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L’impression 3D, une révolution et un champs de bataille juridique

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L’impression 3D (la création ou la reproduction d’objets en trois dimensions au moyen d’une imprimante 3D) permet de créer ou cloner un nombre infini d’objets de taille modeste, avec une très grande précision et dans une large gamme de matériaux, du plastique au métal, du bois à la céramique.

Technologie industrielle née dans les années 70, l’impression 3D se démocratise rapidement. Le prix d’un équipement a été divisé par plus de 1000 en trente ans, et on en trouve aujourd’hui aux alentours de 500€.
Ce qui est nouveau, c’est que l’impression 3D est arrivée à la portée des PME et des consommateurs, qui disposeront bientôt des moyens de fabriquer, à la demande et pour un coût très modique, des objets de toutes sortes, ou des répliques à l’identique de tout ou partie de produits du commerce.
Cette évolution est également devenue possible grâce à la mise à disposition par téléchargement des fichiers informatiques permettant de guider l’imprimante 3D avec précision et au couplage de l’imprimante 3D avec des scanners (capables de faire le relevé d’un objet en trois dimensions), des logiciels de modélisation 3D facilement utilisables.

Les forces en présence

Les progrès et la démocratisation de cette nouvelle technologie sont puissamment disruptifs, et auront – à terme – des effets bénéfiques considérables dans le domaine manufacturier : réduction des coûts de transport et de stockage, capacité à produire à la demande et à alimenter le réassort en fonction des besoins, faculté de produire et d’adapter des pièces à l’unité, faculté de produire partout localement, pour ne citer que ceux-là.

Mais on doit aussi redouter que cette technologie soit utilisée par les contrefacteurs, portant atteinte aux brevets, aux marques, aux modèles, voire au simple droit d’auteur sur une œuvre graphique ou plastique, causant un préjudice évident aux créateurs et fabricants des objets reproduits par impression 3D.
De manière plus préoccupante, on doit également anticiper des risques pour le consommateur, car les pièces reproduites par ce moyen n’ont souvent pas les mêmes propriétés physiques, chimiques et mécaniques (résistance aux chocs, à la chaleur, à l’usure, contact avec la peau, etc.) que les pièces originales. Personne ne souhaite des freins, des prothèses médicales ou des jouets dangereux…
Nombre de commentateurs ont identifié certaines des difficultés que l’impression 3D pose en termes juridiques, et notamment les difficultés liées à son potentiel de contrefaçon – sans parler de la fabrication d’objets dont la production est strictement régulée (tels que des médicaments ou des organes) ou qui sont intrinsèquement dangereux (comme les armes).
Pour autant, dans la majorité des cas, l’impression 3D est parfaitement licite et réalisée avec la bénédiction du détenteur des droits de propriété intellectuelle sur l’objet reproduit, que ce soit à sa demande ou avec son accord, gratuitement ou en contrepartie du paiement par l’imprimeur 3D des redevances appropriées.

Dès lors, à l’instar des précédentes ruptures technologiques liées à la réplication (de l’écriture à l’imprimerie – qui a donné naissance au copyright – puis à l’imprimante, du vinyle au DVD, puis à la distribution de contenus dématérialisés en ligne), l’émergence de l’impression 3D à grande échelle pose surtout cette question paradoxale, aujourd’hui encore sans réelle réponse : comment encourager le développement de cette technologie riche de promesses, tout en limitant ses effets néfastes que sont la contrefaçon ou la fabrication d’objets potentiellement ou intrinsèquement dangereux ?
A cette question essentielle, le juriste peut imaginer deux types de réponses, fondées sur un encadrement légal de l’impression 3D permettant d’en prévenir les effets les plus dommageables, tout en conservant son mode opératoire disruptif et son potentiel de croissance et d’innovation.

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Vers un contrôle de l’intermédiation

Le premier axe envisageable est de définir les responsabilités respectives de ses différents acteurs, et en particulier celles des plateformes d’intermédiation, bibliothèques virtuelles qui mettent les fichiers d’impression 3D à la disposition de tiers, afin de doter ce nouvel écosystème d’une répartition de responsabilité pertinente.
On relève à cet égard un parallélisme évident avec d’autres types de distribution d’éléments protégés par des droits de propriété intellectuelle (musique, photo, vidéo, presse, jeu ou logiciel) à partir d’une source dématérialisée, cette comparaison étant riche d’enseignements sur le plan de la prospective juridique.

