A l’occasion de la 5e édition de Lift France – dont InternetActu est partenaire -, qui s’est tenue à Marseille les 15 et 16 octobre 2013 sur le thème de « Produire autrement », nous vous proposons une présentation de Geoff Mulgan du Nesta, l’agence de l’innovation britannique, qui s’est ouverte à de nouvelles formes d’innovation : l’innovation sociale.
Comment rendre l’innovation à la fois moins technologique et plus participative ?
« L’ouverture est extrêmement importante, mais ce n’est pas auprès d’une assemblée comme celle de Lift qu’il y a des gens à convaincre. Pour autant, on sait qu’on ne peut pas tout ouvrir : les gens n’auraient pas envie qu’on publie toutes les déclarations d’impôts ou tout ce qu’ils font sur l’internet. La société repose donc sur un équilibre entre la fermeture et l’ouverture », introduit Geoff Mulgan sur la scène de Lift.
Geoff Mulgan a longtemps été le responsable, et l’âme, de la Young Foundation, une organisation britannique de promotion de l’innovation sociale, et est devenu récemment le responsable du Nesta, l’agence de l’innovation britannique. Au Nesta, Geoff Mulgan travaille désormais au financement de projets ouverts et collaboratifs. Les deux entités ont une grande partie de travaux communs. Depuis sa création en 2006, la Young Foundation a soutenu, lancé et encouragé de nombreux projets ouverts comme l’Open University, les écoles ouvertes et de nombreux projets essayant d’ouvrir le monde de la santé au public. Pour Geoff Mulgan ces projets doivent bien sûr suivre leurs stratégies, mais ils doivent surtout prendre en compte les hiérarchies existantes, permettre de développer de nouveaux modèles à l’extérieur des modèles fermés qui structurent notre société.
Et Geoff Mulgan propose de nombreux exemples qui vont dans ce sens. Who Owns My Neighbourhood permet de savoir à qui appartiennent les terrains anglais, dans le but de permettre de faciliter les discussions collectives autour de ce qu’il est possible de faire de certains terrains ou immeubles et faciliter les projets locaux.
Sutton Bookshare est un site développé avec le soutien de la municipalité pour encourager les habitants à échanger les livres de leurs propres bibliothèques, pour élargir l’offre de la bibliothèque publique locale.
A Birmingham se mettent en place des tableaux de bord civiques qui a pour but de montrer les demandes que font les habitants à leurs administrations et d’évaluer leur traitement.
Image : Le tableau de suivi des demandes des citoyens de Birmingham, permettant à l’administration de cartographier les requêtes, de les qualifier, de traçer les réponses...
A Londres, le répertoire de données de la ville a permis par exemple de lister et visualiser les endroits les plus dangereux à vélo de la ville. MyDex est un nouveau projet qui permet aux citoyens de redevenir maître de leurs données face au besoin des entreprises et des administrations, leur permettant de faire attention à leurs données et de limiter les abus de ceux qui les agrègent pour nous.
Slivers of Time est une plateforme permettant de faire de l’échange de produits ou de services locaux, dans le cadre du voisinage ou du travail.
Tyze est un système qui permet d’approfondir les relations sociales plutôt que les étendre, comme le proposent la plupart des réseaux sociaux, en s’intéressant à comment approfondir les réseaux de soutien de personnes dépendantes comme les handicapés ou les personnes âgées.
Maslaha est un site participatif créé à la demande d’adolescents britanniques musulmans qui souhaitent avoir un espace pour demander des conseils sur les dilemmes auxquels ils sont confrontés dans leur vie quotidienne pour vivre leur religion. C’est un espace social qui leur permet d’échanger et de recevoir des réponses simples à leurs problèmes comme, que fait-on si on est diabétique pendant le ramadan… « Encore une idée simple qui tente de relever des aspirations humaines et d’humaniser la technologie ».
Image : la page d’accueil de Maslaha.
Action for Hapiness est un autre réseau lancé en avril 2011 qui a pour objet de donner à des gens des outils et des conseils pour avoir des vies plus heureuses. Sur le même principe que Maslaha, il regroupe à la fois des conseils d’experts, un décryptage des connaissances scientifiques sur ces sujets et des discussions entre les usagers pour qu’ils échangent leurs méthodes pour être heureux. « Là encore, c’est un système hybride entre des choses très ouvertes et très fermées, entre des choses très hiérarchiques et d’autres très horizontales », commente Geoff Mulgan.
