Du 23 juin au 17 septembre 2023, la Ville de Clermont-Ferrand présente l’exposition « Faut-il voyager pour être heureux ? », présentée initialement à l’espace Fondation EDF à Paris jusqu’en avril 2023. Une invite aux visiteurs pour se questionner sur leur rapport au voyage au travers de l’imaginaire artistique de 26 artistes contemporains français et internationaux.
L’exposition aborde des sujets d’actualité, comme la mobilité repensée à la suite de la crise sanitaire, les enjeux environnementaux de la préservation des écosystèmes et du changement climatique, ou encore les migrations contraintes et l’exil.
C’est aussi une invitation au plaisir et à l’émotion pour découvrir d’un autre œil l’univers du voyage. Près d’une trentaine d’œuvres – installations, peintures, vidéos ou encore photographies – évoquent ces questions majeures. Née d’un commissariat collectif réunissant Nathalie Bazoche de la Fondation groupe EDF, Alexia Fabre anciennement directrice du MAC VAL et Rodolphe Christin sociologue, cette exposition a pour ambition de faire réfléchir sur notre conception du voyage souvent identifiée comme un incontournable ingrédient du bien-être.
Les récentes mesures prises par les différents gouvernements pour lutter contre la Covid-19 ont souligné notre dépendance au mouvement et révélé à quel point notre envie de mobilité pouvait être contrariée. C’est avec l’art contemporain et toute sa créativité que s’éclaire le réel. Les artistes et leurs œuvres bousculent ainsi l’enchantement spontané du voyage, perçu comme un vecteur de connaissance, de dialogue et de développement, pour le confronter aux grands enjeux de notre époque : quelle est l’empreinte écologique des voyages et de leurs infrastructures ? Comment le tourisme transforme les ailleurs en espaces de consommation ? Quel regard peut-on porter sur les populations qui migrent par nécessité alors que d’autres se déplacent par plaisir ? Et enfin, parce que le rêve reste une dimension fondamentale du voyage, quels sont les nouveaux imaginaires pour les voyageurs d’aujourd’hui et de demain ?
La Fondation groupe EDF, dans le cadre de ses actions dédiées à l’éducation, propose des expositions sur des sujets de société pour contribuer à l’éveil de l’esprit critique des jeunes et du grand public. Afin de rendre ses expositions accessibles au plus grand nombre, elles sont désormais itinérantes en France, comme à l’international.
Préface de Laurence Lamy, Déléguée Générale Fondation groupe EDF
« Paradoxe : c’est en plein confinement que nous est venue cette idée d’exposition sur le voyage. Tandis qu’émergeait chez les plus gâtés de nos sociétés occidentales cette plainte : « Si je ne peux plus bouger, je vais craquer ». Et que surgissait parallèlement son versant contraire : et si cette immobilité contrainte s’offrait comme une chance pour la préservation de la planète ? « Faut-il voyager pour être heureux ? » est une question qui ne trouvera pas à être résolue par une réponse binaire. Nos désirs comme nos pratiques révèlent nos contradictions. D’un côté, la nécessaire transition écologique, les impacts de la « mise en tourisme » de la planète. De nouveaux freins aussi, géopolitiques ou sanitaires, qui contredisent l’image d’un monde ouvert à tous les voyageurs. De l’autre, ce désir anthropologique irrépressible de franchir la colline. Le voyage révèle nos paradoxes individuels : le voyageur est objet de l’industrie touristique, mais le voyageur est aussi sujet de ses désirs de découvertes et d’expériences. Il révèle aussi l’inégalité de nos conditions : le voyage d’agrément des classes moyennes et supérieures des pays développés certes, mais aussi les migrations subies du Sud, de plus en plus motivées demain par des raisons climatiques. On trouvera, avec cette édition sur le Voyage, le cœur de la proposition des expositions de la Fondation : enchâsser récit sociologique et imaginaire artistique. Avec une intention qui ne se veut pas conseil de bonne vertu ni mode d’emploi du bien voyager. Quelle serait notre légitimité par exemple à intimer aux classes moyennes émergentes des pays du Sud de rester demain chez elles, comme Chateaubriand déplorait l’arrivée des classes populaires anglaises sur les ruines du Parthénon ? Ce qui est proposé ici n’est pas leçon de morale mais matière à penser et à ressentir, à questionner le voyageur que nous sommes dans son statut de sujet complexe aux motivations multiples. Explorer de nouvelles frontières spatiales, technologiques ou, à rebours, redonner sa valeur au trajet plus qu’à la destination, réenchanter le local ? Les imaginaires sont pluriels. Laissons la trentaine d’artistes invités nous inspirer sans dessiner de solution prête à l’emploi. Leurs récits, leurs fantaisies, leurs représentations nous invitent à réétalonner les nôtres pour composer notre Voyage. »
Explorations artistiques en Terre du Milieu
Clermont-Ferrand accueille l’exposition «Faut-il voyager pour être heureux ? » dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation groupe EDF et de la candidature à la capitale européenne de la Culture 2028. Le propos de cette exposition, d’abord organisée à Paris où elle a mobilisé un large public, est de questionner le voyage et les modalités de nos aspirations au bonheur.
