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Le Pen et Bardella atteints de sévère amnésie climatique

Le Pen et Bardella atteints de sévère amnésie climatique

Climat, le grand oublié

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La victoire du Rassemblement national aux élections européennes, suivie de la dissolution surprise décidée seul par le président Macron, puis du démarrage d’une campagne surréaliste pour les législatives, ont créé un maëlstrom en France qui a fait au moins une victime : la crise climatique est passée à la trappe. Le climat est le grand oublié de ces élections. Les experts environnementaux et les organisations de défense de la planète s’en étranglent. La crise climatique s’aggrave chaque jour et ici, en France, on fait comme si nous vivions dans une autre galaxie, loin des canicules mortelles, des sécheresses ruinant notre alimentation et des montées des eaux avec leurs cortèges de réfugiés climatiques. Ici, les seules tempêtes sont celles des vociférations politiciennes.

Le ton a été immédiatement donné par le climatologue le plus célèbre de France, Jean Jouzel : « Je suis secoué, effrayé, abattu » se désole-t-il dans Le Monde. L’association France nature environnement appelle à « éviter que la France ne bascule dans le camp des climatosceptiques et des négationnistes de la crise environnementale ». Le Rassemblement national veut « détricoter les avancées environnementales », alerte l’ONG Greenpeace. « L’extrême droite est un grave danger pour l’environnement et le climat », écrivent Les Amis de la Terre sur le réseau social X.

Le vide

Les spécialistes du climat sont unanimes dans l’alarme face aux positions climatiques du parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Déjà, lors de la campagne présidentielle de 2022, les climatologues s’étaient inquiétés devant des mesures les rétropédalages et détricotages des avancées sur le climat. Ainsi, la candidate étiquetée Rassemblement national promouvait-elle un moratoire sur l’éolien, se heurtant à tous les scénarios de transition énergétique, qui, nucléaire ou pas, soulignent la nécessité des énergies renouvelables si la France veut sortir des énergies fossiles et tenir ses engagements climatiques.

Deux ans plus tard, dans le programme du RN pour les européennes, on avait beau chercher, on ne trouvait nulle mention de la sortie des énergies fossiles ou de la neutralité carbone. Le chef de file Jordan Bardella, au contraire, lançait ses flèches contre le Pacte verte européen et son « écologie punitive » à ses yeux. Il prônait l’abrogation de l’interdiction de vente de voitures thermiques neuves en 2035, tout comme l’assouplissement « des obligations européennes de rénovation énergétique des bâtiments » ; il redoublait ses coups contre le déploiement d’éoliennes et de panneaux solaires.

Pour les législatives anticipées qui vont avoir lieu le 30 juin et le 7 juillet, le RN a publié sa profession de foi à laquelle tous les candidats d’extrême droite devront se référer pour leur campagne. Ici encore on n’y trouve strictement aucune mention du dérèglement climatique ou de la protection de l’environnement et de la biodiversité. Le programme va même plutôt à rebours de la logique de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisqu’il promeut une réduction de la TVA sur les carburants, le gaz et le fioul. Une mesure qui va certes dans le sens de l’amélioration du pouvoir d’achat des Français mais qui aboutit mécaniquement à augmenter l’attractivité des énergies fossiles. Les lobbyistes du pétrole peuvent se frotter les mains.

« Le RN n’a aucune ambition en termes de lutte contre le changement climatique. C’est le vide. Soit les membres du parti sont climatosceptiques et nient le problème, soit ils l’ignorent », déclare Jean Jouzel dans Le Monde. Le documentariste Cyril Dion estime que le RN propose une réponse « extrêmement simpliste et populiste, qui caresse les électeurs dans le sens du poil en leur faisant croire que l’on peut enlever toutes les contraintes ».

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L’ONG Conspiracy Watch a recensé les positions ouvertement climatosceptiques de nombreux députés sortants et nouvellement investis par le RN.

En 2023, Christophe Barthès (Aude) suscite la polémique en relativisant l’origine anthropique du dérèglement climatique. Quant à son collègue Thomas Ménagé, le député sortant du Loiret, il déclare que les scientifiques du Giec « ont parfois tendance à exagérer ». L’organisme intergouvernemental est d’ailleurs une cible de choix de certains élus RN. En 2023, Hervé de Lépinau (Vaucluse) s’en prend aux « propagandistes du GIEC », qu’il accuse d’avoir pour intention d’exterminer l’espèce humaine.

En 2023, Philippe Lottiaux, député de la 4ème circonscription du Var ironise : « Il n’y a qu’un Dieu : le Dieu climat et le GIEC est son prophète ». Et assure que les « rapports du GIEC ne font pas forcément l’unanimité y compris dans la communauté scientifique ». La même année, il martèle que « la dictature climatique est En Marche ». Cette « dictature écologique » serait, selon lui, devenue « une religion » avec « ses lois, ses prophètes, ses dogmes […] ses anathèmes et ses excommunications ». Bref : une véritable « dérive totalitaire ».

