Depuis 1968, le mot « révolution » revient régulièrement dans les discours et depuis que les crises s’enfilent comme des perles sur le fil de notre quotidien, le mot revient comme un leitmotiv nous promettre des lendemains qui chantent. Que vient nous dire cet engouement régulier pour la Révolution et que vient-il nous apprendre sur notre dynamique de société ? De quoi parle-t-on ?
(Peinture : extrait tableau d’Eugène Delacroix « La Liberté guidant le peuple »)
Avant toute chose un peu d’étymologie.
Le mot révolution laisse traîner derrière lui des relents de tabula rasa. Au départ, son étymologie signifie « retour en arrière » de son origine latine « revolutum » « rouler en arrière » ou en astronomie, un objet céleste tourne autour d’un axe. Au XVIeme siècle il est alors synonyme de « brusque changement apportant un trouble ». Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que le terme soit synonyme de « changement brutal » à l’instar de la Révolution française et qu’il signifie désormais « le régime (politique) qui suit un bouleversement ». Par conséquent, il signifie depuis le XXème siècle « un changement total de société ou de mœurs ».
Un mot, même s’il évolue dans le temps, est toujours porteur de la totalité de son acception et quand bien même, l’un de ses usages tombe dans l’oubli, occulté en quelque sorte, comme tout ce qui est symbolique, cette part d’ombre reste néanmoins agissante.
« Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, c’est en prenant conscience de l’obscur. Mais ce travail est souvent désagréable donc impopulaire » , Carl Gustav Jung.
Ainsi, nous pouvons observer combien de « révolutions » fracassantes sont en fait allées brasser dans le passé les graines de leur futur. Pourtant lorsque l’adage dit que « l’Histoire est un éternel recommencement », cela est inexact, il s’agit davantage de spirale. Comme le dit Héraclite « nous ne nous baignons jamais deux fois dans la même eau. »
Vouloir TOUT changer tient-il du fantasme car la réalité correspond davantage à des mutations progressives ? Changer est parfois tellement difficile à opérer que souvent, chacun rêve que, par un coup de baguette magique, tout soit transformé le lendemain au réveil.
Les printemps arabes de 2011 ont bien démontré qu’à la suite de révolutions portées par les citoyens dans les rues, sans préparation préalable d’une réelle alternative, le risque est que la « même chose » revienne, pour paraphraser Watzlawick. D’une dictature, ces pays sont passés à des régimes islamistes (2012), chacun des régimes apportant une forme de gouvernement autoritaire, éloignée des attentes démocratiques des citoyens d’où les remous à nouveau dans l’opinion tunisienne ou égyptienne (2013).
Alors pourquoi parler si souvent de révolution ?
La « révolution » en France ça se vend bien. Pourquoi ? Est-ce le désir inconscient de revenir à des âges d’or idéalisés ou la volonté de vivre des transformations radicales ?
La Révolution fait partie de notre ADN culturel.
Depuis l’événement historique de la Révolution française, nous avons en fait un attachement privilégié à la face glorieuse de la Révolution, celle des Droits de l’Homme, l’universalité de ces valeurs, la mise en exergue de la liberté… Toutefois, en occultant totalement ses parts d’ombre dont la Terreur et les différentes dérives.
C’est ainsi que d’un événement historique ponctuel nous avons opéré un glissement symbolique. D’un moment de l’histoire nous en avons fait une fierté permanente, décorélée des événements eux-mêmes et qui tient davantage lieu de flagornerie identitaire que d’une réalité sociétale.
Nous pourrions en décrire la dynamique sociale en utilisant le répertoire de l’Analyse Transactionnelle et qualifier la mentalité française de passive-agressive. Car notre fonctionnement de société repose sur une certaine inertie face au fait de prendre des décisions et surtout d’agir. Nous sommes excellents à critiquer (dérive de la critique radicale de Descartes) sans cesse le système établi, ce qui fait progressivement monter la tension attendant que le couvercle explose = révolution. Le système attend la libération par l’explosion, mais lorsqu’elle ne vient pas, alors seule la tension reste ce qui donne lieu à différents types de violences polymorphes.
Cependant, depuis mai 68, la tension est réelle, les critiques omniprésentes, le mot de révolution circule tous azimuts mais les embrasements tant attendus n’ont pas lieu. L’explosion tarde à se manifester, ce qui déçoit certains.
Pourquoi ? Parce que des changements réels ont lieu mais ils s’opèrent dans le silence des mutations progressives, des transformations souterraines souvent orchestrées localement par les citoyens dans l’anonymat et le silence des médias.
« Quand un arbre tombe on l’entend, quand une forêt pousse, pas un bruit. » Proverbe africain
Nous fantasmons d’entendre tomber l’arbre, nous rêvons du spectaculaire qui réside dans la destruction, attachons-nous davantage à la vie et à la forêt qui pousse silencieusement.
Autre fierté nationale : la résistance
De la même manière, nous sommes fiers de la résistance, événement spécifique de la Seconde Guerre mondiale, tout en sachant que les véritables résistants ont été peu nombreux et que fort rares furent ceux qui sortirent vivants des années de guerre. Mais d’un élan unanime, nous nous sentons tous fièrement résistants. Oubliant ce que cela signifiait à l’époque, à savoir un engagement réel, une mise en danger de sa propre vie ou de celle de ses proches, et des actions concrètes risquées et parfois violentes. Et nous occultons également tous les aspects obscurs de la résistance comme le fait qu’il était question d’assassinats et d’attentats et que certains résistants à la libération ont continué leurs actes délictueux ne parvenant plus à se réinsérer socialement.
Bref, nous nous glorifions d’être résistants et de ce moment historique nous avons opéré un glissement sémantique, cette fois. Nos actes de résistance se limitent bien souvent à un clic de souris sur le site d’Aavaz.
Car aujourd’hui nous sommes surtout résistants au changement. Nous avons une grande difficulté à passer à l’action. Nous concevons les mutations à opérer mais l’action ne suit pas. Peurs et appréhensions prédominent et ne dit-on pas de notre économie qu’elle est au point mort ? Et aussi que nous avons toutes sortes d’innovations géniales dans nos tiroirs de R&D et pas de budget pour les financer et les rendre viables et commercialisables ?
Alors le binôme révolution/résistance est-il une composante identité française forte nous conduisant à avoir des dialogues sociaux principalement basés sur la dynamique du conflit et finalement limitant nos capacités d’action, d’initiative, d’innovation réelle, de créativité appliquée ?
On disait en 1973 : « En France on n’a pas de pétrole mais on a des idées. » Aujourd’hui, il nous faudrait passer des idées aux actes et ceci, en limitant les effets néfastes de ces fiertés nationales à double tranchant.
Nous souffrons des côtés obscurs de nos forces !
Peut-être qu’en les rendant visibles et conscientes pourrions-nous alors les piloter plus facilement ?
« Avec nos pensées, nous créons le monde. » Bouddha
Toute la question réside bien dans la formulation des pensées : nos représentations, comme les mots que nous employons qui vont conditionner nos actions.
Adapté du livre Marsan C., « Réussir le changement », Editions de Boeck, 2008.