Les industriels de la chimie producteurs de produits phytosanitaires et de pesticides sont engagés dans une guerre sans merci pour sauver leur business. Les opinions publiques, relayées peu ou prou par les autorités européennes ou nationales sont vent debout contre les glyphosates, Roundup et autres néonicotinoïdes tueurs d’abeilles. Dans cette bataille, tous les coups semblent permis, des plus bas aux plus tordus.
Trucages, communiqués scientifiques tronqués ou maquillés, pressions sur les élus, jeux de dupes et savant double-jeu, lobbying de haute densité, tout est bon pour freiner ou stopper net la moindre tentative d’entraver le développement de produits dont la nocivité ne cesse d’être démontrée.
L’affaire a été révélée par le journal Le Monde qui n’hésite pas à parler de « trucage en bonne et due forme ». En novembre 2015, un consortium de chercheurs issus de plusieurs organismes scientifiques de renom comme le CNRS ou l’INRA publie une étude dans la revue britannique Proceedings of the Royal Society B. Cet article concluait aux effets délétères du thiaméthoxame (un insecticide néonicotinoïde) sur l’abeille domestique.
Cette étude aurait dû servir de socle scientifique pour obtenir sans autre forme de procès le retrait de ce type de produits. Ce fut le contraire. En effet, lors du débat à l’Assemblée nationale certains députés n’ont pas hésité à faire référence à cette étude et à son communiqué pour conclure à l’absence de nocivité sur les abeilles des néonicotinoïdes !
Que s’est-il donc passé ?
Le communiqué de presse publié par les chercheurs à l’occasion de la sortie de cette étude précisait effectivement que la proximité de parcelles traitées avec l’insecticide néonicotinoïde « diminue l’espérance de vie des butineuses ». Mais le communiqué ajoutait : « les chercheurs n’ont pas observé d’altération des performances des ruches exposées ». Et, surtout, que « les quantités de miel produites n’ont pas été impactées ». En bref, l’insecticide tue les abeilles mais n’empêche pas les survivantes de produire du bon miel… Comprenne qui pourra.
C’est cet aspect du message qui a été retenu par les parlementaires. Le député du Jura Jean-Marie Sermier (LR) assurait ainsi que les performances des ruches, tout comme les quantités de miel produites, ne sont pas impactées par l’insecticide.
L’INRA est bien embarrassée par cette interprétation. L’organisme scientifique rappelle que l’étude démontre clairement la nocivité des néonicotinoïdes sur les abeilles. C’est l’information principale de leur recherche. Le passage du communiqué rassurant sur le fait que la production de miel n’est pas impactée aurait été rajouté, en désaccord avec l’INRA par un de ses partenaires, l’organisation Terres Inovia. Or celle-ci est un institut technique des producteurs d’oléagineux, de protéagineux et autres cultures qui ont grand besoin des insecticides pour assurer leur niveau de production.
Selon les informations du Monde, la rédaction de ce communiqué et du passage optimiste rajouté in fine a fait l’objet de tensions intenses entre l’INRA et Terres Inovia. On imagine aisément les pressions qu’ont dû subir les scientifiques. Résultat : une perche généreusement tendue pour défendre les insecticides contre les abeilles, dont se sont emparés sans rechigner les parlementaires français. Ils viennent en effet de décider de repousser l’interdiction des néonicotinoïdes initialement prévue pour 2017 à fin 2018, avec la possibilité de reporter ce délai jusqu’en 2020. C’est ce qu’a plaidé le président du groupe LR Christian Jacob : « Ces produits sont là pour protéger les cultures et ceux qui en vivent. Vous ne mesurez pas la catastrophe d’une destruction de récolte par les insectes », a-t-il affirmé. « Vous ne pouvez pas dire que le problème de l’apiculture est seulement lié aux néonicotinoïdes », a renchéri le LR Jean-Marie Sermier. La messe était dite.
Les agriculteurs intensifs et les producteurs d’insecticides ont un répit. En revanche, pas de sursis pour les abeilles.
L’autorisation du glyphosate, la molécule active du Roundup arrive à expiration ce jeudi 30 juin en Europe, et le doute plane sur son renouvellement. Ce produit phare de l’industriel Monsanto déchaîne les passions depuis des années, suscitant des polémiques violentes sur sa nocivité aussi bien sur la nature que sur l’homme. Les passes-d’armes se multiplient, notamment au sein de la Commission européenne dont les membres subissent une pression de lobbying extrêmement intense. Une pression où tous les coups sont permis.
C’est dans ce contexte délétère que des associations de protection de l’environnement comme les Amis de la Terre ou Global 2000 ont mis la main sur des mails internes de la Commission européenne (DG Santé). Ces documents montrent comment Bruxelles cède aux exigences des lobbys du glyphosate pour empêcher la divulgation d’études financées par les industriels, et réclamées à cor et à cri par les scientifiques et les ONG.
