Lactalis est depuis quelques jours sur le devant de la scène. Son lait pour nourrisson s’est révélé contaminé par la salmonelle. Accident industriel comme il en arrive beaucoup mais qui prend ici une tournure particulière. L’affaire Lactalis devient le contre-exemple absolu de ce qu’il ne faut pas faire en communication de crise. Le culte du secret, le « pour vivre heureux vivons caché » ne tient plus dans notre époque de transparence et de fulgurance des informations. Analyse d’un désastre.
Le leader mondial du lait et du fromage, Lactalis, basé à Laval en Mayenne, est un champion français de l’industrie agroalimentaire, dont le pilotage familial, dur et secret, a suscité depuis plusieurs années une cascade de controverses en France. Régnant sur environ 55% de la production de camembert AOP de Normandie au lait cru et sur 90% du camembert industriel au lait pasteurisé avec ses marques Président, Lanquetot ou Lepetit, Lactalis est toujours dirigé par les descendants d’André Besnier, artisan fromager installé en 1933 à Laval. Avec 246 sites de production dans 47 pays, 75.000 collaborateurs dans 85 pays, dont 15.000 en France, le groupe a grandi par acquisitions successives, dont l’une des plus importantes fut la prise de participation dans Parmalat en Italie.
Le catalogue de marques de Lactalis est aussi long qu’un rayon crémerie d’hypermarché : d’abord Lactel pour le lait, puis La laitière, Flanby, Sveltesse, Yoco, Viennois pour les yaourts et desserts lactés, et Bridel ou President pour le beurre. En fromages, le tableau est encore plus fourni : outre Président, Lanquetot et Lepetit, Lactalis produit aussi Chaussée aux moines, Lou Pérac, Salakis, Rondelé, Roitelet, Rouy, ainsi que le roquefort Société, et d’autres encore.
Ne publiant jamais aucun chiffre financier, même au greffe du tribunal de commerce, le groupe est critiqué pour son goût du secret, notamment sur ses coûts de revient. Alors que la famille Besnier figure à la huitième place des premières fortunes de France selon le magazine Forbes, le groupe justifie sa discrétion par les contraintes de la concurrence internationale et du « marché mondial » du lait.
Seul chiffre qu’il consent à livrer, son chiffre d’affaires annuel de 17,3 milliards d’euros est réalisé à 58% en Europe, 21% en Amérique, 14% en Océanie, et 7% en Afrique.
Sans contact avec la presse ni avec les pouvoirs publics, inconnu des salariés qui jurent ne « même pas connaître sa tête », l’actuel Pdg Emmanuel Besnier, 48 ans, est « à la limite de la paranoïa » estimait l’Expansion dans une enquête en mai 2015. Le magazine relatait alors que M. Besnier assistait aux matches du Stade Lavallois, le club de foot de la ville qu’il finance, « depuis sa loge derrière des vitres fumées ».
Emmanuel Besnier
La crise laitière de 2015, après la suppression des quotas laitiers, a assombri un peu plus l’image du groupe, illustrant à lui tout seul les contradictions de la mondialisation alimentaire. Lactalis a été accusé par les éleveurs et les syndicats agricoles de leur payer le lait à des prix trop bas qui ne leur permettaient même plus de couvrir leurs frais de production, et de refuser toute discussion. Le bras de fer a été l’une des raisons de la convocation des États généraux de l’alimentation, achevés en décembre, pour tenter de desserrer l’étau.
Dans la crise que vit aujourd’hui Lactalis, la spécialiste de la communication de crise Caroline Faillet, cofondatrice du cabinet Bolero et auteur en 2016 de l’Art de la Guerre Digitale (Dunod), relève trois erreurs anachroniques.
Cette entreprise ne semble pas avoir compris que la mauvaise communication est aujourd’hui moins pardonnée que la faute elle-même. En effet, si la faute se juge sur le terrain technique par les experts, la responsabilité aux yeux de l’opinion se joue dans la communication. La perception de culpabilité résidera non dans la réponse que l’entreprise apporte sur le fond mais dans sa posture de gestion de la crise. Par conséquent, la culpabilité assumée est même parfois plus vertueuse que l’innocence qui se dérobe.
Michel Edouard Leclerc l’a parfaitement compris en étant le premier à annoncer, en toute transparence, que son entreprise avait failli dans le retrait des produits incriminés. Son implication personnelle dans les média, sa prise de position sur les réseaux sociaux, l’exposant à la vindicte populaire, forcent en réalité l’admiration des internautes devant un courage devenu rare.