En coconstruisant cette manifestation et en l’installant à Clermont-Ferrand il lui a été conféré une dimension supplémentaire : celle de l’itinérance et de la diffusion de l’art qui est au centre de la candidature à la Capitale européenne de la Culture.
Par cette démarche le souhait est de contribuer activement à un large mouvement, visant à décentraliser la culture mais aussi à défier les idées reçues sur les lieux où l’art et la culture « devraient » résider.
Patrimoine universel, la culture appartient à tous et doit prospérer partout, elle doit cultiver la surprise et provoquer l’inattendu.
Établie au cœur du Massif central, l’exposition engage enfin une réflexion sur une vision du tourisme plus lente, plus contemplative, interrogeant la nécessité de se déplacer pour trouver son bonheur. Elle propose une traversée artistique et philosophique, une invitation à voyager autrement, à découvrir la richesse insoupçonnée de notre environnement immédiat. C’est un axe cardinal du dossier de candidature et de la vision de « terre du milieu », pour faire face à l’urgence environnementale, mais aussi au désenchantement social.
Ce partenariat est un jalon important au cœur de la ville, de nos territoires, d’un dialogue européen et universel sur l’art, la culture et l’environnement.
« Une mobilité infinie dans un monde fini est-elle possible ? »
En posant la question « Faut-il voyager pour être heureux ? », nous avons souhaité déranger le réflexe qui fait du voyage un incontournable ingrédient du bien-être. Les mesures prises par les gouvernements pour lutter contre la Covid-19 ont souligné le degré de notre dépendance au mouvement. Qui avait imaginé que le principe de mobilité serait à ce point contrarié ? Grâce à l’art contemporain, nous mobilisons la créativité pour éclairer le réel. Nous bousculons ainsi la part d’enchantement du voyage, souvent perçu comme un vecteur sans équivoque de connaissance, de dialogue et de développement. Nous tentons un exercice de lucidité. Si les voyages édifient parfois les consciences, n’oublions pas l’empreinte écologique des infrastructures, l’impact d’un tourisme qui transforme si souvent l’ailleurs en espaces de consommation. Nos déplacements supposent l’usage de technologies fonctionnant aux énergies fossiles, sans qu’il soit à ce jour possible de leur substituer des technologies écologiquement et socialement vertueuses. Rappelons qu’en matière de déplacements, les inégalités sont frappantes : lorsque des populations migrent par nécessité, d’autres se déplacent par plaisir.
Le voyage, ce composant du bonheur pour beaucoup, apparaît aussi comme un baromètre de l’invivabilité du monde. Le dernier rapport du GIEC sonne l’alarme en rappelant l’urgence d’agir contre le changement climatique. En 2019, en France, 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sont dus aux transports. En 2020, la pandémie, en quelques jours, a stoppé net l’industrie touristique, une des premières industries du monde selon l’Organisation mondiale du tourisme. Dans un monde fini, peut-on imaginer une mobilité infinie et sans dommages ?
