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Le climatoscepticisme change de nature : il devient idéologique
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Le climatoscepticisme change de nature : il devient idéologique

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Le climatoscepticisme est en train de changer de nature. Il n’est plus seulement le fait des lobbies pétroliers ou agrochimiques qui s’opposent depuis des décennies à la transition écologique. Il tient à une hostilité plus générale et diffuse envers la science et les élites. Les enjeux climatiques empruntent désormais une voie idéologique pour investir la société, en utilisant les porte-voix populistes. L’urgence climatique devient une urgence démocratique.

Pendant ces dernières années, le débat climatique était assez simple à comprendre. D’un côté, les arguments portés par une communauté de plus en plus vaste et cohérente de scientifiques de toutes disciplines et de défenseurs de l’environnement alertant sur les risques du dérèglement climatique. De l’autre, des positions climatosceptiques remettant en cause la nature anthropique du changement climatique ou le déniant purement et simplement. Les motivations de ces derniers étaient faciles à décrypter : il suffisait de gratter un peu derrière leurs arguments pour s’apercevoir assez rapidement que leurs convictions étaient dictées par des questions d’argent. Derrière toutes les voix qui remettaient en cause le consensus scientifique, les groupes de réflexion opposés à des initiatives environnementales, les dirigeants politiques présentant le changement climatique comme un canular ou un sombre complot, on trouvait toujours les immenses enjeux du financement des industries fossiles et de l’industrie agroalimentaire intensive.

Mais cela c’était avant. L’économiste Paul Krugman, dans une tribune au New York Times, explique comment la question du climat a ouvert un nouveau front sur le terrain de la guerre culturelle : « les gens de droite contestent le discours scientifique en bonne partie par principe et rejettent la limitation des émissions polluantes par opposition viscérale à toute initiative soutenue par les progressistes ». Cette dimension du conflit émerge au pire moment possible, celui où la gravité du danger et les solutions pour la réduire sont plus claires que jamais.

Aux États-Unis, le Project 2025, élaboré sous l’égide de la Heritage Foundation [un think tank conservateur], définira probablement le programme politique si les républicains remportent l’élection présidentielle l’année prochaine. Cette initiative appelle “à démanteler la quasi-totalité des programmes fédéraux en faveur des énergies propres et à augmenter la production des énergies fossiles”, explique le New York Times.

Guerre idéologique

Qu’y a-t-il derrière cette vaste opération de destruction ? On retrouve les suspects habituels à la manœuvre – des think tanks liés aux secteurs pétrolier et gazier. Mais la force politique de cette entreprise tient largement à l’hostilité envers la science en général, et en particulier la climatologie, qui s’est renforcée dans le cadre d’une guerre idéologique.

Ainsi, jusqu’au milieu des années 2000 aux USA, républicains et démocrates affichaient à peu près le même taux de confiance envers la communauté scientifique. Mais depuis, leurs chemins divergent : la méfiance l’emporte désormais chez les républicains alors que la confiance s’est accrue chez les démocrates. Entre les deux, un fossé de trente points. Nous avons tous vu les effets de cette hostilité à la science lors des campagnes de vaccination contre le Covid-19. Les républicains ont été bien plus nombreux à refuser de se faire vacciner, écrit Paul Krugman.

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Cette tournure idéologique du débat climatique n’aidera pas à convaincre la population que la protection du climat n’est pas un complot contre leur mode de vie. Car un peu partout dans le monde, le fossé se creuse au sujet des politiques climatiques qui hérissent de larges pans de la population. Ce nouveau conflit idéologique est largement attisé par de nombreuses personnalités, politiques au point de compromettre tous les efforts de lutte contre le réchauffement climatique.

