Depuis quelques années existe un véritable engouement pour les pèlerinages, et plus généralement pour les pèlerinages spirituels. Ceux qui les arpentent partent en quête d’eux-mêmes pour se trouver, retrouver du sens et tenter de se relier à nouveau au divin, quel que soit son nom, la religion, la confession. L’essentiel est de se mettre en marche vers soi et se découvrir, ou se redécouvrir et de faire émerger un sens à sa vie.
Depuis une quinzaine d’années environ apparaît un nouveau type de marche que l’on pourrait apparenter au pèlerinage ; il s’agit de parcourir le monde une partie ou un morceau de la France, de préférence à pied, voire en vélo ou en bateau, dans des conditions assez spartiates afin de défendre une cause sociétale, écologique ou humanitaire. Le mouvement s’est intensifié à la suite de l’ouvrage « 80 hommes pour changer le monde« .
A quels besoins cela répond-il ?
A celui de se donner soi-même pour faire émerger du sens, de se mettre à l’épreuve (regain du sacrifice chrétien) pour l’offrir aux autres (caritas), l’envie de cheminer pour retrouver la lenteur, communier avec les rythmes naturels, rencontrer véritablement les personnes, recréer du lien, tisser des communautés de valeurs, expérimenter une sobriété heureuse qui permet de couper de la société de consommation pour faire rupture, sensibiliser les médias pour rendre visibles les causes sur lesquelles se mobiliser.
Plus que jamais les changements sont portés par les citoyens, les stars prennent des cachets trop onéreux pour défendre les causes, les médias les relaient selon leur bon vouloir ou si cela permet de réaliser des scoops rentables, et en attendant, les problèmes du terrain sont légions. Alors les citoyens remontent leurs manches pour les régler eux-mêmes, l’Etat faisant de moins en moins souvent son office, trop enfermé dans les jeux politiciens et pris par les pressions des lobbies. Ils utilisent les réseaux sociaux aussi bien pour partager les informations, que pour se mobiliser ou se co-financer, le tout, de plus en plus hors des institutions traditionnelles.
Une nouvelle exploration du « sens »
Ces marches et périples ravivent aussi la polysémie du mot « sens ».
Il est d’abord question de sensorialité puisque le pèlerin sociétal enfourche le vélo ou enfile des chaussures de marche pour parcourir des dizaines, voire des centaines lorsque ce ne sont pas des milliers de kilomètres, quel que soit le pays et le moyen de locomotion, mettant son corps à rude épreuve. Ce qui est une autre manière de se sentir à nouveau vivant, vibrant, en communion avec son corps et la nature environnante ; un moyen de faire à nouveau partie de la nature, après avoir voulu la dompter et de ce fait, s’en être coupé quasiment complètement dans les villes.
Après la sensorialité, voire la sensualité et le retour à l’écoute de son corps, c’est de signification dont il s’agit.
Nous venons d’en parler dans le paragraphe précédent, il est question avec ces « tours du monde ou de France » de poser des actions qui font sens pour soi et les autres et d’amener des collectifs à se mobiliser pour des causes sociétales, la société de consommation n’apportant plus pour beaucoup de réponses lorsque l’aspiration de réalisation de soi est trop forte.
L’engagement par l’exemple fait alors recette et crée mobilisations et vocations.
Enfin, réaliser un pèlerinage sociétal conduit à rechercher puis à trouver ce qui est essentiel, ce qui fait sens pour soi. C’est le retour de la dimension spirituelle. La quête de transcendance, ces pèlerins sociétaux accèdent à une dimension qui les dépasse pour offrir le meilleur d’eux-mêmes à autrui, à des causes qui rétablissent des équilibres rompus par notre société libérale dérégulée.
Un nouveau business-modèle à suivre ?