« Rendre le monde fréquentable »
Longtemps, voyager fut une épreuve physique et psychologique. Physique, car partir signifiait s’exposer aux intempéries, à la fatigue des efforts nécessaires au mouvement. Psychologique, car s’éloigner était synonyme d’isolement : on quittait son quotidien, ses proches, pour aborder l’inconnu. L’incertitude était la règle, le hasard et l’aventure bousculaient les prévisions. La révolution industrielle a entraîné le développement des mouvements de marchandises et de main-d’œuvre. Pour cela, augmenter le nombre de routes s’est avéré nécessaire. Celles-ci ont d’abord été empruntées grâce à l’énergie animale, avant que mécaniques et moteurs ne prennent le relais en réduisant la fatigue, en augmentant la vitesse. Pour régulariser les déplacements et les rendre prévisibles, il a fallu organiser le monde à cette fin. La Terre, une fois devenue accessible et fréquentable dans ses grandes largeurs, a pu être exploitée. Chaque technologie exige ses infrastructures : ports, aéroports, aires d’autoroutes, mais aussi antennes, pipelines, câbles et ondes pour acheminer l’énergie et permettre des connexions. Des grands axes de la circulation planétaire jusqu’aux sentiers de randonnée, des itinéraires sont établis pour mailler les territoires, quadriller la planète. La voici partout accessible et disponible. Déjà certains rêvent de l’espace intersidéral.
« Les plaisirs de la mobilité facile »
La facilité des circulations, associée à la promotion des destinations, nourrit le désir de voyages. À tel point que les loisirs touristiques sont devenus une norme existentielle associée aux vacances. Voyager pour le plaisir apparaît comme une activité valorisée et valorisante. Partout, des lieux sont spécialement apprêtés pour accueillir des visiteurs. Le tourisme est un élément de toutes les stratégies de développement territorial. Avant la pandémie, le secteur touristique était considéré comme l’une des premières industries du monde avec 1,4 milliard d’arrivées internationales. S’il est d’usage de parler de « tourisme de masse », cependant n’imaginons pas que tout un chacun dispose des moyens financiers de voyager pour le plaisir. Pour cela, il faut bénéficier d’un excédent budgétaire qui n’est pas également réparti.
Le secteur touristique rencontre depuis quelque temps de vigoureuses contradictions : saturation du « sur-tourisme », conflits d’usages, émissions de gaz à effets de serre, remises en cause d’aménagements touristiques, politique du plus bas prix délétère… Aussi le choc pandémique, en remettant en cause la sécurité sanitaire des mobilités, s’est-il accompagné de multiples débats sur l’avenir du tourisme. La mise en berne des activités touristiques a révélé la fragilité des économies dépendantes au tourisme.
« Inégalités migratoires »
Les gaz à effet de serre sont principalement émis par les pays riches, ou par les populations les plus riches des pays dits en voie de développement. Souvent dépendantes des productions agricoles, de la pêche, voire de la chasse ou de la cueillette, les populations les plus pauvres affrontent en première ligne les conséquences du changement climatique. En des lieux de plus en plus nombreux, les dérèglements planétaires entraînent des effets bien concrets : baisse de la production agricole, pénurie d’eau, hausse du niveau de la mer, raréfaction des ressources, catastrophes météorologiques. Des dommages collatéraux peuvent survenir. Ils aggravent les difficultés, comme les tensions géopolitiques engendrant guerres et conflits liés à l’accès à l’eau, ou, lorsqu’elle devient rare, à la concurrence des usages.
Lorsque des territoires sont inhospitaliers, leurs habitants sont contraints d’en partir. Selon une étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique dans trois régions du monde densément peuplées (Afrique subsaharienne, Amérique latine et Asie du Sud) pourrait contraindre plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050. En contribuant à dérégler le climat, le mode de vie des habitants des pays riches entraîne les migrations de survie des populations les plus précaires.