Rétropédalage

On en a vu les prémices aux États-unis où Donald Trump fustige le passage à la voiture électrique qui représente, selon lui, “une transition vers l’enfer” destructrice de notre “fabuleux mode de vie”. Il n’est pas le seul responsable politique à se montrer de plus en plus allergique au vert. Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a récemment mis un gros coup de frein aux projets visant à éliminer progressivement les voitures à essence : “Il n’est pas juste […] d’imposer un tel fardeau aux travailleurs”, a-t-il justifié. Quelques jours plus tard, il s’est rendu en Écosse pour annoncer à grand renfort de publicité sa décision d’ouvrir la mer du Nord à davantage de forages pétroliers et gaziers.

L’Italie et d’autres pays de l’Union européenne s’attaquent également aux normes « Euro 7 » qui, d’ici à 2025, visent à réduire les émissions de gaz d’échappement des véhicules. « L’Italie, la France, la République tchèque, la Roumanie, le Portugal, la Slovaquie, la Bulgarie, la Pologne et la Hongrie ont les moyens de bloquer ce saut dans l’inconnu », a déclaré Matteo Salvini, ministre italien des transports (droite dure), lors d’une conférence des concessionnaires automobiles à Vérone en mai. « Nous sommes maintenant une minorité de blocage ; nous voulons devenir une majorité ».

Lors d’un discours sur la relance de l’industrie française, le président Emmanuel Macron a appelé en mai à une « pause réglementaire européenne ». « Nous avons déjà adopté de nombreuses réglementations environnementales au niveau européen, plus que d’autres pays », a déclaré M. Macron. « Maintenant, nous devrions les mettre en œuvre, et non pas apporter de nouveaux changements aux règles, sinon nous allons perdre tous nos acteurs [industriels]. »

Les populistes soufflent sur les braises

Dans les démocraties riches, les politiques en faveur du climat sont confrontées à une vague de réactions hostiles. Les causes en sont multiples. Certains électeurs nient l’existence d’un dérèglement climatique. D’autres admettent qu’il y en a un, mais ne veulent pas payer plus d’impôts ou des factures d’énergie plus élevées. Beaucoup trouvent trop compliqué d’installer de nouveaux équipements. Certains se demandent pourquoi ils devraient faire des sacrifices alors que d’autres pays, que bien souvent ils n’aiment pas, n’en font pas autant.

Les politiciens populistes soufflent sur ces braises. Beaucoup exagèrent le coût du passage à un monde plus vert, déforment la réalité et cherchent à faire du réchauffement climatique un champ de bataille culturel : les élites urbaines vont vous prendre votre voiture et vous obliger à vous éclairer à la chandelle!

Ces tactiques se sont avérées des plus efficaces. Si la prise de conscience du réchauffement climatique a progressé, un fossé politique s’est creusé. En Australie, au Canada, en Allemagne et en Suède, les électeurs de gauche sont bien plus nombreux que ceux de droite (de 23 à 44 points d’écart) à voir le dérèglement du climat comme une “menace majeure”.

Aux États-Unis, l’écart est impressionnant : 63 points selon l’institut de sondage Pew. Une telle polarisation se traduit par des revirements plus importants lorsque le pouvoir change de mains. Avec l’élection de l’ultralibertarien anarchiste Javier Milei, l’Argentine bascule soudainement dans un climatoscepticisme d’Etat. Pour le nouvel élu, le changement climatique n’est pas d’origine humaine ou industrielle. Si la victoire de Milei est suivie de celle de Trump aux États-unis, nous entrerons dans une ère de haute confusion dans la lutte contre le réchauffement global. Une ère où les paroles seraient noyées dans un maelstrom de fake news, intimidations, désignation de boucs émissaires et fausses promesses.

