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Arme du blé : la famine menace le monde

Arme du blé : la famine menace le monde

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Le blé, le maïs, l’huile de tournesol, le soja ou l’orge ukrainiens nourrissent la planète. Avec l’arrêt des exportations en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des millions de personnes dans le monde pourraient souffrir de la faim.

C’est le printemps, le temps des semis et les espoirs de belles moissons. Mais cette année, semer blé, tournesol et sarrasin est devenu pour les agriculteurs ukrainiens une véritable gageure. Des millions d’hectares de leur riche terre sont abandonnés ou sillonnés par les chars russes marqués d’un Z menaçant.

Avec la guerre menée par Poutine en Ukraine, le monde assiste à une crise humanitaire sans précédent en Europe, avec son lot de bombardements et de déplacés. Mails il est une autre crise qui menace cette fois l’ensemble du monde : une crise alimentaire. Une part importante de l’alimentation mondiale – blé, maïs, huile de tournesol, soja et orge en particulier, mais aussi volailles et œufs – provient en effet d’Ukraine, dont la production représente 15 % du marché alimentaire mondial. Parmi les principaux importateurs figurent l’Inde, la Chine, l’Égypte, la Turquie, la Pologne et l’Allemagne. Or cette année, le moteur agroalimentaire ukrainien est à l’arrêt. Le sud de l’Ukraine, où la guerre fait rage, est déjà en train de rater la saison des semis. L’Est, où les combats sont les plus intenses, concentre une grande partie des terres agricoles de l’Ukraine, comme les régions particulièrement fertiles de Kherson et de Mykolaïv.

Selon l’économiste et spécialiste de l’agriculture Andriy Yarmak interrogé par le média en ligne ukrainien The Kyiv Independent, il se passera des mois avant que l’Ukraine puisse exporter quoi que ce soit, et des années pour qu’elle retrouve ses niveaux de production d’avant la guerre.

Les terres agricoles utilisées comme une arme

Selon le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, la Russie s’en prendrait délibérément à l’approvisionnement alimentaire de l’Ukraine afin de créer la famine dans le pays. L’agence Euractiv souligne que ce dernier a établi un parallèle entre la situation actuelle et la grande famine des années 1930, l’« Holodomor ». L’Holodomor, combinaison des mots ukrainiens « famine » et « causer la mort », fait référence à la famine intentionnellement provoquée en Ukraine soviétique de 1932 à 1933, entraînant la mort de millions d’Ukrainiens et de Kazakhs par manque de nourriture.

Le commissaire européen a déclaré en effet que les attaques délibérées de la Russie à l’encontre des infrastructures agricoles ukrainiennes lui avaient été confirmées à de multiples reprises par ses homologues ukrainiens, notamment lors de discussions avec le ministre ukrainien de l’Agriculture, Roman Leshchenko. « Il n’y a qu’une seule interprétation [des actions de la Russie], c’est qu’elle veut créer la famine et l’utiliser comme moyen d’agression », a affirmé le commissaire lors d’une conférence de presse marquant le dévoilement de la communication de l’exécutif européen sur la sécurité alimentaire, mercredi (23 mars). M. Wojciechowski a déclaré que la Russie avait délibérément ciblé de grands élevages de volailles, ce qui a eu des « conséquences dramatiques » pour l’environnement.

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Dans le même temps, le commissaire européen chargé du Commerce, Valdis Dombrovskis, a déclaré que la Russie « semble cibler et détruire délibérément les stocks et le stockage de nourriture de l’Ukraine ».

« L’agression incessante de la Russie ne signifie pas seulement davantage de pénuries alimentaires pour les Ukrainiens qui souffrent, elle signifie également des ruptures d’approvisionnement qui affectent le monde entier, en particulier les pays à faibles revenus qui doivent maintenant payer plus cher leurs importations de produits alimentaires de base », a-t-il averti.

Ce faisant, M. Wojciechowski a déclaré que la Russie utilisait les terres comme une « arme ». « Ces terres sont utilisées comme une arme contre son propre peuple, elles sont utilisées comme une arme de famine contre les personnes les plus vulnérables du monde », a-t-il expliqué, ajoutant que ce n’est « pas la première fois » que la Russie utilise cette méthode consistant à s’attaquer au système alimentaire pour créer la famine.

Explosion de l’or jaune

Il ne fait pas de doute que l’invasion de l’Ukraine par Poutine, qui a provoqué une flambée des prix des matières premières, entraînera des difficultés généralisées. Le prix élevé du blé fera exploser les budgets au Moyen-Orient, ce qui laissera les citoyens affamés. En Afrique subsaharienne, la hausse des prix du blé et du pétrole mettra à rude épreuve des économies déjà fragiles. Cette crise qui pointe est de nature explosive. Elle ne peut que mener à des troubles graves au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans le continent sub-saharien.

