C’est une première victoire qui en appelle d’autres car, ce lundi 9 novembre, les ministres du commerce des pays de l’UE, réunis en vidéoconférence, devaient enclencher le processus de ratification de l’accord de libéralisation du commerce entre l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Cela ne sera pas le cas : alors que la présidence allemande de l’UE en avait fait une priorité, aucun vote n’aura lieu en raison des trop vives oppositions exprimées dans de nombreux pays. Une première victoire de l’opinion publique contre les lobbies.
Jamais un accord de libéralisation du commerce n’avait été aussi contesté ! Grace notamment à une mobilisation citoyenne de rejet de plus en plus massive : selon un sondage publié le 10 septembre dernier, réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne), près de 80% des personnes interrogées veulent que l’accord UE-Mercosur soit abandonné (1). On ne veut plus de cette mondialisation néolibérale et productiviste « voitures contre bétail », y compris au sein de plusieurs Parlements nationaux (Autriche, Wallonie, Pays-Bas, Irlande). Ce rejet empêche aujourd’hui la Commission européenne et les lobbies économiques de parvenir à leurs fins.
Après vingt ans de négociations, c’est une première victoire pour les organisations de la société civile qui ne cessent d’alerter l’opinion publique et les gouvernements sur les dangers sociaux, écologiques, sanitaires et même de droits humains que porte l’accord UE-Mercosur.
Rien que durant cette semaine (2-9 novembre), près de 100 000 messages ont été envoyés à Emmanuel Macron, et aux ministres Jean-Yves Le Drian, Franck Riester, Clément Beaune et Julien Denormandie pour les exhorter à prendre les dispositions nécessaires pour obtenir l’abandon de l’accord UE-Mercosur à Bruxelles.
Cette mobilisation s’étend également aux collectivités territoriales. Ainsi, Grenoble s’est déjà déclaré « en faveur de l’abandon de l’accord UE-Mercosur et en faveur de la relocalisation écologique et solidaire » (2).
Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne « la relocalisation, notamment de notre alimentation, ne pourra être effective et généralisée sans des politiques de régulation des marchés et de protection économique du monde paysan qui passent par le refus de ce genre d’accords ».
A l’échelle européenne, plus de 1850 collectivités locales membres de la « Climate Alliance » viennent aussi de s’opposer à l’accord avec le Mercosur.
Ce lundi 9 novembre, plus de 190 économistes expliquent dans une lettre ouverte combien les données produites par la Commission européenne pour justifier des gains économiques attendus d’un tel accord sont fragiles, alors que d’autres études « montrent que l’impact net réel de la libéralisation du commerce sur les revenus, l’emploi, la productivité du travail, l’innovation et la compétitivité pourrait bien être négatif ». Ils appellent la Commission à mener une étude d’impact plus sérieuse, dans une lettre ouverte.
Pour l’association AITEC, cet accord de libéralisation du commerce entre l’UE et les pays du Mercosur n’aurait jamais dû être promu et soutenu par les États-membres, dont la France : « Cet accord approfondirait un peu plus une globalisation économique et financière que rejette une part croissante de l’opinion publique et qui a été profondément délégitimisée par la pandémie de Covid19. L’heure n’est plus celle d’une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales (ouverture des marchés, protection de leurs intérêts) un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et droits des populations. Ce projet d’accord entre l’UE et le Mercosur empêche la relocalisation de notre système agricole, alimentaire et économique à laquelle aspirent les populations. Il est temps que revoir en profondeur la politique commerciale européenne et s’engager à garantir les droits de tou.te.s les citoyen.nes – y compris la santé, les droits des travailleurs, les agriculteurs, etc.- et la protection de la planète.»
Pour Maxime Combes, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’AITEC et porte-parole d’Attac France, « Emmanuel Macron et le gouvernement doivent faire à Bruxelles ce qu’ils disent à Paris : “stopper net” l’accord UE-Mercosur plutôt que tenter de sauver un accord suranné, dangereux et profondément rejeté par l’opinion ».
Dix raisons documentées de s’opposer à l’accord UE-Mercosur sont exposées sur leur site, pour comprendre pourquoi un tel accord déstabiliserait les marchés agricoles, détruirait des emplois, sacrifierait les droits humains et les libertés publiques sur l’autel du commerce international, aggraverait les dérèglements climatiques et la pollution aux pesticides, …
Pour autant, beaucoup de décideurs européens cherchent encore à sauver l’accord UE-Mercosur et envisagent annexes ou autres ajouts à la marge dans une tentative désespérée de rassurer sur des sujets comme la déforestation. Pour Karine Jacquemart, directrice de foodwatch France, « les risques sont très clairs : déforestation, droits des populations, mais aussi pour notre agriculture et notre alimentation (OGM, résidus de pesticides, etc). Un passage en force de cet accord serait un pur scandale et totalement anti-démocratique ».
Quant à Anne Bach de la Fédération ActionAid France – Peuples Solidaires, « cet accord nous fait courir de trop grands risques pour l’avenir sans apporter un avantage utile aux populations concernées : déforestation et atteinte grave à la biodiversité, non-respect des droits humains, production d’une agriculture hors normes sanitaires ». En effet, la libéralisation partielle, voire totale, de produits à hauts impacts environnementaux comme la viande, le soja ou la canne à sucre nécessaire à la production d’éthanol, … auraient immanquablement un effet considérable sur la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre.
C’est donc hors de question : il faut abandonner ce projet d’accord avec le Mercosur et, avant toute chose, réviser en profondeur la politique commerciale européenne.
Nicolas Roux, porte-parole des Amis de la Terre estime que « l’accord UE-Mercosur appartient à un autre temps. Il ignore les enjeux auxquels nos sociétés font face aujourd’hui, tels que la crise climatique. Le tout pour le bénéfice d’une élite du milieu des affaires. Il faut le rejeter et refonder le commerce sur d’autres valeurs ».
Pour Andrée Desvaux du Réseau Roosevelt, « le temps est venu d’arrêter cette mondialisation qui ne profite qu’à une partie de la population, produit des inégalités de plus en plus marquées et des »délaissés » parmi les professions des plus utiles et les moins bien reconnues, chez les petits agriculteurs et les habitants des banlieues ou des territoires ruraux ».
Chez Greenpeace, c’est son directeur, Jean-François Julliard, qui maintient qu’ « il est urgent que la France acte définitivement l’abandon de cet accord qui engendrera indubitablement une hausse de la déforestation dans des écosystèmes qui battent déjà des records de destruction ».
On dirait bien que l’heure n’est plus celle d’une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales un objectif supérieur aux droits des populations et à la protection de la planète.
[1] Sondage YouGov (sumofus.org/eu-mercosur-poll) – Plus de 3 sondés sur 4 contre l’accord UE-Mercosur ! Qu’attend Emmanuel Macron ?
[2] Voeu voté par la ville de Grenoble le 2 novembre 2020 « Pour la relocalisation écologique et solidaire » : https://www.grenobleencommun.fr/voeux-pour-la-relocalisation-ecologique-et-solidaire/
Pour aller plus loin :
- Lettre ouverte (29 juin 2020) : 265 organisations appellent l’UE et les États-membres à rejeter l’Accord UE-Mercosur.
- Accord UE-Mercosur : derrière la confusion, où en est-on ? Réponse en 10 questions.