Alors que nous sommes des milliers à nous croiser chaque jour anonymement, dans des rues sans identité où la présence humaine est passagère, des questions font sens. Vous y sentez-vous bien ? À qui appartient l’espace public ? Comment faire afin que chacun de nous soit en mesure de se réapproprier les rues afin de s’y sentir à l’aise, comme chez lui. Comment recréer une atmosphère accueillante, rassurante, transformer nos espaces publics tristes en lieux d’échange et de parole ? Comment permettre aux rues de redevenir des espaces d’expression, de création et de partage, elles qui demeurent les témoins de notre époque et de nos vies ? C’est à travers ce questionnement que nous avons rencontré Christian Guémy, un artiste de rue connu internationalement sous le pseudonyme C215. Il nous a fait partager sa démarche artistique, nous a expliqué le sens que prennent ses œuvres dans l’espace public.
Sous la bruine colorée, le visage enfantin apparaît. Nina, c’est sa muse, son amour, sa fille. Le sujet qu’il a le plus peint, le plus connu du public, sans hésitation. Cette fois-ci, elle n’ornera pas l’un des murs de la capitale, c’est pour le compte d’une cliente qu’il l’a recréée.
Christian Guémy a 39 ans, les cheveux en bataille et l’allure décontractée. Après une enfance marquée par les abandons, c’est à travers la peinture qu’il a appris à évacuer sa colère. Il a l’objectif de se servir de son agressivité, d’en tirer le meilleur à travers des activités quotidiennes constructives. L’artiste s’est fait connaître sous le nom C215, le patronyme de l’association qu’il a créée dans le but d’organiser des expositions collectives d’artistes de rue et de mettre en avant leurs œuvres à travers des livres. C’est sous ce même pseudonyme qu’il signe des portraits qu’il dispose dans les rues des grandes villes du monde entier : Paris, Londres, Berlin, New Dehli, Amsterdam, Istanbul, Jerusalem, Oslo, Casablanca etc. Des peintures réalisées à la bombe d’après la technique du pochoir, touchantes par les détails et les expressions des visages. À travers ses portraits, ce sont les histoires de ces personnages qu’il raconte.
Ses œuvres, il les laisse derrière lui sans regret, il prend même du plaisir à les abandonner. Participant ainsi à un « art de l’absence », comme il l’appelle, il aime laisser la trace de son passage visible sans être lui-même présent physiquement. Son plaisir, il le tire sur l’instant, d’un mélange d’adrénaline procurée par le risque et l’exposition au regard des autres mais aussi de la satisfaction d’embellir un espace et de travailler, s’exprimer librement sans rendre de compte à personne.
Derrière la recherche de l’adéquation du lieu, du portrait, des couleurs et des dimensions, derrière ces personnages qu’il laisse derrière lui, l’artiste est aussi en quête identitaire. « L’art c’est ma thérapie », confesse-t-il. Après une période plus sombre de sa vie durant laquelle il représentait principalement des clochards, des orphelins ou des laissés-pour-compte, il varie aujourd’hui davantage ses sujets et ajoute plus de couleurs à ses peintures.
Le plaisir que ressent Christian lorsqu’il peint est intrinsèquement lié à celui qu’il partage avec les passants, ceux qui sont assez attentifs pour ne pas manquer ses œuvres. « Je m’adresse à ceux qui ont envie d’observer la poésie de la ville. Et j’espère que mon travail en fait partie. » Il veut surprendre le passant en le confrontant à ses graffs placés à des endroits inattendus. « Ça créé une émotion et un contact forts entre l’œuvre et le public sans qu’il y ait forcément identification du public et de l’artiste. »
À travers ses œuvres, l’artiste de street art cherche clairement à susciter une réaction du passant. Insolent et pertinent, l’homme joue sur l’ambiguïté, sur la tension entre deux forces opposées, que ce soit dans ses œuvres comme dans son tempérament. Derrière son apparence d’artiste un peu baba cool se cache un homme très cultivé, à la fois rationnel et très attaché à la précision. « J’aime bien les paradoxes, être à la fois en opposition à la loi mais pour le bien-être de tous, je trouve ça extrêmement romantique. La poésie de la chose est finalement dans cette tension. Ce que je peins représente à la fois le chaos et la structure. » En faisant parfois preuve d’une pointe d’ironie, il recherche la limite, le point précis où l’œuvre prendra du sens sans basculer dans la provocation affichée, tout en laissant la place à l’interprétation.
Christian reconnaît le rôle citoyen que portent ses œuvres. Dans la rue, l’art est évidemment engagé et réalisé à destination d’un public. « Quand j’interviens dans l’espace urbain c’est pour rassembler, pas pour diviser, j’essaie de créer un consensus. Je ne suis pas un provocateur. J’essaie que ça profite au plus grand nombre et que ça ne nuise à personne ». À travers ses œuvres, l’artiste essaie de nourrir un questionnement sur l’identité, l’anonymat et la notion de l’autre. « Je fais des anonymes. Je m’adresse directement au spectateur en lui montrant son visage à travers celui d’un autre. Il y a un échange. »
Christian Guémy le revendique, il n’est pas un vandale, il ne détériore pas son environnement, au contraire, il essaie de favoriser un autre regard sur la ville. « J’interviens toujours pour transformer un espace négligé, donc non entretenu en quelque chose qui prend de la valeur. Il y a un bénéfice social pour les gens qui peuvent en jouir. L’endroit devient un espace d’expression personnelle. Il y a un côté magique dans cette transformation. »
L’artiste a besoin d’évoluer, d’apprendre afin de ne pas s’ennuyer, il a horreur des choses répétitives. Désormais, il œuvre donc également sur internet « parce que le web, c’est aussi un peu un espace non cartographiable » explique-t-il. Dans le futur proche, il pense s’attaquer à la peinture de grands murs, ce à quoi il n’est pas habitué. En riant, Christian annonce qu’il se verrait bien taguer des graffitis lorsqu’il sera vieux. Il y a un début à tout.
Pour l’heure, vous pourrez admirer ses œuvres lors de ses prochaines expositions :
« Urban masters », à partir du 9 novembre, Opera gallery, Londres« Au-delà du street art » à partir du 28 novembre 2012, L’Adresse Musée de la Poste, Paris« Orgullecida », à partir du 13 décembre 2012, Montana gallery, Barcelone« Vedi cara », à partir de 2013, Wunderkammern gallery, Rome
Plus d’informations à retrouver sur la page Facebook officielle de l’artiste et de nombreuses photos de ses œuvres sur sa page Flickr.
À revoir aussi, un portrait de l’artiste réalisé par Canal Street.
Article rédigé par Jéromine Santo Gammaire, Web journaliste pour Europe Créative
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