Figures de la faiblesse, sous la direction de Thomas Hunkeler et Marc-Henry Soulet – Éditions Épistémè/Collection Sociologie et Littérature, octobre 2024 – 208 pages
Sous la direction de Thomas Hunkeler et Marc-Henry Soulet, Figures de la faiblesse explore avec profondeur et subtilité une notion souvent perçue négativement, mais qui révèle une richesse conceptuelle et une complexité humaine insoupçonnées. Publié aux Éditions Épistémè, cet ouvrage collectif interdisciplinaire invite à repenser la faiblesse sous toutes ses formes, dans une époque marquée par une survalorisation de la force, de la réussite et de la résilience.
Peu fréquentable, la faiblesse est, on s’en doute, peu fréquentée dans le monde académique. Peu d’intérêt pour cette notion marquée par le manque, le déficit, voire le défaut ou la défaillance. Sa plasticité, sa labilité, son impalpabilité en font une notion littéralement insaisissable, théoriquement et disciplinairement. Mais la faiblesse est peut-être plus forte qu’il n’y paraît de prime abord. Ce livre invite à sortir du présupposé socioculturel et symbolique considérant la faiblesse comme une notion sans qualité pour se focaliser sur ce qu’elle permet de saisir intellectuellement et épistémologiquement – et peut-être même émotionnellement – de l’expérience humaine.
L’ouvrage prend le parti d’aborder la faiblesse à travers une pluralité de points de vue issus de chercheurs et chercheuses académiques (histoire, sociologie, anthropologie, littérature, droit), mais aussi d’écrivains et de vidéastes. Il propose une réflexion articulée autour de la faiblesse, non pas comme un défaut ou un manque, mais comme un révélateur des tensions humaines et sociales. Il s’appuie sur des approches variées – philosophique, sociologique, littéraire, et artistique – pour examiner comment la faiblesse est représentée, perçue et vécue dans différents contextes.
Les auteurs, chercheurs issus de disciplines multiples, analysent des figures marquantes de la faiblesse dans l’histoire, la littérature, ou encore la culture contemporaine. Ils s’intéressent notamment à la faiblesse comme élément constitutif de notre humanité, qu’elle apparaisse sous la forme de vulnérabilité, d’incapacité, ou même de renoncement.
Figures de la faiblesse interroge d’abord la dimension anthropologique de cette notion. La faiblesse, loin d’être une simple opposition à la force, y est décrite comme une qualité relationnelle : elle dévoile les interconnexions entre les individus, la dépendance mutuelle qui constitue le tissu même de la vie en société. Dans ce sens, elle apparaît comme un levier d’humanisation, obligeant à repenser la solidarité et l’entraide.
Sur le plan philosophique, le livre revisite des pensées classiques et modernes pour repérer comment la faiblesse a été conceptualisée. Les auteurs soulignent son rôle paradoxal : faiblesse et force ne sont pas nécessairement antagonistes, mais peuvent coexister dans des rapports complexes, comme en témoigne la littérature sur les héros fragiles ou les figures christiques. La faiblesse devient ainsi un terrain fertile pour l’exploration des limites de la condition humaine.
Dans le domaine sociologique, les contributions montrent comment les systèmes modernes – marqués par l’efficacité, la performance et la productivité – tendent à invisibiliser ou à exclure la faiblesse. L’ouvrage propose de renverser ce paradigme en valorisant les formes d’existence où la faiblesse est non seulement assumée, mais aussi reconnue comme un espace de résistance et de transformation.
Une réflexion essentielle
Le livre invite à une lecture audacieuse de ce que signifie être humain dans toute sa fragilité. À une époque où la résilience est souvent glorifiée, cet ouvrage rappelle avec justesse que la faiblesse, loin d’être un état à fuir ou à surmonter, peut être une source de profondeur et de créativité.
Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui souhaitent enrichir leur compréhension de l’humain et des dynamiques sociales, tout en déconstruisant les discours dominants qui relèguent la faiblesse à une condition honteuse ou secondaire. Il ouvre une porte vers une réflexion collective et nécessaire pour bâtir des sociétés plus inclusives et conscientes des dimensions plurielles de l’existence. Une œuvre originale invitant à penser le monde autrement.