Aujourd’hui, le vrai délit est celui de sembler vouloir cacher une information au public ou de ne pas prendre la mesure de l’émotion générée dans l’opinion. Or si Lactalis a reconnu les faits et affiche une information claire et accessible sur son site Internet, c’est bien dans sa posture de communication qu’elle accumule les faux-pas.
Au cœur de cette crise, la santé du nourrisson, sujet éminemment émotionnel, aurait dû agiter les radars de la direction de la communication de Lactalis. Le communiqué, sobrement intitulé « information consommateur » dans la rubrique « rappel produit » du site Internet ne montre guère d’empathie. Sur le site de la marque de lait infantile, Milumel, le message d’excuse aux parents paraît sincère. Mais dans tous les cas, la forme -un simple message texte qui crée une distance- ne sert pas le fond. Il y a des postures qui apaisent et d’autres qui enveniment une situation déjà anxiogène à la base. Certaines postures d’humanité, d’authenticité ne peuvent être tenues que via des canaux de communication qui créent la proximité. Or en ne disposant ni de page Facebook, ni de compte Twitter, Lactalis et ses marques semblent dire à l’opinion qu’ils lui tournent le dos.
Lactalis a eu beaucoup de chance : chance qu’il n’y ait pas eu de cas mortel, chance qu’il n’y ait pas eu de rumeurs de décès, chance que des photos de nourrissons malades n’aient pas circulé, chance que le calendrier ait été de leur côté, en rappelant les produits juste avant les fêtes, chance qu’aucune pétition portée par une victime n’ait été lancée. Mais ces scénarios auraient dû être envisagés et, en conséquence, auraient dû amener la direction de Lactalis à se doter des outils numériques adéquats. Une présence sur les réseaux sociaux leur aurait permis d’ouvrir le dialogue avec l’opinion, de se montrer au jour le jour dans l’action en train de prendre les mesures nécessaires dans l’usine de Craon, de rassurer les parents prodiguant les précautions à adopter, etc. A minima, c’était l’opportunité de réactiver le compte Twitter du directeur de la communication dont la dernière publication de juillet 2015 nous invite à … célébrer la vie avec un verre de lait. On imagine quelle reprise catastrophique aurait donné cette phrase en cas de drame humain.
Mais ce sont les mots en vidéo sur Twitter d’Emmanuel Besnier, le PDG de Lactalis dont la discrétion est légendaire, qui auraient bien sûr eu le plus de poids. Face à une telle émotion, la proportionnalité de la réponse de l’entreprise est fondamentale et la parole du dirigeant revêt une importance symbolique. D’autant que Lactalis n’en est pas à sa première crise. En matière d’acceptabilité morale dans l’opinion, Lactalis a fauté pour avoir refusé un prix décent aux éleveurs en janvier 2017, licencié des agriculteurs après leur témoignage sur France 2 en février. Rajoutez une image du château d’Emmanuel Besnier et cette entreprise est en passe de devenir le mal incarné.
On peut désormais prévoir la suite du scénario : une crise en escalier. Une crise où chaque incident négligé, comme celui-ci, génère un peu plus de retombées et cristallise un peu plus négativement l’opinion jusqu’à ce que l’entreprise devienne inaudible et, comme dans le cas du Lévothyrox, que l’emballement populaire dicte sa décision au gouvernement et à la distribution, et décide de l’avenir des produits de cette entreprise à sa place !
C’est sans doute le sens de la déclaration faite par le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, à l’issue de l’entretien où il avait convoqué le président de Lactalis le 12 janvier : « J’ai d’abord demandé à M. Besnier de faire preuve de davantage de transparence, car je pense que la transparence est un gage de confiance pour les consommateurs et l’ensemble des Français »
Il faut rappeler que, selon les Echos, le patron de Lactalis avait refusé, le 9 décembre, la demande du directeur de cabinet du ministre de l’économie de procéder au retrait des produits contaminés. Bruno Le Maire, qui avait donné vingt-deux heures au PDG pour s’exécuter, a donc été contraint de prendre un arrêté pour faire retirer de la vente 600 lots de lait infantile. Jusqu’à présent, Le PDG, qui a repris en 2000 l’entreprise familiale , n’a cure des avertissements des politiques. Selon le journal Le Monde, « l’industriel est 100 % privé. Il ne réclame, de ce fait, rien à l’Etat« . Difficile donc pour ce dernier de tenter de faire pression sur le groupe agralimentaire.
Si ce n’est l’Etat, ou les agriculteurs, ou les distributeurs, les consommateurs pourraient-ils, eux, faire plier ce géant ?
Fabienne Marion, avec Caroline Faillet, Netnologue, cofondatrice du cabinet Bolero
(Source : AFP)
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