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Information vs algorithmes

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Comment l’information et la désinformation sont-elles diffusées sur les réseaux sociaux numériques ? Jens Koed Madsen, chercheur au groupe de simulation des systèmes complexes humain-environnement (Cohesys) de l’Université d’Oxford, a exposé les principaux biais cognitifs induits par les utilisateurs et par les algorithmes lors d’une interview de la publication « Médiation » de la Fondation Hirondelle sur le thème « Informer malgré les réseaux sociaux ».

Devenus en un peu plus d’une décennie un vecteur mondial de diffusion d’information, les réseaux sociaux sont aussi un lieu privilégié de propagation de messages erronés ou haineux. Caroline Vuillemin, Directrice générale de la Fondation Hirondelle, explique que « Depuis leur avènement au milieu des années 2000, les réseaux sociaux sont devenus à la fin des années 2010 une réalité médiatique planétaire : 58 % de la population mondiale âgée de plus de 13 ans utilise au moins un réseau social. Dans les pays où l’information constitue un marché, 36 % des utilisateurs de Facebook, principal réseau social mondial avec près de 2,3 milliards d’abonnés, consultent leur compte à des fins d’information. Dans des pays émergents mais confrontés à de nouvelles formes de censures, comme le Brésil ou la Turquie, l’application de téléphone mobile Whatsapp – propriété de Facebook – est utilisée de façon croissante par des groupes comportant plusieurs milliers de personnes pour partager des informations sur des sujets d’intérêt commun. Le succès de ces plateformes s’explique largement par la démocratisation médiatique qu’elles portent : chacun peut produire et diffuser de l’information, sans passer par le filtre d’un média reconnu ou d’une institution.

LIRE AUSSI DANS UP’ : Ceux qui lisent le fil d’actualités de Facebook seraient-ils plus informés que les autres ?

Mais les années 2016 à 2018 ont soulevé à l’égard des réseaux sociaux une défiance mondiale liée aux conséquences politiques et sociales de leur utilisation massive à des fins de désinformation. Un cas a marqué les esprits : celui de Cambridge Analytica et de la manière dont cette entreprise a utilisé Facebook pour favoriser le Brexit puis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. En Birmanie, l’armée est accusée d’avoir créé sur Facebook des centaines de pages pour propager la haine de la minorité musulmane Rohingya, dont plusieurs milliers ont été massacrés et plus de 700 000 autres expulsés vers le Bangladesh au cours d’un processus que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a qualifié de génocide.

Interpellées sur ces sujets par l’opinion publique et par les gouvernements, les entreprises qui possèdent ces réseaux sociaux proposent des mesures d’autorégulation technique sur les algorithmes, ou éditoriales sur les règles de publication. Ces mesures restent peu claires, et ont du mal à convaincre de leur bonne foi et de leur efficacité. Les gouvernements non plus n’osent pas trop contraindre légalement ces plateformes porteuses d’engouement public et de développement économique », sachant que les statistiques de la Banque Mondiale et de l’Union Internationale des Télécommunications estiment qu’en 2025, 77 % de la population mondiale sera régulièrement connectée sur les réseaux sociaux et en ligne (contre environ la moitié en 2019). Dans ce contexte, comment les médias d’information peuvent-ils se distinguer sur les réseaux sociaux ?

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Jens Koed Madsen (1), chercheur au groupe de simulation des systèmes complexes humain-environnement (Cohesys) de l’Université d’Oxford, a répondu à une interview publiée ce 14 janvier 2020 dans le 4ème numéro de la publication semestrielle « Médiation » de la Fondation Hirondelle : « Informer malgré les réseaux sociaux ».

Diriez-vous que l’utilisation accrue des réseaux sociaux au cours des dix dernières années a introduit de la confusion dans ce qui peut être considéré comme de l’information fiable ?

Jens Koed Madsen : Les réseaux sociaux sont une source d’informations de plus en plus importante pour la plupart des citoyens. Cela a fondamentalement changé nos structures d’information, car les médias classiques ont un contrôle éditorial. Nous sommes passés de médias de masse « top-down »  à un paysage de partage de l’information à la fois descendant et ascendant.

Cela présente des avantages importants, car cela accroît la participation des citoyens au discours public, leur permet de s’exprimer contre des personnes ou des entités sociales puissantes et facilite la dénonciation des actes répréhensibles (par exemple, les réseaux sociaux ont donné à #MeToo plus d’impact et de portée). Mais cela présente aussi de graves inconvénients : cela permet de générer facilement des comptes faux ou trompeurs, cela obscurcit la responsabilité (il est difficile de savoir où commence une rumeur ou un élément de désinformation).

Compte tenu de la facilité avec laquelle on peut créer des faux comptes et de la désinformation, il n’est pas étonnant que de nombreuses personnes aient de plus en plus de mal à savoir ce qui est crédible ou non. Nous devons mieux comprendre comment l’information circule, afin de concevoir des réseaux sociaux qui protègent les citoyens de la désinformation délibérée tout en préservant leur liberté d’expression.

Comment les réseaux sociaux fonctionnent-ils psychologiquement ? Pouvez-vous donner quelques exemples de biais mentaux qu’ils favorisent ?