Pour sauver une planète que le voyage prétend faire découvrir, devra-t-on revoir à la baisse la fréquence des voyages ? Ou bien, grâce aux technologies vertes, pourra-t-on rêver d’un tourisme plus ou moins décarboné ? En attendant, planter partout des arbres pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre, est-ce une solution ou un mirage ? »
« La confrontation des imaginaires »
L’imprévisibilité des temps présents accentue l’effervescence des imaginaires. Les perspectives sont diverses, apparemment contradictoires, mais toutes contribuent à la vigueur des débats au sujet de la fameuse transition écologique. Faut-il organiser la décroissance de nos mobilités pour entrer dans un paradigme où la sobriété serait la règle ? Cela implique-t-il de renouer avec une certaine rareté des voyages, de nature à renforcer leur intensité en les sauvant de la banalité ? Voyager moins souvent, moins loin ou plus longtemps, dans une société où l’on vivrait, penserait, produirait et consommerait autrement ? Au nom du réalisme économique, faut-il verdir la croissance et compenser nos émissions de GES – par exemple, en plantant des arbres autant qu’il est possible ? Les technologies apporteront-elles des solutions écologiquement efficaces dans des délais raisonnables ? Ou bien le voyage immobile, soutenu par les technologies du virtuel, imposera sa réclusion consentie comme l’avenir du voyage. Nos déambulations trouveront refuge dans un monde parallèle qui permettra à nos jumeaux numériques d’explorer des espaces apparemment soulagés des frustrations et des menaces du réel. Ou alors faut-il appuyer sur l’accélérateur et pousser l’ancien monde à plein régime, en explorant les dernières frontières de nos déplacements ? Parviendrons-nous à explorer puis à coloniser une planète de substitution, lorsque la nôtre, polluée, réchauffée et devenue invivable, ne sera plus fréquentable ?
« Se rapprocher du monde »
Le voyage pourrait nous rapprocher du monde. On ne saurait passer sous silence la dimension édificatrice du voyage, lorsqu’il se confronte à la diversité parfois rugueuse du réel. Il permet de concrétiser, au gré du dépaysement et de l’empaysement des corps et des consciences, l’idée d’un monde en commun – un monde unique, un continuum spatial et temporel de mondialité. L’expérience du réel est indispensable à la connaissance. N’envisageons pas seulement une connaissance intellectuelle, mais encore une connaissance par la peau et par les pieds, qui intensifie la sensorialité que le quotidien sait émousser.
Il s’agit d’examiner la manière dont le voyage tisse des liens avec l’altérité, trame des relations avec le vivant, humain, non humain. S’y forgerait une écosophie, la dimension sensible et philosophique de l’écologie. Alors le voyage devient le vecteur d’un travail anthropologique qui réenchâsserait l’humain parmi l’ensemble du vivant, en toute conscience, en permettant d’élaborer une éthique de l’existence plus accordée avec l’urgence sociale et écologique.
Artistes de l’exposition
- David ANCELIN
- Mali ARUN
- Davide BALULA
- Taysir BATNIJI
- Mike BRODIE
- Emilie BROUT & Maxime MARION
- Stéphane DEGOUTIN & Gwenola WAGON
- Stefan EICHHORN
- Simon FAITHFULL
- Julie C. FORTIER
- Andy GOLDSWORTHY
- KIMSOOJA
- Ange LECCIA
- Inka & Niclas LINDERGÅRD
- Jean-Christophe NORMAN
- Martin PARR
- Abraham POINCHEVAL
- Richard, Camille MARTIN,
- Marine PONTHIEU
- Nathalie TALEC
- Cécile VIGNAU
- Mark WALLINGER
Commissariat :
- Catherine Jaffeux, Fondation groupe EDF
- Fanny Martin et Marie Pichon, Ville de Clermont-Ferrand
- Joachim Biehler, Association Clermont-Ferrand Massif central 2028
Exposition Faut-il voyager pour être heureux ? Du 23 juin au 17 septembre 2023 – Salle Gilbert-Gaillard, 2 rue Saint-Pierre – Clermont-Ferrand
Photo d’en-tête : Andy Goldsworthy, Vallée du Vançon, cairn, réserve géologique de Haute-Provence, 2000, photographie © Andy Goldsworthy / Musée Gassendi, Digne-les-Bains