Une conclusion partagée par Jean-Lin Lacapelle (Loiret). Cet ancien gudard estime qu’il « sera bientôt INTERDIT de mettre en doute la cause de l’activité humaine dans le réchauffement climatique ». Frédéric Falcon, député sortant de l’Aude, ironise sur une soi-disant « inquisition climatique ». José Beaurain (Aisne) déplore quant à lui, dans les colonnes de Boulevard Voltaire, « l’idéologie écologique permanente ».

Cette prétendue « dictature climatique » n’empêche pas Guillaume Bigot, chroniqueur sur CNews et candidat à Belfort, d’affirmer que « rien ne prouve scientifiquement que le CO2 émis par l’activité humaine soit la cause de ce changement de climat ». Julien Odoul, candidat à sa réélection dans l’Yonne, en est persuadé : « En transformant l’Assemblée nationale en colloque de Green Peace (sic), les Ayatollahs verts font avancer leur agenda idéologique ».

De fait, l’éclipse des solutions climatiques par le parti d’extrême droite n’est pas anecdotique. Il révèle une tendance de fond des partis populistes non seulement en Europe mais dans plusieurs pays du monde. Il ne s’agit pas seulement de climatoscepticisme ou de déni, il s’agit d’une nouvelle nature, d’ordre idéologique.

Changement de nature

Pendant des années, le climatoscepticisme était le fait des lobbies pétroliers ou agrochimiques s’opposant de toutes leurs forces à la transition écologique. Aujourd’hui, il tient à une hostilité plus générale et diffuse envers la science et les élites. Les enjeux climatiques empruntent désormais une voie idéologique pour investir la société, en utilisant les porte-voix populistes. L’urgence climatique devient dès lors une urgence démocratique.

Pendant ces dernières années, le débat climatique était assez simple à comprendre. D’un côté, les arguments portés par une communauté de plus en plus vaste et cohérente de scientifiques de toutes disciplines et de défenseurs de l’environnement alertant sur les risques du dérèglement climatique. De l’autre, des positions climatosceptiques remettant en cause la nature anthropique du changement climatique ou le déniant purement et simplement. Les motivations de ces derniers étaient faciles à décrypter : il suffisait de gratter un peu derrière leurs arguments pour s’apercevoir assez rapidement que leurs convictions étaient dictées par des questions d’argent. Derrière toutes les voix qui remettaient en cause le consensus scientifique, les groupes de réflexion opposés à des initiatives environnementales, les dirigeants politiques présentant le changement climatique comme un canular ou un sombre complot, on trouvait toujours les immenses enjeux du financement des industries fossiles et de l’industrie agroalimentaire intensive.

Mais cela c’était avant. L’économiste Paul Krugman, dans une tribune au New York Times, explique comment la question du climat a ouvert un nouveau front sur le terrain de la guerre idéologique : « les gens de droite contestent le discours scientifique en bonne partie par principe et rejettent la limitation des émissions polluantes par opposition viscérale à toute initiative soutenue par les progressistes ». Cette dimension du conflit émerge au pire moment possible, celui où la gravité du danger et les solutions pour la réduire sont plus claires que jamais.

Dans les démocraties riches, les politiques en faveur du climat sont confrontées à une vague de réactions hostiles. Les causes en sont multiples. Certains électeurs nient l’existence d’un dérèglement climatique. D’autres admettent qu’il y en a un, mais ne veulent pas payer plus d’impôts ou des factures d’énergie plus élevées. Beaucoup trouvent trop compliqué d’installer de nouveaux équipements. Certains se demandent pourquoi ils devraient faire des sacrifices alors que d’autres pays, que bien souvent ils n’aiment pas, n’en font pas autant.

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Les populistes soufflent sur les braises

Les politiciens populistes soufflent sur ces braises. Beaucoup exagèrent le coût du passage à un monde plus vert, déforment la réalité et cherchent à faire du réchauffement climatique un champ de bataille culturel : les élites urbaines vont vous prendre votre voiture et vous obliger à vous éclairer à la chandelle !

Ces tactiques se sont avérées des plus efficaces. Si la prise de conscience du réchauffement climatique a progressé, un fossé politique s’est creusé. En Australie, au Canada, en Allemagne et en Suède, les électeurs de gauche sont bien plus nombreux que ceux de droite (de 23 à 44 points d’écart) à voir le dérèglement du climat comme une “menace majeure”.

Aux États-Unis, l’écart est impressionnant : 63 points selon l’institut de sondage Pew. Une telle polarisation se traduit par des revirements plus importants lorsque le pouvoir change de mains. Avec l’élection de l’ultralibertarien anarchiste Javier Milei, l’Argentine bascule soudainement dans un climatoscepticisme d’Etat. Pour le nouvel élu, le changement climatique n’est pas d’origine humaine ou industrielle. Si la victoire de Milei est suivie de celle de Trump aux États-Unis, nous entrerons dans une ère de haute confusion dans la lutte contre le réchauffement global. Une ère où les paroles seraient noyées dans un maëlstrom de fake news, intimidations, désignation de boucs émissaires et fausses promesses.