JKM : La psychologie a identifié de nombreux biais liés à la façon dont nous recherchons et traitons l’information que nous obtenons sur les réseaux sociaux. En particulier, le « biais de confirmation » et « l’effet d’influence continu ». Le biais de confirmation est le penchant que nous avons à rechercher, interpréter et rappeler de l’information qui confirme nos croyances. A mesure que la quantité de données augmente sur les réseaux sociaux, il devient plus facile pour tous les citoyens d’identifier des informations qui confirment leurs croyances. L’effet d’influence continu, lui, montre qu’une information initialement présentée comme vraie continue d’influencer ce que pensent les gens même lorsqu’ils ont vu des corrections qu’ils jugent claires et crédibles. Autrement dit, même lorsque la désinformation est corrigée, elle peut continuer à causer des dommages. Ceux qui diffusent de la désinformation sur les réseaux sociaux peuvent exploiter ces biais.

La structure du réseau influence également la diffusion d’informations correctes ou incorrectes. Les réseaux sociaux sont des systèmes dynamiques où les gens se suivent et se quittent, et où les algorithmes sous-jacents mettent en valeur ou cachent des contenus. Les utilisateurs dépendent de la façon dont les algorithmes sont conçus. Par exemple, une entreprise peut décider de promouvoir des déclarations clivantes (si elles suscitent plus d’activité de la part des utilisateurs), ce qui peut contribuer à la polarisation du débat et à la diffusion de désinformation. Dans une étude, nous avons montré que des « chambres d’écho » peuvent survenir en raison de la structure du réseau, même dans des conditions où les gens n’ont pas de biais marqué.

Nous devons comprendre la psychologie des citoyens, la structure du réseau et la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres sur ces plateformes, car tous ces éléments influencent la façon dont la désinformation peut se propager. Il ne suffit pas de comprendre les préjugés des utilisateurs. Cela leur conférerait une responsabilité excessive et minorerait le rôle de la conception du système et de l’interactivité.

Si vous étiez éditeur de médias, comment utiliseriez-vous les réseaux sociaux pour que vos médias soient reconnus comme des sources d’information fiables ?

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JKM : Les systèmes d’information étant devenus également ascendants, le nombre de personnes qui produisent du contenu a augmenté. Cela exerce une pression sur les médias, car ils risquent d’être mis sur un pied d’égalité avec toute autre entité qui fournit des opinions ou des nouvelles, comme les citoyens, les « bots » ou les politiciens. Pour asseoir leur crédibilité sur les réseaux sociaux, les médias doivent se démarquer des contributeurs qui véhiculent des opinions ou de la propagande.

Comme bon nombre d’opinions et d’affirmations sur les réseaux sociaux ne sont peu ou pas fondées, les médias d’information peuvent se distinguer en mettant en avant leurs sources, en expliquant clairement le raisonnement probant qui mène à une conclusion ou une affirmation particulière, en mettant en cause les ouï-dire et les conjectures. En mettant en valeur un journalisme critique, approfondi et sourcé, les médias d’information peuvent singulariser leurs contenus sur les réseaux sociaux. Ils seraient également prudents de cesser de faire état des tendances sur ces mêmes réseaux sociaux.

Pensez-vous que les réseaux sociaux devraient être davantage réglementés ? Dans l’affirmative, que faudrait-il faire pour empêcher leur utilisation en vue de diffuser de la désinformation ?

JKM : Tout pays ayant des lois sur la diffamation, des organismes de protection des consommateurs ou des sanctions pour incitation à la haine, impose des restrictions sur ce qui peut et ne peut être dit. Compte tenu de la complexité croissante des systèmes d’information où chacun peut participer (y compris des acteurs malveillants), il est primordial d’examiner comment la parole peut (ou doit) être régulée sur les réseaux sociaux. En particulier, les cadres réglementaires, avec la participation des citoyens, des journalistes, régulateurs et fournisseurs d’accès, devraient s’efforcer de limiter la diffusion délibérée de désinformation sans punir les citoyens qui en font accidentellement.

La régulation peut aussi se faire par la vérification de faits, la promotion algorithmique de sources médiatiques fiables, etc. Cependant, nous ne savons pas comment les citoyens ordinaires, les pourvoyeurs de désinformation et les réseaux sociaux eux-mêmes s’adapteront aux interventions réglementaires. Par exemple, les citoyens passeront-ils à des réseaux sociaux concurrents si un réseau décide d’imposer des normes ? Tant que nous ne comprendrons pas en détails le tissu complexe de la communication horizontale sur les réseaux sociaux, les solutions proposées par les politiciens, les médias, les experts et les réseaux sociaux eux-mêmes resteront superficielles.

(1) Auteur du livre «  The Psychology of Micro-Targeted Election Campaigns » – Edition Palgrave Macmillan, 2019. 
Ce livre examine la psychologie qui sous-tend les tactiques microciblées utilisées en campagne électorale et l’avènement de modèles dynamiques de plus en plus sophistiqués basés sur des agents (ABM). Il traite du profilage individuel, de la façon dont les données et la modélisation sont déployées pour améliorer l’efficacité des efforts de persuasion et de mobilisation dans les campagnes, et des limites potentielles de ces approches. Madsen explore en particulier la façon dont les connaissances psychologiques et les données personnelles sont utilisées pour générer des modèles individualisés d’électeurs et comment ceux-ci sont à leur tour appliqués pour optimiser les stratégies de persuasion adaptées à une personne spécifique.
Enfin, le livre examine les dilemmes démocratiques plus larges soulevés par l’introduction de ces tactiques en politique et l’importance civique critique de comprendre le fonctionnement de ces campagnes. Cet ouvrage opportun offre de nouvelles perspectives aux étudiants et aux chercheurs en psychologie politique, en philosophie, en marketing politique, en médias et en communications.

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