« Vous avez un certain nombre de pays, notamment au Maghreb, qui sont incroyablement dépendants des importations ukrainienne et russe, expliquait le ministre de l’Agriculture Julien de Normandie sur La Chaîne parlementaire le 28 mars dernier. Pour l’Égypte c’est plus 80% de la consommation en blé. »

Aujourd’hui, sur le continent africain, le blé russo-ukrainien est partout. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre 2018 et 2020, 32% du blé provenait de Russie et 12% d’Ukraine. Ils se partagent à eux deux près la moitié des importations ! « Pas moins de 25 pays africains, dont de nombreux pays peu développés, importent plus du tiers de leur blé des deux pays, et 15 d’entre eux importent plus de la moitié » précise l’organisme dans un communiqué.

Cet or jaune est une ressource capitale dans ces régions. En Afrique subsaharienne, la consommation de pain a explosé ces dernières années avec les changements d’habitudes alimentaires liés à l’urbanisation et le développement des classes moyennes. Le pain remplace progressivement le riz. Dans les pays d’Afrique du Nord, du Proche et Moyen-Orient, il est depuis longtemps un aliment phare : « pain » et « vie » se disent de la même façon en arabe rappelle le ministre Julien de Normandie.

Le spectre de la famine

Dans ces pays, « la guerre en Ukraine rend impossible pour le moment de semer comme il se devrait » précise le ministre de l’Agriculture. Selon lui, la tendance devrait s’aggraver significativement d’ici 12 à 18 mois : « Cette situation va créer une crise alimentaire, des situations sanitaires gravissimes dans plusieurs pays, et à coup sûr des conséquences politiques massives. » Début mars, l’ONU mettait même en garde sur la possibilité d’un « ouragan de famine » : « le nombre mondial de personnes sous-alimentées pourrait augmenter de 8 à 13 millions de personnes en 2022/23 […] Si la guerre dure, les impacts iront bien au-delà. »

A la crise géopolitique faisant risquer une guerre généralisée, la question des difficultés d’accès aux ressources alimentaires de base se trouve exacerbée par une autre crise, celle du climat. La sècheresse exceptionnelle qui s’abat en ce moment même en Afrique du Nord affecte sérieusement les productions locales. Le Maroc notamment fait face à sa pire sècheresse depuis 40 ans. Même chose en Somalie et dans toute la Corne de l’Afrique.

Les sécheresses à répétition généralisent la faim dans certains des pays les plus pauvres de la planète. Le sud de Madagascar connaît sa pire sécheresse depuis quatre décennies. Selon le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, David Beasley, la crise alimentaire à Madagascar se développe depuis des années : « Il y a eu des sécheresses consécutives qui ont poussé les communautés au bord de la famine. » Plus d’un million de Malgaches se sont retrouvés en situation d’ « insécurité alimentaire », sans accès à « une nourriture suffisante, sûre et nutritive », a-t-il déclaré. Il est catégorique quant à la raison : « Ce n’est pas à cause d’une guerre ou d’un conflit ; c’est à cause du changement climatique. »

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Alors que les catastrophes se succèdent, certains évoquent les récits des 10 fléaux de l’Ancien Testament, envoyés par Dieu pour punir l’humanité de son mal. Même le fléau des sauterelles ne manque pas à l’appel : Il y a tout juste un an, la Grande Corne de l’Afrique et le Yémen ont connu la plus grande invasion de criquets pèlerins depuis 25 ans, déclenchée par des pluies record. Rien qu’en Éthiopie, plus de 356 000 tonnes de céréales ont été perdues, laissant près d’un million de personnes en situation d’insécurité alimentaire.

Mobilisation internationale

À l’occasion des sommets (OTAN, Conseil européen) en fin de semaine dernière, Emmanuel Macron a annoncé la mise en œuvre de l’initiative Farm pour Food on Agriculture Résilience Mission. Une mission qui vise à venir en aide aux pays les plus affectés par la crise ukrainienne, en libérant les stocks de blé et de céréales dans les pays producteurs, notamment en exportant davantage, et de stimuler la production.

« Nous sommes en train d’entrer dans une crise alimentaire sans précédent » a déclaré le présent français Emmanuel Macron.  Il a insisté sur la nécessité de produire plus en Europe, mais aussi sur le sol des pays les plus dépendants.

Lors de ces sommets, l’UE et les États-Unis, deux des principaux donateurs en matière d’aides alimentaires dans le monde, se sont engagés financièrement à aider les pays en difficultés. Les Etats-Unis ont annoncé vouloir fournir plus de 11 milliards de dollars (soit 10 milliards d’euros) au cours des cinq prochaines années tandis que l’UE s’est dite prête à consacrer au moins 2,5 milliards d’euros à la coopération internationale en matière de nutrition pour la période 2021-2024.

Au niveau des instances internationales, l’Organisation des Nations Unis (ONU) a répondu présent via son Programme alimentaire mondial (PAM) qui entend débloquer 595 millions de dollars pour faire face à l’urgence. Enfin le Fonds monétaire international (FMI) « se tient prêt à aider les pays africains à remédier aux répercussions de la guerre, et à les accompagner dans la conception et la mise en œuvre de réformes en leur prodiguant des conseils, en contribuant au développement de leurs capacités et en leur accordant des prêts » déclare sa Directrice générale Kristalina Georgieva.

Avec Euractiv

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