La France n’est pas épargnée : Marine Le Pen présente la question environnementale comme un clivage politique majeur en forme d’atout électoral.  « Elle voit dans l’écologie et les inévitables mesures d’adaptation au réchauffement climatique un clivage majeur des années à venir et un sujet de division nationale à exploiter, comme elle l’a fait avec succès pour l’immigration » écrit Le Monde. La traduction concrète de cette formule est la suivante : le RN entend s’opposer à tout ce qui menace de perturber les modes de vie et de consommation des Français et qui est décidé, à Paris ou à Bruxelles, au nom de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et de l’adaptation au réchauffement climatique.

La Fondation Jean-Jaurès avait repéré dès avril 2023 ce changement de nature du climatoscepticisme. Interrogés sur la réalité du changement climatique et sur son origine anthropique, 37% des Français se classent parmi les climatosceptiques. Au-delà d’une prétendue controverse scientifique, cette remise en cause du consensus climatique signale avant tout une nouvelle aggravation de la profonde défiance qui caractérise le rapport des Français aux institutions censées les représenter.

Les auteurs de cette enquête font observer : « En niant aussi bien le problème que notre capacité collective à le résoudre, l’une comme l’autre permet de se réfugier dans le confort déceptif et dangereux du fatalisme et de l’inaction. Face à la crise climatique, ces deux positions en arrivent au même constat : il n’y a rien à faire. » De manière générale, plus un électeur se déclare proche de la droite, plus il aura tendance à se situer dans le camp des climatosceptiques : sur une échelle allant de 0 à 10 sur laquelle 0 désigne la gauche et 10 la droite, les électeurs se situant entre 0 et 2 ne sont que 23% à être catégorisés comme des climatosceptiques, tandis que ceux se classant entre 8 et 10 sont 43%. Il existe une forte corrélation entre le fait de voter à droite ou à l’extrême droite, et la propension à ne pas accepter les conclusions climatiques des scientifiques.

En changeant la nature du climatoscepticisme, ses tenants s’engagent dans une offensive idéologique et politique destinée à saper un à un les fondements de notre démocratie libérale en s’efforçant de délégitimer toutes ses institutions, qu’elles soient politiques, médiatiques, universitaires ou sanitaires. L’accélération des événements climatiques extrêmes et les records mondiaux de température de ces dernières années n’ont guère fait reculer le mouvement. Au contraire, ce sont les climatologues qui ont été contraints de déserter le réseau X du libertarien Elon Musk, lassés de la furie contestatrice généralisée. Héritier des combats contre les restrictions sanitaires de la période Covid, ce renouveau des discours climatosceptiques est notamment porté par une nouvelle génération, plus engagée sur les réseaux sociaux, qui n’hésite pas à recourir aux plus invraisemblables théories du complot.

Vigies en danger

En cas de nomination de Jordan Bardella à Matignon, les collectifs et associations de défense de l’environnement redoutent d’être dans le viseur. On devine ce qui risque d’arriver en observant ce qui s’est passé pendant l’examen du projet de loi de finances (PLF) à l’automne 2023. Des députés du RN avaient déposé un amendement proposant de couper les subventions publiques à différents collectifs, notamment le Réseau Action Climat, Les Amis de la Terre et France Nature Environnement. Les élus d’extrême droite avaient aussi essayé de mettre fin aux reçus fiscaux, le moyen de financement principal de plusieurs collectifs, pour les associations dont certains membres sont reconnus coupables « d’actes d’intrusion ou de dégradations ». Cette initiative était un avant-goût de ce que pourrait faire un RN au pouvoir pour restreindre la désobéissance civile revendiquée par certains activistes. Diminution des autorisations de manifestations, augmentation de la surveillance et répression plus forte pourraient sérieusement compliquer la vie de nombreux défenseurs de l’environnement et d’activistes de la désobéissance civile.

Dans les laboratoires français, les craintes ne sont pas moindres. De nombreux chercheurs étrangers suivent avec inquiétude les soubresauts électoraux français. Arrivés en France à la suite de l’appel du président Macron en 2017 – «make our planet great again» – lancé au lendemain du retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, ils se demandent s’ils ne vont pas devoir retourner dans leur pays d’origine en cas d’arrivée de l’extrême droite à Matignon. Les organismes publics de défense de la forêt, de la biodiversité, de la mer, tout comme Météo France, ne sont pas en reste dans cette inquiétude : ils s’estiment directement menacés par un changement de gouvernement qui entrainera, inévitablement selon eux, un effondrement de leurs financements de recherche.

Le patron de Greenpeace France, Jean-François Julliard résume son inquiétude : « Un climat dangereux pour nos militants et nos associations est déjà là. Mais on sent bien qu’on passerait un cran supplémentaire avec l’extrême droite car ce pourrait être généralisé, systématisé, voire planifié. Toutes les associations autour de nous se posent la même question : comment exister en tant qu’association de contre-pouvoir, radicale, et avec une indépendance d’action sous un gouvernement RN ? »

La question qui se joue est tragiquement simple : existera-t-il encore des vigies démocratiques si le RN prend le pouvoir ?

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