L’humanité est en bonne voie pour atteindre les 11 milliards de personnes d’ici à la fin du siècle, selon de récentes données fournies par l’ONU. Le problème est somme toute assez simple : les humains sont à l’origine de tous les problèmes de « durabilité ». Si l’homme n’existait pas, il n’y aurait pas d’impacts humains néfastes. En supposant que vous ne souhaitiez pas la disparition de la race humaine – un désir nourri par certains mouvements écologistes extrêmes et Sir Hugo Drax, un méchant vu chez James Bond – alors la question clé reste de savoir s’il existe un nombre optimal d’hommes pour la Terre.
Dès qu’on s’interroge sur la croissance démographique, les travaux de l’économiste et pasteur anglican Malthus refont surface. Son Essai sur le principe de population, publié à la fin du XVIIIe siècle, est devenu une référence. Selon Malthus, les populations évoluent au regard de trois facteurs déterminants : la fertilité – le nombre de personnes nées ; la mortalité – le nombre de personnes décédées ; la migration – le nombre de personnes entrant ou quittant une population donnée.
Un pasteur nommé Malthus
Malthus observe qu’un nombre plus important de naissances que de décès conduirait à une croissance démographique exponentielle impossible à satisfaire, même avec des rendements agricoles intensifiés. Cette croissance incontrôlée conduirait inévitablement à la famine, entraînant des disparitions massives. Si Malthus avait raison au sujet de la croissance exponentielle, il s’est en revanche trompé sur son impact désastreux.
Puisque nous réfléchissons au niveau de la planète, laissons de côté l’aspect migration, vu qu’il n’existe pas pour l’instant d’échanges de populations interplanétaires. La hausse considérable du nombre total d’êtres humains résulte donc d’un déséquilibre entre les taux de fécondité et de mortalité.
Rendements agricoles accrus
En se plaçant sur une échelle de temps longue, les récentes évolutions démographiques donnent le tournis. Et cette courbe ascendante met en péril la « capacité porteuse » de la planète. Ce chiffre de 11 milliards pourrait cependant représenter un pic avant d’amorcer une baisse vers la fin XXIe siècle.
Cela nous conduit à examiner la première erreur de Malthus : il n’avait en effet pas vu que le processus d’industrialisation et de développement économique qui avait permis d’infléchir le taux de mortalité pourrait être également responsable de la chute de la fertilité. L’amélioration du niveau de vie, l’accès à une éducation de qualité et à l’autonomie, tout particulièrement pour les femmes, ont eu un impact fort sur la taille des familles. Cette même transition démographique s’observe, avec des variations, dans la plupart des pays du globe.
Ceci explique peut-être comment des populations parviennent à surmonter une croissance insoutenable, mais il reste toutefois remarquable que la Terre ait pu fournir suffisamment pour une population qui a connu une croissance de 700 % quelques siècles seulement. Ce fut la seconde erreur de Malthus. Il ne pouvait tout simplement pas concevoir l’incroyable intensification des rendements agricoles rendus possibles par l’industrialisation.
Sept milliards d’humains à nourrir
La « révolution verte » qui a permis de multiplier par quatre la productivité agricole depuis le milieu du XXe siècle a été rendue possible grâce à l’irrigation, aux pesticides et aux engrais.
Qu’on soit omnivore, végétarien ou végétalien, en un sens, nous sommes tous des consommateurs d’énergies fossiles, car la plupart des engrais sont produits grâce au procédé Haber. Cette méthode permet d’obtenir de l’ammoniac (nécessaire à l’élaboration des engrais) en faisant réagir à des températures et des pressions élevées l’azote avec de l’hydrogène atmosphérique. Or tout qui nécessite de la chaleur réclame de grandes quantités d’énergie ; l’hydrogène étant dérivé du gaz naturel, le procédé Haber a donc besoin d’énormément de combustibles fossiles. Si l’on inclut la production, la transformation, l’emballage, le transport, la commercialisation et la consommation, on comprend mieux pourquoi la part du système alimentaire dans la consommation totale d’énergies représente plus de 30 %, tout en contribuant aux émissions mondiales de gaz à effet de serre à hauteur de 20 %.
Quatre défis majeurs
Si l’agriculture industrialisée peut aujourd’hui nourrir sept milliards d’êtres humains, qu’est-ce qui nous empêche de penser que cela pourrait être possible pour 11 milliards de personnes ? Si la famine n’intervient pas dans ce scénario, bien d’autres problèmes pourraient surgir dans un tel cas de figure.
Certaines recherches suggèrent d’abord que la production alimentaire mondiale stagne. La révolution verte n’est pas aujourd’hui à bout de souffle, mais les innovations telles que les OGM, l’irrigation optimisée ou encore les fermes souterraines ne suffiront pas.
Deuxièmement, les rendements agricoles élevés que l’on connaît aujourd’hui supposent des approvisionnements importants et bon marché en phosphore, en azote et en combustibles fossiles – pétrole et gaz principalement. Si la pénurie de phosphore minéral ou d’huile n’est pas pour demain, ils sont cependant de plus en plus difficiles à obtenir, ce qui les rend plus coûteux. Le chaos qui a touché les systèmes alimentaires mondiaux en 2007-2008 donne une idée de l’impact que peut avoir la hausse des prix des denrées alimentaires.
Troisièmement, le sol est menacé. L’agriculture intensive qui exploite sans relâche les champs conduit à son inéluctable érosion. L’utilisation d’engrais peut ralentir cette dégradation, mais pas indéfiniment.
Quatrièmement, il n’est pas sûr que nous puissions maintenir les rendements à leur niveau actuel dans un monde qui doit faire face au changement climatique. C’est au moment où nous aurons le plus grand nombre de personnes à nourrir que des inondations, des tempêtes, des sécheresses et autres conditions météorologiques extrêmes pourraient impacter très négativement la production alimentaire. Afin d’éviter un changement climatique néfaste, il nous faut conserver la majorité des gisements de combustibles fossiles de la Terre dans le sol… ces mêmes combustibles fossiles dont notre système de production alimentaire raffole.
Si l’humanité veut avoir un avenir, il va falloir s’attaquer simultanément à tous ces défis. L’objectif est de minimiser nos effets sur ces processus naturels qui nous fournissent non seulement de la nourriture, mais aussi l’eau que nous buvons et l’air que nous respirons. Des enjeux bien plus grands que ceux envisagés par Malthus en son temps.
James Dyke, Lecturer in Complex Systems Simulation, University of Southampton
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Photo : ©Reuters