Pour ces plateformes digitales comme en matière d’impression 3D, la contrefaçon est en effet facilitée par une série de traits communs : la faculté de reproduction à l’identique sans dessaisissement ou appauvrissement de celui qui met le fichier à disposition, l’ubiquité des sources, installées dans des juridictions souvent lointaines (l’accès au juge étranger étant toujours plus difficile), la disponibilité des contenus à tout moment dans le monde entier, et la multiplicité des terminaux (PC, mobiles, tablettes, TV connectées et…imprimantes 3D).
Autre trait commun : plus on progresse vers l’aval de la chaine de reproduction de contenus, plus la lutte contre la contrefaçon est difficile, car le nombre et la dispersion géographique des utilisateurs-contrefacteurs (très souvent des particuliers) rend la contrefaçon très difficile et coûteuse à identifier, à prouver et à réprimer efficacement. L’échec patent de l’approche française issue de la loi HADOPI est à cet égard éloquent, les progrès dans le domaine de la lutte contre le téléchargement illégal étant principalement à mettre au crédit de l’amélioration de l’offre légale (voire, dans le cas du streaming, gratuite en se finançant par la publicité).

Les réponses que le droit a jusqu’ici apportées à ces points de faiblesse couvrent tous les acteurs de la chaine de distribution en ligne de ces contenus digitaux : opérateurs télécoms, fournisseurs d’accès à internet, éditeurs de sites mettant des contenus de tiers à disposition, utilisateurs.
Ainsi, législateurs (en France par les lois LCEN , DADVSI , et HADOPI , aux Etats-Unis par le DMCA ) et tribunaux (affaires Dailymotion, Napster, MegaUpload, et déjà, en matière d’impression 3D, Games Workshop) se sont-ils efforcés de forger des outils juridiques visant à juguler à sa source la mise à disposition de contenus illégaux ou dont la reproduction est illégale, en faisant porter leur contrôle sur la licéité des fichiers hébergés sur les plateformes de téléchargement, et en prévoyant d’engager la responsabilité de ces dernières dans les cas où ces contenus n’auraient pas été supprimés après notification de leur caractère illégal.

La tentation sera donc très forte, pour ceux qui ont investi dans le développement de produits et ont protégé le fruit de leurs efforts par le droit de la propriété intellectuelle (brevets, dépôt de modèles, marques, droit d’auteur), d’étendre à ces nouveaux moyens de reproduction les règles protectrices de la propriété intellectuelle et de poursuivre non seulement les auteurs de contrefaçon par impression 3D, mais surtout les acteurs qui leur en fournissent les moyens (par la mise à disposition de fichiers d’impression 3D), ce tir de barrage judiciaire visant à freiner le déploiement de cette technologie disruptive qui menace leur modèle économique.
On peut également imaginer que les sociétés d’auteurs et de gestion collective de perception des droits se saisiront de cette opportunité pour étendre à l’impression 3D leur champ de compétence – voire (en France) que le gouvernement décidera de lui appliquer la taxe sur la copie privée ou un de ses avatars.

Ces efforts des détenteurs de droits pour protéger leur position concurrentielle face au développement de l’impression 3D risquent cependant de se heurter à de sérieux obstacles juridiques, car la reproduction par le copiste, pour son propre usage et hors de tout commerce, n’est pas nécessairement constitutive de contrefaçon (objets libres de droits, exception de copie privée, usage « hors de la vie des affaires », etc.). De même, il n’est pas interdit de produire pour son propre usage, au moyen d’une impression 3D, la pièce nécessaire pour réparer, compléter ou adapter un produit acheté de manière licite.