La France pourrait ne pas être épargnée : la principale personnalité politique susceptible de remporter la prochaine élection présidentielle, Marine Le Pen, présente la question environnementale comme un clivage politique majeur en forme d’atout électoral.  « Elle voit dans l’écologie et les inévitables mesures d’adaptation au réchauffement climatique un clivage majeur des années à venir et un sujet de division nationale à exploiter, comme elle l’a fait avec succès pour l’immigration » écrit Le Monde. La traduction concrète de cette formule est la suivante : le RN entend s’opposer à tout ce qui menace de perturber les modes de vie et de consommation des Français et qui est décidé, à Paris ou à Bruxelles, au nom de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et de l’adaptation au réchauffement climatique. Sur ce modèle, le parti populiste et agrarien BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) fait des prouesses dans la campagne en vue des élections législatives aux Pays-Bas, ce 22 novembre. Même mouvement en Espagne, où l’extrême droite de Vox brigue en priorité le portefeuille de l’agriculture dans les gouvernements régionaux.

Offensive de sape politique

La Fondation Jean-Jaurès avait repéré dès avril dernier ce changement de nature du climatoscepticisme. Interrogés sur la réalité du changement climatique et sur son origine anthropique, 37% des Français se classent parmi les climatosceptiques. Au-delà d’une prétendue controverse scientifique, cette remise en cause du consensus climatique signale avant tout une nouvelle aggravation de la profonde défiance qui caractérise le rapport des Français aux institutions censées les représenter.

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Les auteurs de cette enquête font observer : « En niant aussi bien le problème que notre capacité collective à le résoudre, l’une comme l’autre permet de se réfugier dans le confort déceptif et dangereux du fatalisme et de l’inaction. Face à la crise climatique, ces deux positions en arrivent au même constat : il n’y a rien à faire. » De manière générale, plus un électeur se déclare proche de la droite, plus il aura tendance à se situer dans le camp des climatosceptiques : sur une échelle allant de 0 à 10 sur laquelle 0 désigne la gauche et 10 la droite, les électeurs se situant entre 0 et 2 ne sont que 23% à être catégorisés comme des climato-sceptiques, tandis que ceux se classant entre 8 et 10 sont 43%. Il existe une forte corrélation entre le fait de voter à droite ou à l’extrême droite, et la propension à ne pas accepter les conclusions climatiques des scientifiques.

En changeant la nature du climatoscepticisme, ses tenants s’engagent dans une offensive idéologique et politique destinée à saper un à un les fondements de notre démocratie libérale en s’efforçant de délégitimer toutes ses institutions, qu’elles soient politiques, médiatiques, universitaires ou sanitaires. L’accélération des événements climatiques extrêmes et les records mondiaux de température de l’été dernier n’ont guère fait reculer le mouvement. Au contraire, ce sont les climatologues qui ont été contraints de déserter le réseau X du libertarien Elon Musk, lassés de la furie contestatrice généralisée. Héritier des combats contre les restrictions sanitaires, ce renouveau des discours climatosceptiques est notamment porté par une nouvelle génération, plus engagée sur les réseaux sociaux, qui n’hésite pas à recourir aux plus invraisemblables théories du complot.

Les responsables politiques emboîtent volontiers le pas de cette dynamique, quand ils ne la suscitent pas. Les exemples se succèdent partout de voix s’élevant contre des mesures restrictives qui rendraient impossible la vie des gens. Edouard Philippe, l’ancien Premier ministre, s’élevant contre les politiques de lutte contre les passoires thermiques, ou Laurent Wauquiez, le baron d’Auvergne-Rhône Alpes qui refuse dans sa région la loi Zéro artificialisation Nette limitant la bétonisation des sols.

Que faire ?

Cette entrée de l’idéologie dans l’univers climatique n’est pas une bonne nouvelle. L’ONU alerte une nouvelle fois ce 20 novembre sur la l’état de la situation climatique. Selon les experts, la poursuite des politiques actuellement en place laisse présager une hausse des températures de 3°C par rapport à l’ère préindustrielle. Ce niveau de réchauffement est bien trop élevé pour espérer limiter les effets les plus cruels du changement climatique, qui se traduit déjà par des feux incontrôlables, des inondations dévastatrices ou des sécheresses privant des populations de revenus et de nourriture.

