Les vertus du poisson pour la santé sont largement démontrées. Pourtant, de plus en plus en consommateurs se demandent aujourd’hui s’ils peuvent encore en manger, face à l’urgence de protéger les ressources marines. Ils ont du mal à s’y retrouver parmi les différents discours qu’on leur tient. Entre la surpêche qui décime certaines espèces, celles dont les stocks sont suffisants et celles qui sont gravement menacées, comment s’y retrouver et se nourrir sans culpabiliser ?
Le Huffington Post le dénonce ce jour : « Avec les pollutions et les impacts des changements climatiques, la surpêche, notamment la pêche thonière industrielle, est la principale cause de l’état alarmant de la biodiversité marine. Depuis 1970, la quantité de thons, maquereaux et bonites a diminué de trois quarts […]On y retrouve tous les problèmes de la surpêche : des techniques de pêche trop intensives et destructrices, un manque de contrôle, de la pêche illégale, l’absence de limites de captures ou de quotas, des données scientifiques peu fiables, mais aussi un partage inéquitable des bénéfices de cette ressource, ainsi que des problèmes sociaux et de respect des droits humains. » Voilà le décor planté.
Que fait-on pour enrayer le manque d’éthique de la surpêche ? C’est à nous, consommateurs, de jouer notre rôle : ne pas manger n’importe quoi ! Ne pas acheter n’importe quoi, n’importe où. Pour guider et aider nos choix, certains entrepreneurs ont fait le leur : offrir des produits respectueux de la biodiversité des océans. C’est le cas de Thomas Canetti, créateur en 2009 d’une gamme de produits de la mer de qualité, tout en restant fidèle à ses valeurs et à ses convictions personnelles,contre la surexploitation et la pêche industrielle. Entretien.
Thomas Canetti et saumon bio d’Irlande ©regal.fr
Thomas Canetti, pourriez-vous nous dire quelques mots sur vous et sur votre parcours ?
Après des études d’ingénieur, j’ai rejoint des grands groupes chez qui j’ai appris beaucoup de choses, mais sans trouver la flamme qui allait continuer à me faire avancer : d’une part pendant deux ans chez Veolia lors de mon service civil à Londres, et pendant cinq ans chez L’Oréal à Paris, dans des fonctions logistiques, commerciales et enfin marketing. J’ai donc suivi une formation complémentaire en business, où j’ai pu travailler sur des projets entrepreneuriaux (déjà dans l’alimentation), et c’est là que la « graine de l’entreprenariat » a été plantée. Malgré cela, j’ai voulu travailler pendant quelques années dans le conseil. J’y ai finalement passé trois années, pendant lesquelles je me suis particulièrement intéressé aux énergies renouvelables, à l’entreprenariat social, et au changement climatique à travers les rapports du GIEC et le rapport STERN. Enfin, c’est également là que j’ai suivi la formation Bilan Carbone de l’Ademe, et que j’ai mûri le projet FOOD4GOOD.
A 33 ans et après de belles expériences, j’ai ressenti le besoin de remettre du sens dans mon activité professionnelle et de prendre mon destin en main.
Le prix Nobel de la paix reçu par Muhammad Yunnus en 2006 a été un événement très important, car il mettait en lumière le modèle de social business qu’il avait développé au Bangladesh, modèle qui traçait la voie à la reconnaissance que le business peut servir des causes nobles.
Quelle est la génèse de FOOD4GOOD ?
Depuis que je suis tout petit, je suis un amoureux de la nature. J’ai eu la chance de pouvoir voyager… Observer les orangs outangs à Bornéo, les albatros des Galápagos ou encore nager avec les baleines à bosse, ont été des expériences extraordinaires. Je crois que la richesse inouïe de la nature doit nous inciter à faire preuve de beaucoup d’humilité et à œuvrer à la préservation de cette biodiversité. Par ailleurs, j’aime déguster de bonnes choses, et j’avais aussi envie de faire (re)découvrir les saveurs du bon poisson. C’est dans cet esprit que j’ai créé ce projet.
En 2008, de plus en plus d’amis et de proches me demandaient quel poisson ils pouvaient choisir. Ils avaient tous entendu les problèmes sur le thon rouge et d’autres espèces, et avaient envie de faire attention à ce qu’ils achetaient. Mais ils n’arrivaient pas à trouver une réponse claire chez le poissonnier ou en magasin… Plus généralement, j’ai constaté que les consommateurs ont pris conscience de l’urgence de la protection des ressources marines, et sont un peu perdus face à ce problème : l’offre est encore très complexe, qui croire, que croire ?… Des ONG ont lancé des campagnes, des guides informatifs des espèces consommables mais les informations ne sont pas claires… J’ai donc décidé de créer ce concept afin d’offrir une gamme complète, simple et claire de poissons que l’on peut consommer en gardant la conscience tranquille.
Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Pas facile d’expliquer la naissance d’un nom… Je voulais que la marque évoque le fameux slogan « bon pour vous, bon pour la planète », et cela m’est naturellement venu comme cela : FOOD4GOOD, la nourriture pour faire le bien, pour se faire du bien. Le « 4 » permettait également de mettre en avant quatre engagements forts que je souhaitais prendre vis-à-vis de nos clients. Enfin, notre emblème est un albatros qui vient de pêcher et tient un petit poisson dans son bec. L’albatros est un oiseau mythique, dont plusieurs espèces sont aujourd’hui en danger sur la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), et qui vient nous rappeler les merveilles dont la nature est capable, et leur fragilité.
Quelles sont les spécificités des produits que vous distribuez ?
J’ai personnellement sélectionné chacun de nos quatorze produits pour leur certification et leur grande qualité. Nous cherchons les produits respectueux des ressources marines avant tout, que ce soit du sauvage ou de l’élevage. Nos deux écolabels MSC et BIO garantissent cet engagement.
Nous auditons régulièrement nos fournisseurs pour vérifier la qualité du produit et de leurs installations, ainsi que le soin du travail apporté au produit : qualité du filetage, désarrêtage, découpe, surgélation, etc.… Nous nouons des liens privilégiés avec eux, car cette relation humaine est un des grands plaisirs de notre métier. Nous les connaissons, et ils nous connaissent, et ainsi nous voulons contribuer à raccourcir la chaine entre le producteur et le consommateur.
Au-delà de la certification, la qualité, c’est aussi la qualité de la conservation du produit, en le préservant de la déshydratation, c’est pourquoi tous nos produits sont emballés dans un film sous-vide individuel – sans bisphénol A ni phtalates bien sûr. Enfin, tous nos produits ont été soigneusement désarrêtés, car ni les enfants, ni les adultes n’aiment les arêtes. L’une de nos missions étant de redonner envie de manger et de cuisiner du poisson, il nous semblait évident que nous devions faciliter la tâche du consommateur. Un bon poisson, portionné et sans arête, prêt en 5 minutes chrono : plus aucune excuse pour ne pas manger du poisson au moins deux fois par semaine !
Pourquoi avoir choisi de proposer des produits exclusivement surgelés ?
Aujourd’hui, plus de 50 % du poisson consommé en Europe est importé, et plus de 80 % en France : thons, crevettes, saumons, merlu, cabillaud, etc.…. Sauf à réduire fortement notre consommation de poisson, l’importation est incontournable. Cela est d’autant plus vrai pour les produits éco-certifiés Pêche durable MSC, puisque seulement 2% des pêcheries certifiées sont en France métropolitaine (6 sur 248, dont 1 à La Réunion) : pour proposer des produits labellisés, il est primordial d’aller les chercher là où ils se trouvent : Norvège, Alaska, Afrique du Sud, etc.…
L’intérêt des produits surgelés est multiple. Premièrement, il permet d’importer des poissons sur de longues distances par bateau porte-container, et ainsi limiter les émissions de gaz à effet de serre : aucun de nos poissons ne prend l’avion !
Deuxièmement, le surgelé participe à la réduction du gaspillage alimentaire, notamment en donnant aux produits une durée de vie longue pouvant dépasser deux ans, quand un poisson frais doit être consommé rapidement… ou jeté.
Enfin, le surgelé permet de conserver au mieux les valeurs nutritionnelles des aliments, alors que celles-ci se dégradent vite dans un produit frais.
Comment choisissez-vous vos fournisseurs ? Quelles sont vos exigences ?
Nos quatre engagements nous guident évidemment dans la sélection de nos fournisseurs. Le premier point est que le fournisseur soit éco-certifié, car c’est un élément fondamental pour nous que de pouvoir prouver à nos clients que nos produits sont respectueux de l’environnement, non pas parce que nous le disons, mais par une preuve irréfutable.
Au-delà, nous nous déplaçons pour rencontrer les équipes et auditer les méthodes de travail et de production, et leur traçabilité. Nous aimons travailler avec des partenaires qui ont la même philosophie que nous, qui aiment les bons poissons, les bons produits, le travail bien fait.
En parallèle, pour rechercher le meilleur en ce qui concerne le goût, la texture, la couleur, je teste et goûte tous les produits avec mon équipe. Enfin, sur l’engagement « santé », nous regardons les plans de contrôle et analyses de nos producteurs, et nous réalisons des analyses sur chaque lot, notamment sur la microbiologie (listéria, salmonelles, etc.). Nous excluons certaines zones de pêche comme la Mer baltique (même si le cabillaud y est certifié MSC), de même que nous refusons que les poissons d’élevage soient nourris avec des poissons qui viennent de cette même mer Baltique. Nous avons également un plan de surveillance des éventuels contaminants.
D’après vous, peut-on continuer à manger du poisson sans avoir mauvaise conscience, tout en se régalant et en se faisant du bien ? (1)
Bien sûr ! On peut avoir « bonne conscience » en mangeant du poisson. Un poisson « bien pêché » ou « bien élevé », c’est-à-dire un poisson qui aura eu une bonne vie et dont la capture n’aura pas nui aux écosystèmes. Bonne conscience aussi car un poisson naturel, brut, permet de retisser un lien avec le vivant, avec ses origines. Enfin, il y a plein de bonnes choses dans le poisson, et tous ces nutriments, comme les Oméga 3, vitamines, minéraux, oligo-éléments, nous sont indispensables pour nous sentir bien.