Ainsi, le business-modèle du pèlerin sociétal est le suivant : recherche de co-financement pour débuter, solidarité sur le chemin, partage des hébergements grâce aux informations sur les réseaux sociaux, mise à l’épreuve, rencontres, réalisation de l’objectif, médiatisation tout au long du chemin et obtention d’une visibilité accrue pur favoriser les financements, un livre et/ou un film pouvant clore le processus pour rendre davantage visible l’engagement.
Le pèlerin sociétal réalise alors un storytelling engagé, militant utilisant sa notoriété (parfois naissante et grandissante par les réseaux sociaux), comme son besoin narcissique de reconnaissance au service d’une cause sociétale.
Quelques exemples
Voici quelques exemples inspirants.
A vingt ans, Amandine Roche est partie sur les traces d’Ella Maillart qui la fascinait. Elle a voulu refaire l’expédition de cette femme suisse au travers de l’Asie Centrale. Elle a parcouru 6000 kilomètres traversant une multitude de pays de la France, en passant par l’Asie centrale, pour finir en Sibérie. Elle voulait apprécier si 70 ans après les choses avaient changé ; elle rencontra des peuples, découvrit la spiritualité et fit éclore qui elle est devenue. Elle rédigea un ouvrage magnifique Nomade sur la voie d’Ella Maillart (Arthaud- Payot) dans lequel elle a relaté son aventure extraordinaire. Depuis, elle a voué sa carrière à l’humanitaire et enchaîne les missions comme observateur pour l’ONU ; elle est engagée pour la paix et a créé une fondation pour apprendre la méditation aux Afghans et notamment aux soldats…
Aurélie Derreumaux et Laurent Granier ont entrepris un tour de France en 2011/12 pour réaliser plusieurs objectifs : 6000 kilomètres pour rencontrer les populations frontalières et participer à la découverte du patrimoine naturel de mer et de montagne, et aussi offrir cette marche à Handicap International en vendant chaque kilomètre au profit de l’ONG. Cette marche a aussi été l’occasion de permettre à d’autres personnes de les rejoindre et de cheminer à leurs côtés, partageant une multitudes d’expériences, au travers de pas posés en parallèle les uns des autres.
Aurélie et Laurent ont fait un ouvrage et un film de leur aventure humaine, individuelle et de couple mise au service de plusieurs causes sociétales (3). 6000 km à la rencontre des populations frontalières et d’un patrimoine mers et Frédéric Bosqué, après avoir créé Alternatives humanistes ayant pour objectif de redonner l’autonomie financière aux acteurs économiques locaux, s’est impliqué dans les monnaies alternatives et a contribué à la mise en circulation du Sol Violette à Toulouse. Depuis, il s’est engagé pour le Revenu minimum d’existence. De manière à mobiliser les personnes et les consciences, Frédéric a entrepris un tour de France de 4000 kilomètres sur son vélo électrique dans lequel il s’est mis à l’épreuve, a rencontré des dizaines de personnes qui l’ont hébergé avec lesquelles il a échangé, ce qui lui a permis d’accroître la visibilité du concept pour faciliter sa mise en œuvre et sa généralisation. Il a permis à ses lecteurs de suivre son cheminement grâce à son journal Facebook, des articles de presse et une radio qui racontait presque quotidiennement son périple.
Ces voyageurs courageux, aventuriers de nouveaux mondes, assoiffés de vie, quêteurs de sens et d’horizons dégagés, pionniers d’alternatives ressourcantes ouvrent des territoires inexplorés et nous font rêver. Peut-être vous-ils ont inspiré ? Alors, à présent, à qui le tour ?
Christine Marsan, Psycho-sociologue
L’appel du large et de l’aventure, couplé à une vocation sociale, voire humanitaire. Un beau « débouché » pour une personne qui cherche sa voie. Mais comment réaliser ce rêve si l’on est une mère ou un père de famille, à moins de disposer d’un pécule confortable et d’exercer une profession d’indépendant. Dans ce cas on embarque la tribu et on part sur un voilier faire le tour du monde. Viatique pour la vie mais l’esprit n’est pas le même.