Vytenis Andriukaitis
L’enquête menée par le site de lanceurs d’alerte Le Lanceur est édifiante. On y voit parmi les protagonistes, un commissaire européen à la Santé, le lituanien Vytenis Andriukaitis, qui semble pratiquer, en virtuose, la stratégie du double-jeu. En effet, tout en clamant publiquement son indépendance à l’égard de Monsanto, ce commissaire fait tout le contraire dans ses échanges avec ses collègues de la commission. Ses mails plaident pour une publication limitée, édulcorée, voire réservée à une « reading room » des trois fameuses études attestant du caractère cancérogène du glyphosate. En substance, le commissaire à la Santé connaît les conclusions de ces études particulièrement dévastatrices pour les industriels du secteur chimique. Des études réalisées par les industriels eux-mêmes ! Toutefois, soumis à leur pression, il recommande de ne publier qu’une version « édulcorée », c’est le mot qu’il emploie ou, mieux, l’accès à ces documents dans une salle réservée, hors de toute connexion avec Internet. Une salle du mème genre que celles dont se servent les négociateurs du TAFTA pour rendre plus occultes leurs activités.
L’enjeu est de taille. Avant le 30 juin la Commission européenne doit renouveler l’autorisation de la molécule du Roundup jusqu’en 2031. Un marché considérable pour Monsanto dont les ventes en France représentent plus de 7 900 tonnes de matière active et 23 065 tonnes de produits commercialisés chaque année. Un marché gigantesque suspendu à une bataille d’experts et de scientifiques qui, selon leur résistance à la pression des lobbys, sont plus ou moins transparents et sincères dans leurs conclusions. L’Organisation mondiale de la sante (OMS) par exemple, assure que le glyphosate est cancérogène. A l’autre bord, l’Agence européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) dit tout le contraire.
Cette position fait bondir une grande partie de la communauté scientifique mondiale.
Pour compliquer encore plus les choses, un organisme commun à l’ONU et à la FAO, le Joint Meeting on Pesticide Residues (JMPR) publie en mai dernier, en pleine discussion sur le renouvellement, une étude qui conclue : « Il est improbable que le glyphosate pose un risque cancérogène pour les humains qui y seraient exposés par l’alimentation ». Pataquès dans la communauté des ONG et des scientifiques ! En fouillant un peu, ils s’aperçoivent que les trois experts mandatés pour cette étude, dont le président du JMPR, sont financés par les fabricants de glyphosate, Dow, Monsanto et Syngenta en tête. CQFD.
Face à tous ces coups tordus, un phénomène nouveau est en train d’apparaître. C’est la mobilisation citoyenne. Des mouvements e-citoyens émergent ainsi « de la base », hors des organisations constituées ou des ONG. Ce sont des mouvements qui utilisent comme moyens de pression principaux les réseaux sociaux, les pétitions en ligne et les actions ciblées.
La plateforme en ligne Avaaz a ainsi porté devant le Parlement européen une pétition signée par plus de deux millions de personnes. Cette action est complétée par des opérations ciblées destinées à faire le buzz sur les réseaux sociaux. Leurs acteurs, revêtus de combinaison et de masques de tête de mort deviennent des images fortes tournant en boucle sur les réseaux sociaux.
Cette mobilisation a pour objectif de faire pression sur les décideurs politiques de l’Europe. En aura-t-elle les moyens et suffisamment de poids face aux stratégies savamment orchestrées des industriels ? Ces derniers n’entendent pas qu’une vulgaire « e-pétition »se mette en travers de leur chemin. Ils n’en semblent d’ailleurs nullement inquiétés. Il est vrai qu’ils ont levé bien d’autres obstacles bien plus compliqués. En la matière, ce sont des maîtres.
Au moment de publier cet article, l’information vient de tomber : la Commission européenne a annoncé mercredi la prolongation pour une période de 18 mois maximum, de l’autorisation dans l’UE du glyphosate.
Dans un communiqué AFP, l’exécutif européen a expliqué avoir « décidé de prolonger l’autorisation du glyphosate pour une période limitée, jusqu’à ce que l’Agence européenne des produits chimiques publie son avis, au plus tard à la fin de 2017 ». Bruxelles a justifié cette décision par le refus des États membres de « prendre leur responsabilité » sur le sujet. Une décision prise « faute de majorité qualifiée des États membres » dit le communiqué. Des États il est vrai plus préoccupés par le sort du Royaume-Uni. Une occasion inespérée pour les industriels de faire passer in-extremis, dans l’ombre du Brexit, une mesure garantissant encore un peu leur prospérité.
Image d’en-tête : @ AFP/YASUYOSHI CHIBA
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