Les Social Innovation Camp sont également des formes d’action pour soutenir des projets d’innovation sociale qui a permis de faire éclore des programmes comme Enabled by Design, qui est un site qui fait travailler des designers à des projets autour du handicap, My Police pour lancer une conversation entre policiers et citoyens. L’un des derniers projets primés par les Social Innovation Camp – Food Radar – est un projet qui vise à utiliser des aliments non utilisés à la fin de la journée dans les restaurants afin d’éviter le gaspillage.
I DO Ideas est un site pour faciliter le soutien aux projets des adolescents. « Plutôt que de leur demander de remplir un formulaire pour obtenir une subvention, on leur demande de publier une vidéo qui explique leur projet. »
Il y a un an, la Young Foundation a lancé les Studio School, des écoles pour des adolescents qui détestent l’école. Pour fonctionner, elles ont supprimé les bureaux pour fonctionner en mode projets avec des partenaires et des entreprises extérieures. Une dizaine ont été ouvertes, avec pour but d’intégrer l’apprentissage dans l’action, dans le « faire ». « Il faut bien voir, là encore, que la technologie n’est pas le point de départ. Dans les années 90, on implantait la technologie dans les classes, sans grand succès. Ici, tout repose sur l’esprit de l’éducation. Cerner le problème pour bâtir des relations autour », estime Geoff Mulgan.
Geoff Mulgan pourrait continuer longtemps à lister des projets stimulants… Pour lui, ce qu’il faut en retenir, c’est la valeur de la synthèse entre hiérarchies et réseaux ouverts, permettant de faire des liens entre deux mondes. Il y a là assurément un espace de discussion qu’essayent d’habiter les laboratoires du service public du Nesta ou les travaux de la Young Foundation…
Cependant, tout ne marche pas, reconnaît avec lucidité le gourou de l’innovation sociale britannique. La police néo-zélandaise a essayé de faire une législation sur son fonctionnement sur un wiki sans grand succès. Aux Etats-Unis, Peer to Patent, un système de commentaires sur les brevets, fonctionne bien mais Challenge.gov, qui avait pour but de capter des propositions citoyennes pour le gouvernement, lui, fonctionne assez mal.
« Comment peut-on mieux apprendre à mesure que l’innovation accélère ? Qu’est-ce qui marche vraiment dans le domaine du crowdsourcing, de l’innovation, des systèmes participatifs ? »
Au Nesta, le Social Innovation Exchange, un réseau social autour de l’innovation sociale, essaye de regarder ce qui marche et ne marche pas. The Global Innovation Academy essaye de faire le même travail au niveau mondial.
Il est important de rendre l’innovation simple, compréhensible, facile à appréhender pour les gens. Elle ne doit pas seulement être « quelque chose pour les experts », explique encore Geoff Mulgan. « Ce que l’on constate, c’est que les innovations dans le domaine social ne sont pas des percées fondamentales ou des choses très originales. Elles reposent souvent sur des méthodes faciles à décrire comme l’inversion (via des jeux de rôles où les paysans deviennent des banquiers, les patients deviennent des médecins…), l’intégration (mise en place de conseillers personnels…), la différenciation (via la personnalisation ou la segmentation des services)… et bien sûr la créativité ». « Des outils de conception sociale démocratique », comme il les appelle dans sa présentation. « Mais ce ne sont que des méthodes pour développer des idées originales. Il n’y a pas de mystère autour du processus d’innovation : il n’est pas si difficile à mettre en place. »
« Ce que nous avons appris du fonctionnement du cerveau c’est qu’il sait aussi arrêter les flux d’information. Il faut obtenir le bon équilibre entre le flux et l’ouverture. Le silence permet aussi de réfléchir. Il nous faut des technos qui nous aident à retrouver le silence et aussi des technos qui nous aident à accélérer le flux de données. Nous avons besoin d’être à la fois rapides et lents, ouverts et fermés, tout le temps connectés et déconnectés. Beaucoup de choses ne vont pas fonctionner dans l’intelligence collective. Ces initiatives doivent accepter l’échec, expérimenter. L’intelligence collective comme toutes les intelligences a besoin de grammaires, de structures… Et c’est à nous de comprendre celles qui fonctionnent le mieux. »
(Source : ©Hubert Guillaud / InternetActu – Sept. 2013)
Maryline Passini, Proâme – oct 2013