays producteurs comme le Canada, l’Australie et plusieurs États africains. L’UE finance aussi des projets de recyclage et de production en interne pour réduire sa dépendance aux importations.
La diplomatie des ressources est donc devenue un enjeu majeur pour les grandes puissances. L’objectif est toujours le même : garantir un approvisionnement stable et réduire la dépendance à un fournisseur unique. Avec la transition énergétique et l’essor des technologies vertes, cette bataille pour les ressources stratégiques ne fera que s’intensifier.
Un projet symbole de la coopération industrielle
Ce partenariat franco-japonais représente une avancée majeure dans l’industrie des minéraux critiques. Il incarne une nouvelle approche de l’approvisionnement en terres rares lourdes, indépendante d’un fournisseur unique et plus respectueuse des enjeux environnementaux. Avec ce projet, la France et le Japon affirment leur volonté de construire une industrie plus sécurisée et durable, tout en renforçant leur coopération économique et diplomatique.
Ainsi, l’usine de Lacq n’est pas seulement un site de production ; elle devient un symbole de la transition vers une gestion plus stratégique et responsable des ressources essentielles à notre avenir technologique et vers une volonté de souveraineté industrielle européenne.
Photo d’en-tête : © Peggy Greb / US DEPARTMENT OF AGRICULTURE / SCIENCE PHOTO LIBRARY