Après avoir acheté nos take-away bio, Arnaud Devigne m’emmène au 29 rue Berri, siège d’INDEED France, dont il est le Directeur Général depuis environ un an. INDEED est le premier moteur de recherche d’emplois fondé en 2004 et qui compte déjà plus de 4000 collaborateurs dans le monde. Dans le cadre de ma quête visant à déterminer si Emmanuel Macron est disruptif, je souhaitais avoir cet entretien avec Arnaud car je sais qu’il est En Marche et qu’il baigne dans le digital depuis vingt ans. Au bout de trois minutes de discussion, Arnaud m’explique qu’il s’intéresse aux Entreprises Virtuelles et aux nouvelles formes organisationnelles depuis les années 90 – un de ses héros est d’ailleurs son professeur de stratégie de l’époque à l’Université d’Ottawa, Christian Navarre. Après trois minutes et 36 secondes, il me dit qu’Emmanuel Macron est un talent transformationnel. Waouh ! L’entretien qui durera presque deux heures s’annonce très riche. Et je vais en profiter pour pousser Arnaud dans ses retranchements pour imaginer ce que pourrait être le futur de l’État.
Arnaud, depuis tout petit s’intéresse à la politique ; pourtant, y compris lors de son passage par Sciences Po, il ne s’était jamais impliqué. Il ne s’était jamais réellement retrouvé dans aucun parti, tous porteurs de dogmes privateurs de libertés. Il a commencé à s’intéresser à Emmanuel Macron lorsque celui-ci est entré au gouvernement. Il le trouve plein de bon sens, sans pour autant être populiste.
Au-delà du bon sens, Arnaud m’explique qu’Emmanuel Macron est un talent transformationnel. Depuis la fin des années 90, le monde de l’entreprise, en France et à l’international a beaucoup changé. Le digital y est pour beaucoup car celui-ci a complètement ré-ouvert le champ des possibles. En même temps, a commencé à apparaître une nouvelle génération de talents qui s’est mise à défier les manageurs en place. Ces talents transformationnels se caractérisent par une recherche de sens, un challenge du status quo et la proposition de solutions alternatives. Et donc bien évidemment, l’on comprend ce qui fait d’Emmanuel Macron un talent transformationnel.
Tout d’abord, il porte une vision chargée de sens et de valeurs. Je l’ai écrit dans un autre article, une de ses forces est de rassembler grâce à une approche à la Simon Senek : le Why ou le Massive Transformative Purpose. En partant de la vision et des valeurs, le programme est presque secondaire. Il est une conséquence. Ensuite, il challenge le status quo notamment en refusant le clivage gauche-droite. Enfin, il propose des solutions nouvelles en s’affranchissant des dogmes, par exemple en proposant le droit à l’assurance chômage pour tout type de travailleur, quelque soit son statut.
Le futur des organisations – avec notamment la notion d’organisation ouverte – étant l’un de mes sujets de recherche actuel, je bois du petit lait en écoutant Arnaud car ensuite il m’explique comment s’organisent les entreprises du nouveau monde. Trois caractéristiques de ces nouvelles entreprises sont la vision, le data analytics et l’expérimentation rapide. Nous avons déjà parlé de la vision plus haut. Concernant le data analytics, il s’agit, là aussi d’un réel changement de paradigme : on ne fait plus d’études de marché. Au lieu de cela on collecte des volumes gigantesques de données, et on prend des décisions en les analysant. Le big data a remplacé l’ancien métier de directeur marketing. Concernant l’expérimentation rapide, ou ce que les marketeux appellent A/B testing, on teste à petite échelle un produit ou un service.
Est-ce que ce nouveau mode de fonctionnement des entreprises ne serait pas aussi le futur de l’État ? Un État dont le leader serait le garant d’un ensemble de valeurs et d’une vision ? Un État qui, au lieu de faire de grandes études annuelles, remonterait et analyserait de l’information en temps réel pour prendre des décisions ? Un État qui mettrait en œuvre une forme d’A/B testing, ou des expérimentations locales ? Au fond, pourquoi est-ce que toutes les grandes réformes échouent ? Elles échouent car les citoyens ne peuvent plus supporter que des prétendus sachants décident. Ne serait-ce pas le moyen efficace de vendre des réformes aux citoyens ? Le rôle de l’État ne serait pas de demander au peuple ce qu’il veut à coup d’élections ou de référendums, mais de prendre le pouls grâce à la data et de conduire des expérimentations locales et rapides.
Ensuite, je demande à Arnaud de m’expliquer pourquoi il pense qu’Emmanuel Macron est disruptif. Nous regarderons plus la forme – la façon de faire – que le fond – les propositions.
Pour Arnaud, Emmanuel Macron met en œuvre les trois principes évoqués ci-dessus pour gérer son mouvement : vision, data analytics et expérimentation rapide. Le point de vue sur le data analytics, rejoint ce que nous a expliqué Arthur Muller. Grâce à la data, En Marche fait du géo-marketing politique. A titre d’anecdote, Arnaud me dit que c’est par une surveillance très fine du web et des réseau sociaux que Macron a fait son coming-out à l’envers à Bobino. Tout cela laisse présager qu’il pourrait conduire, le cas échéant, au renouveau de l’État. On passerait ainsi de l’État régulateur et contrôleur à l’État facilitateur, catalyseur et animateur.
Les organisations ouvertes présentent un ensemble de traits caractéristiques. L’un de ces traits est le recours systématique à des stratégies de plateforme, et notamment de plateforme infrastructure (comme je les appelle). L’idée est la suivante : une organisation ne peut pas proposer des solutions pour répondre à toutes les niches et tous les besoins. En revanche, une organisation peut mettre en place une infrastructure, un environnement, une boîte à outils qui permet à des tiers de développer une multitude d’applications, de solutions. En cela, Arnaud pense que l’État pourrait mettre en place des plateformes. Par exemple une plateforme éducation, qui permettrait ensuite à des organismes privés ou publics de construire leur propre approche de l’enseignement afin de répondre le plus finement possible aux spécificités locales ou propres à certains citoyens.
Je dois bien avouer que je trouve qu’une vision de l’État vu comme une organisation ouverte (open organization) mettant en œuvre une stratégie de plateforme est assez séduisante. L’analogie avec les transformations que le monde des entreprises est en train de vivre est-elle purement conceptuelle, ou bien est-ce l’avenir de l’État ? Emmanuel Macron est-il lui aussi un bâtisseur de plateforme ? Réponse dans le prochain numéro…
Cet article est basé sur un entretien avec Arnaud Devigne du 24 mars 2017 par Albert Meige, Presans.com
A propos d’Arnaud Devigne
Diplômé d’un master en marketing à Sciences Po, d’un master en management Internet et Télécommunications à l’Université Paris Dauphine et d’un MBA à l’Université d’Ottawa, Arnaud Devigne a plus de 20 ans d’expérience dans l’univers de la Tech et du Web. Il a commencé sa carrière en tant que consultant en stratégie et marketing pour les grands comptes. Après avoir travaillé pendant plus de 10 ans pour des sociétés telles qu’Accenture et Capgemini Consulting Telecom & Media, il a rejoint les équipes de Google France, en 2009, en qualité de « Head of Business Marketing». Il a également été Directeur Marketing chez Viadeo et PagesJaunes. Il intègre en avril 2016 l’équipe d’Indeed France en qualité de Directeur Général et a pour mission d’installer la marque, de renforcer la collaboration avec les entreprises et institutions françaises et de développer des programmes de sensibilisation auprès du grand public et des employeurs.
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