Que peut-on alors faire ? Le magazine britannique The Economist dans un article publié le mois dernier ouvre des pistes de solutions.  Il pourrait être possible de changer l’axe du discours climatique : pour faire baisser les émissions de CO2 à une vitesse suffisante sans générer une opposition trop grande. Les politiques climatiques devant être alors conçues de façon à infliger le moins de dépenses et de tracas possibles aux ménages. Par exemple, au lieu d’imposer le fardeau de l’installation d’une pompe à chaleur aux ménages, les États pourraient en charger les fournisseurs d’énergie. Ces derniers pourraient équiper petit à petit un pays tout entier en installant une grosse pompe à chaleur dans chaque rue et en y raccordant toutes les maisons alentour, un peu de la même façon que le haut débit a été déployé au cours des deux dernières décennies.

Une réglementation appropriée a également un rôle à jouer. Si les constructeurs automobiles se voient imposer une date pour cesser de vendre de nouvelles voitures à essence, il faut que cette date soit suffisamment réaliste pour permettre aux consommateurs de changer de véhicule sans être pénalisés. Les constructeurs auront ainsi le temps de faire baisser le prix des véhicules électriques et d’accroître leur autonomie. Avec des délais réalistes, les technologies propres pourraient devenir moins chères que les technologies polluantes avant d’être obligatoires.

Beaucoup de technologies respectueuses de l’environnement sont rentables à long terme, mais chères à l’achat. De nombreux électeurs dans les pays riches auront besoin d’aide pour les financer. Tout comme les pays en développement, où le coût élevé du capital rend encore beaucoup de projets environnementaux hors de prix.

Dans le monde entier, les responsables politiques qui se préoccupent du climat doivent prendre au sérieux l’hostilité suscitée par les mesures écologiques. Ce qui veut dire être honnête avec les électeurs quant aux inévitables changements à venir, et tout faire pour qu’ils en souffrent le moins possible. L’exemple des Gilets jaunes devrait sonner à ce titre comme un avertissement.

Les idées et les solutions pour mettre en œuvre la nécessaire transition écologique ne manquent pas. C’est surtout le courage politique qui fait défaut. Le changement de nature du climatoscepticisme et la dimension idéologique que le courant prend oblige désormais non seulement à faire preuve de courage politique pour affronter l’urgence climatique, mais aussi pour résoudre l’urgence démocratique qui se profile déjà.

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christian.campiche@bluewin.ch
11 mois

Malheureusement on a peu écouté les voix qui prophétisent une catastrophe depuis les années soixante. Ivan Illich criait dans le désert. Dans les années 2000, le soussigné, auteur du livre « Le krach mondial, chronique d’une débâcle annoncée – Et après? » (par Christian Campiche, Editions de L’Hèbe, 2008) guerroyait isolé au milieu de médias totalement climato-sceptiques. Ils ont changé d’avis mais il est très tard… En plus, le débat reste superficiel et nul ne remet en question la véritable source du problème: l’hyper-consumérisme. Fabriquer sans limite des éoliennes et des panneaux solaires crée parallèlement d’autres dépendances, au niveau des déchets notamment.… Lire la suite »

Hugues F
11 mois

Chacun est effectivement plus ou moins conscient du changement climatique au vu des températures très régulièrement supérieures aux moyennes saisonnières. Qu’en est-il d’un politicien qui veut être élu? Parler du changement et de l’adaptation, alors que chacun là encore a bien compris qu’il devra se restreindre: moins d’avion: +ou- synonyme de moins de loisirs, pour les plus aisés , moins de voiture: pour beaucoup, +ou- synonyme d’abandon du rêve de la maison avec terrain; Au vu de l’augmentation des prix, elle s’éloigne des centres villes et des lieux de travail! Alors que peut promettre ce politicien? Vivre dans un appartement… Lire la suite »

Hugues F
11 mois
Reply to  Hugues F

Nous quittons l’ère des mille et une initiatives  du développement personnel pour l’ère des mille plus une initiatives du  changement climatique

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