Donald Trump : la politique à la renverse, de Jean-Marc Salmon – Éditions Les petits matins, 13 mars 2025 – 200 pages
Donald Trump a conquis par deux fois la présidence des États-Unis en menant une politique « à la renverse ». Sa méthode est singulière : c’est par ses médias à lui — ses comptes Facebook, X, Truth Social,… – qu’il rassemble des électeurs et s’impose dans un parti qui ne voulait pas de lui. Il a compris ce qu’apporte la révolution numérique : la possibilité de s’adresser directement – sans le filtre des journalistes – à des millions de personnes. Il tire parti de cette liberté pour imposer l’incorrrection politique.
Cet ouvrage est le récit de la conquête de la superpuissance américaine par Donald Trump, X et Elon Musk. L’auteur applique le concept de « désinhibition » aux États-Unis de Donald Trump.
Trump bouscule aussi l’Europe après avoir chamboulé la vie politique américaine, à coups de tweets fallacieux et ravageurs. Dans la forme : les à-peu-près, les blagues, les insultes. Et sur le fond : en projetant des pulsions jusqu’alors refoulées. En dix ans, il renverse les standards de l’espace citoyen.
L’auteur décrit ce modèle en suivant concrètement l’histoire des victoires et des défaites de Donald Trump. Comment il substitue au vrai le vraisemblable, puis le plausible, avant d’imposer des « faits alternatifs » et enfin des « réalités alternatives ». Sa défaite de 2020, qu’il métamorphose en un « vol » électoral, devient un tremplin pour sa victoire de 2024. Le brouillard des fake news lui permet de fabriquer des représentations fallacieuses du réel dans son camp.
Donald Trump a su séduire une large partie des Américains, notamment les électeurs républicains, grâce à une combinaison de facteurs culturels, économiques et politiques. Son ascension repose sur plusieurs éléments stratégiques et sociologiques qui ont transformé le paysage politique des États-Unis :
Un discours populiste et anti-élite
Trump s’est positionné comme un outsider politique, dénonçant les élites de Washington et les médias traditionnels. Ce discours a séduit une base électorale frustrée par l’establishment et en quête d’un candidat qui « parle vrai ». Il a su incarner une rupture avec les politiciens jugés corrompus et inefficaces.
Une communication directe et provocatrice
Trump a utilisé Twitter (désormais X) et d’autres plateformes numériques pour contourner les médias classiques et s’adresser directement aux Américains. Son style brut, souvent agressif, a séduit ceux qui voyaient en lui un candidat qui n’avait pas peur de « dire ce qu’il pense ».
L’exploitation des angoisses économiques
Il a su capter les inquiétudes des classes moyennes et ouvrières blanches, en leur promettant le retour des emplois industriels et en dénonçant les accords de libre-échange comme le NAFTA (qu’il a renégocié sous l’USMCA). Son slogan « Make America Great Again » (MAGA) a joué sur la nostalgie d’une Amérique prospère d’avant la mondialisation.
Une politique nationaliste et protectionniste
Trump a séduit les Républicains en adoptant un discours nationaliste : il a promis de défendre l’Amérique contre la Chine, de renforcer l’industrie nationale et de restreindre l’immigration illégale en construisant un mur à la frontière mexicaine. Cette rhétorique a mobilisé une frange de l’électorat républicain sensible aux thèmes identitaires et souverainistes.
Un soutien des évangéliques et des conservateurs sociaux
Malgré son passé tumultueux, Trump a su rallier les électeurs religieux en nommant des juges conservateurs à la Cour suprême et en s’opposant à l’avortement. Son alliance avec les chrétiens évangéliques a été décisive pour son succès dans des États-clés comme la Floride et le Texas.
Une approche agressive face aux médias
Trump a qualifié les grands médias de « Fake News », renforçant ainsi la méfiance de ses électeurs envers les journalistes traditionnels. Cette stratégie a créé une dynamique où ses partisans se sont tournés vers des médias alternatifs plus alignés sur son discours, comme Fox News ou OANN.
Une personnalisation du pouvoir
Contrairement aux politiciens classiques, Trump a construit une image de « fort en affaires », utilisant son expérience de milliardaire et de star de télé-réalité pour séduire un électorat admiratif de la réussite économique. Son charisme et son style direct ont contribué à sa popularité.
Une base électorale fidèle et engagée
Contrairement à d’autres candidats républicains avant lui, Trump a construit un mouvement politique autour de sa personne, avec des partisans fidèles, prêts à le défendre contre ses opposants. Même après sa défaite en 2020, il est resté une figure dominante du Parti républicain.
Un phénomène politique unique
Trump a su fédérer des électeurs issus de différentes catégories sociales grâce à une rhétorique populiste, nationaliste et protectionniste. En jouant sur les émotions, la colère contre l’establishment et une communication ultra-directe, il a transformé le Parti républicain et redéfini la politique américaine. Aujourd’hui encore, son influence reste considérable sur la droite américaine.
Cependant, la politique de Trump fondée sur la distorsion de la réalité est vouée à l’échec. Telle est la conviction du prix Nobel Joseph Stiglitz interrogé par l’auteur : « Les lois de l’économie ne sont pas assujetties à Twitter ou à X. » Donald Trump est déjà devenu l’influenceur politique numéro un en Amérique latine. Si l’Europe veut avoir les moyens de faire face, il est temps de tirer les leçons du phénomène Trump et d’édicter des règles protectrices.
En détaillant les stratégies de Trump, Salmon offre une grille de lecture précieuse pour comprendre l’avenir politique des États-Unis et, par extension, des démocraties occidentales. Il interpelle également l’Europe sur la nécessité de renforcer ses institutions face à la montée du populisme et à la propagation des fake news. Cependant, l’ouvrage ne peut pas changer la donne aux États-Unis, car il s’adresse principalement à un public francophone et académique, loin de l’électorat américain. Les partisans de Trump, méfiants envers les analyses critiques, privilégient des médias qui valident leur vision du monde. De plus, le « trumpisme » est désormais ancré dans le paysage politique américain et dépasse la seule figure de Trump. L’impact du livre pourrait néanmoins être plus fort en Europe en sensibilisant sur les dangers du populisme numérique et en incitant les décideurs politiques à encadrer davantage les réseaux sociaux et la désinformation. Ainsi, sans avoir de portée directe sur la politique américaine, cet ouvrage constitue un outil précieux pour comprendre et anticiper les transformations du débat démocratique à l’ère numérique.
Jean-Marc Salmon est historien et sociologue. Ancien directeur du Bureau du livre français de New York, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les enjeux d’Internet.