Si l’école a longtemps été le lieu du premier éveil intellectuel, elle semble aujourd’hui davantage encourager, au nom de principes tels que l’universalisme ou la laïcité, une pensée collective, une, presque formatée. Quelle place pour la pensée dans les systèmes scolaires actuels ?
« Le négatif est l’alibi d’une résignation à n’être jamais soi, à ne saisir jamais sa propre richesse de vie » affirme Raoul Vaneigem dans son Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations. Si l’école a longtemps été le lieu du premier éveil intellectuel et de l’individualisation de la pensée, plus particulièrement pour les élèves venant de milieux peu cultivés ou a contrario pour ceux dont l’éducation a été trop axée sur les traditions liées à une culture spécifique, elle semble aujourd’hui davantage encourager, au nom de principes tels que l’universalisme ou la laïcité, une pensée collective, une, presque formatée. De ce fait, de l’école positive – au sens enrichissant et incarnant du terme – nous sommes passés à une école négative, dont la définition se trouve au début de ce paragraphe.
Si bien sûr l’école n’est pas la cause initiale du désintérêt et de la démobilisation de la jeunesse pour la politique et pour les politiciens, elle n’en a pas moins joué un rôle crucial. En effet, peut-on encore imaginer de nos jours la genèse de mouvements intellectuels, révolutionnaires, situationnistes ou encore anarchistes tels que Le Mouvement du 22 Mars qui naquit dans la salle du conseil au dernier étage du bâtiment B de la tour administrative de la faculté de Nanterre ? Hormis les groupes très étiquetés politiquement qui voient souvent le jour dans les facultés de droit ou bien les institutions telles que Sciences Po ou l’ENA, l’école et l’université n’incitent plus à la création, l’affirmation, et l’épanouissement de la pensée intellectuelle, aussi plurielle qu’elle puisse être.
Je ne viens pas du monde de l’université, mais de celui de l’école – plus particulièrement de l’école de commerce. Davantage un espace propice à la beuverie qu’un lieu de débat, l’école de commerce est le miroir de la formation telle que je la vois aujourd’hui : « formatante », aliénante, presque fainéante.
Justification. Scolairement d’abord, les travaux accomplis sont généralement ultra théoriques, peu poussés, ce qui amène d’une part à un désintérêt massif de la part des étudiants pour la formation qu’ils suivent, d’autant plus quand l’examen final est un simple QCM. Exemple criant : jamais on ne m’a demandé de lire un livre (je distingue bien livre et manuel) durant mes années d’études en école de commerce. Extra-scolairement ensuite, les étudiants sont très encouragés à s’investir dans une association de leur école. Bien naturellement, les associations les plus en vogue sont les moins culturelles et intellectuelles. Amoureux de la dissertation, de l’expression de votre pensée et de la singularité, fuyez les écoles de commerce. Partisans du moindre effort, adulateurs de la simplicité et du mimétisme comportemental et intellectuel, foncez-y.
Evidemment, je grossis les traits : tous les étudiants en école de commerce ou d’ingénieur ne sont pas idiots. Loin de là. Néanmoins, ils sont formatés à être intellectuellement paresseux, à chercher l’efficacité avant tout. Une formation calquée sur les schémas économiques libéraux qui prônent avant toute chose l’efficience et la productivité. Étonnant, pas vrai ? Aussi étonnant quand on se plaint que les grands chefs d’entreprises et les hommes politiques sont de moins en moins cultivés sans chercher à en comprendre les origines.
Dès 1995, Raoul Vaneigem encore avertissait les écoliers et les lycéens en portant un jugement extrêmement sévère sur l’éducation qu’il considère comme une machine qui vise à fabriquer une main d’œuvre rentable mais peu cultivée. Au-delà de ses revendications et de ses points de vue anarchistes, le livre de Vaneigem demeure extrêmement intéressant car il évoque déjà une école trop punitive qui ennuie et qui castre les désirs intellectuels des étudiants et prend le contre-pied de cette école qu’il dénonce en proposant une scolarité alternative qui serait le lieu d’un apprentissage d’une « vie fondée sur la créativité, non sur le travail ; sur l’authenticité, non sur le paraître ; sur la luxuriance des désirs, non sur les mécanisme du refoulement et du défoulement ».
Burn-out, bore-out et maintenant brown-out, comment peut-on encore s’étonner de la multiplication des troubles psychologiques, physiques, mentaux et comportementaux liés au travail lorsque, dès les premiers bancs de l’école, nous ne sommes formés qu’au travail, que pour vivre pour notre travail et par notre travail. Pourquoi est-ce que peu d’entre nous, étudiants ou adultes, s’engagent pour une association ou pour un projet en dehors du travail ? Parce qu’il faut être en forme pour le travail, parce qu’il ne faut pas flancher, parce que mon métier, c’est ma vie, vous diront la plupart des interrogés.
Ce n’est pas comme ça que je vois ma vie future. Je crois à la dissociation du travail et de l’individu. Je crois à l’engagement en dehors du travail. Mais je m’inquiète pour une jeunesse qui ne lit presque plus et qui n’est pas plus encouragée à lire que cela. Je m’inquiète pour une jeunesse certes plus connectée mais paradoxalement moins curieuse, davantage intéressée par l’immédiateté, le superficiel et le paraître que par la recherche en profondeur et la multiplicité des opinions.
Les enfants sont naturellement curieux, ils prennent naturellement plaisir à comprendre et à apprendre de nouvelles choses. Mais à mesure que l’école les forme et les formate à ne se centrer que sur la notion du travail, cette curiosité s’émousse car l’enfant a de plus en plus le sentiment d’être jugé. Alors que l’école devrait être le lieu d’un apprentissage diversifié pour encourager notre construction intellectuelle singulière, l’erreur à l’école ou le fait de ne pas savoir répondre génèrent automatiquement un sentiment de honte et de culpabilité chez l’apprenant. Dès lors, pourquoi s’étonner que la France manque de poètes et de philosophes, quand on ne réclame que des entrepreneurs et des politiciens. Pourquoi s’étonner que nous devenons des praticiens efficaces mais uni-tâche quand l’école n’encourage pas dès le plus jeune âge la créativité et la construction de la pensée intellectuelle par des ateliers philosophiques ou artistiques ? Comment s’étonner que l’on soit constamment jugé au travail et dans notre travail lorsque, dès l’école primaire, l’erreur est synonyme de jugement et d’échec ? Comment s’étonner que, subitement, surgisse la notion de bonheur en entreprise qui devrait normalement être inhérente au travail ? Toutes ces interrogations sont bien sûr liées. Et c’est pour cela qu’elles peuvent être résolues par une même initiative : celle de stimuler la curiosité et le désir d’apprendre, celle de repenser les rapports entre maîtres et élèves pour encourager l’exercice de la créativité individuelle et collective.
Comme j’ai commencé ce billet d’humeur avec une citation de Raoul Vaneigem, je le conclurai également par un de ses aphorismes, qui selon moi résume tout l’enjeu d’une réforme de l’éducation : « il faut libérer de la contrainte notre désir de savoir […] pour que les écoles soient les vergers d’un gai savoir ».
Source : ©TEDx Champs Elysées
Continuer cette réflexion le 11 décembre prochain, lors da la seconde édition du TEDx Champs Elysées à la Maison de la Radio dès 15h sur le thème « L’Éducation n’attend plus que vous ! » – 116 Avenue du Président Kennedy- 75016 Paris
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