Quel est votre produit préféré dans votre gamme de produits ?
J’en ai plusieurs ! J’ai une faiblesse particulière pour notre saumon sauvage argenté d’Alaska, pêché à la ligne par de petits bateaux. Ce poisson et cette pêcherie sont extraordinaires, avec des saumons qui remontent la rivière dans laquelle ils sont nés pour se reproduire, et qui reviennent tous en même temps l’été pendant un laps de temps très court. Ce sont des forces naturelles merveilleuses, puisque cette remontée permet aux ours de se nourrir, et revitalise les lacs et rivières avec les nutriments apportés par ces poissons. Je suis aussi très fier de proposer notre colin lieu de mer du Nord, issu de la première pêcherie française à être certifiée MSC en mars 2010. En fait, chacun de nos poissons a une belle histoire, le saumon bio sur la côte d’Antrim en Irlande du Nord, les élevages traditionnels de crevettes en Indonésie, etc., toujours avec de belles histoires humaines aussi….,
Avez-vous des secrets de chefs à nous confier pour sublimer les saveurs de vos produits ?
J’aime les bons produits, et j’aime cuisiner de façon très simple afin de conserver toute la naturalité des produits. Je ne me considère pas comme un chef, désolé mais pas de petits secrets à dévoiler.
Des projets à nous dévoiler à court et moyen termes ?
Nous avons deux ambitions : être une marque pédagogue, et une marque militante.
La pédagogie, c’est d’abord continuer notre travail auprès des magasins spécialisés bio, pour rendre la marque accessible au plus grand nombre en France et dans quelques pays voisins comme la Belgique et la Hollande. Les magasins doivent être des référents sur le monde de la mer et proposer à leurs clients les produits les plus exigeants et les meilleurs accompagnés de conseils avisés, seule manière à mes yeux de se différencier durablement par rapport à la grande distribution. Nous souhaitons aller plus à la rencontre de nos clients, lors de dégustations en magasin et de salons bio grand public, pour répondre à leurs interrogations, les orienter et les conseiller.
Quelle est la réussite dont vous êtes le plus fier ?
Avant de parler de fierté, disons que je suis particulièrement heureux que notre entreprise puisse compter sur le soutien de clients extrêmement fidèles. Ce sont les clients eux-mêmes qui nous le disent, par email, Internet ou Facebook, ainsi que les magasins bio dont certains réclament littéralement notre marque. Cette fidélité à notre jeune marque nous encourage à poursuivre la mission que nous nous sommes donné : offrir la possibilité de manger, tous les jours, du bon poisson « bon pour vous, bon pour la planète ».
Et je suis fier de contribuer ainsi à ce que les magasins spécialisés bio puissent proposer des produits de la mer avec le même niveau d’exigence et de qualité que leurs autres produits bio.
Qu’est-ce qui vous fait avancer jour après jour ?
Clairement, ce qui me donne de l’énergie est ce sentiment de faire plutôt partie de la solution que du problème. La fierté de pouvoir expliquer à mes enfants ce que je fais comme travail et deviner dans leurs yeux des encouragements plutôt que des reproches. Ce sont aussi les nombreux retours de clients qui nous félicitent parce que notre poisson « il est vraiment bon », ou parce qu’ils ont appris quelque chose grâce à nous sur la mer, les poissons ou la façon de les cuisiner.
Une green passion à nous dévoiler ?
L’immersion dans la nature et la faune sauvage, loin de la main de l’homme et de la civilisation. Immersion qui peut se faire au sens propre en plongée sous-marine, une pratique que j’adore, pendant laquelle j’ai l’impression d’appartenir à ce monde sous-marin si mystérieux. Immersion qui peut aussi être dans une forêt (primaire de préférence), dans un désert ou en haut d’une montagne.
Pour re-réaliser que la nature n’a pas besoin de nous, mais que nous avons besoin d’elle. Pour s’émerveiller des relations intimes entre les espèces d’un même écosystème. Pour renouer avec le rythme de la nature. Pour se relier au « Cosmos », à la « Pachamama », la terre mère et nourricière. Pour reprendre une dose d’humilité.
Une green résolution à nous confesser ?
J’aimerais transmettre ces valeurs, ce profond respect pour les choses de la nature à mes enfants.
Propos recueillis par Sophie Macheteau – Mybeautifulurlp – Septembre 2015
(1) Les stocks de poissons dans les océans ont diminué de moitié depuis 1970, en raison notamment de la surpêche, et les océans sont désormais « au bord de l’effondrement », estiment les organisations écologistes WWF et ZSL (Source : Reuters 16 septembre 2015).
Par ailleurs, selon les derniers chiffres de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), 30 % des stocks sont surexploités et 60 % pleinement exploités. Ce qui signifie que les stocks de poissons subissent une très forte pression qui s’accroît avec une consommation mondiale en hausse de plus de 3 % par an depuis plus de cinquante ans. La banque mondiale dénonce cette surexploitation qui coûte très chère.
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