Aussi, l’essentiel de la problématique de développement de l’impression 3D se situe au niveau des plateformes d’intermédiation qui mettent à disposition les fichiers 3D, car ce sont elles qui seront le principal vecteur de son développement (et la principale source de contrefaçon). Dès lors, ces plateformes seront également les mieux en mesure de contrôler l’accès à ces fichiers, si bien que c’est à elles que devrait incomber, pour l’essentiel, la responsabilité de s’assurer de la licéité de ces fichiers, et de la collecte et de la redistribution des redevances dues aux ayants-droit.
Dernier point, un contrôle des pouvoirs publics sur certains usages de l’impression 3D est évidemment nécessaire, et l’Etat pourrait trouver là une occasion idéale d’exercer son contrôle : il est en effet souhaitable que la production d’objets dangereux (armes), liés à la santé, etc. soit strictement encadrée.

Identification des impressions 3D

Le second moyen que l’on peut imaginer pour réduire le risque de contrefaçon et de production de produits copiés n’offrant pas les mêmes qualités que le produit original est de faciliter l’identification des objets imprimés en 3D (et qui, par essence, sont en apparence identiques aux originaux), de manière à en faciliter le contrôle et, le cas échéant, la sanction quand ils sont contrefaits ou impropres à l’usage auquel ils sont normalement destinés.
Cette identification des impressions 3D pourrait se faire par la mise en œuvre de règles analogues, par leurs effets, à celles qui régissent dans le monde entier l’identification des métaux précieux : le poinçon.
On pourrait ainsi rendre légalement et techniquement obligatoire l’insertion, dans le fichier à partir duquel l’impression 3D est réalisée et, partant, sur tout objet fabriqué par impression 3D, d’un petit symbole (un triangle en creux, par exemple, que l’éditeur 3D placerait où il le souhaite, comme il le fait pour une marque de poinçon), qui permettrait d’identifier immédiatement une impression 3D.
La mise en œuvre de ce moyen de contrôle sur les objets imprimés en 3D serait relativement aisée, puisque le caractère licite ou non de la source (le fichier 3D) n’aurait pas à être analysé, et que le contrôle de l’objet, très simple (visuel), ne porterait que sur l’indication de son mode de fabrication, laissant à l’imprimeur 3D le soin de démontrer, si nécessaire, qu’il possède les droits requis pour l’édition et la diffusion de l’objet ainsi identifié comme une impression 3D.
Corollairement, l’absence de ce symbole sur un objet imprimé en 3D vaudrait présomption de contrefaçon si l’objet ainsi reproduit est protégé par un droit de propriété intellectuelle. De même, l’absence de ce symbole sur une copie en 3D ne présentant pas les caractéristiques requises de l’objet original (même non protégé) constituerait un défaut susceptible de conduire à son retrait du marché, de manière à éviter que l’utilisateur soit trompé sur les réelles caractéristiques de l’objet par l’absence d’indication sur son mode de fabrication.
Enfin, sur le plan normatif, l’introduction de cette contrainte nouvelle (au moins à l’échelle de l’Union Européenne pour être efficace) serait relativement simple, le marquage des produits sur ce marché étant déjà régi par de nombreuses règles impératives (relatives à l’étiquetage, au marquage CE, aux poinçons, etc.), sans que cela ne pose de problème particulier.

Un équilibre à trouver

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La vitesse d’adoption et la multiplicité des usages de cette technologie nouvelle dépendront du subtil équilibre qui devra être trouvé, dans les principales juridictions du monde moderne (USA, Europe, grands pays d’Asie), entre la nécessité de permettre une offre libre de services d’impression 3D, sans extension de la protection actuellement offerte aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle, et la nécessité de réguler ce nouveau champ des possibles, par exemple par la mise en œuvre d’un régime de responsabilité des plateformes d’intermédiation adapté et d’un système d’identification des impressions 3D, afin de prévenir et sanctionner les atteintes aux droits de propriété intellectuelle ou à la sécurité des consommateurs que cette technologie peut faire craindre.
Mais ne nous y trompons pas : en dépit des réticences de certains manufacturiers et de détenteurs de droits soucieux de protéger leurs marchés, il est aussi illusoire d’imaginer que l’impression 3D pourra durablement être cantonnée à des usages ponctuels, ludiques ou de bricolage, que de penser que l’extension à l’impression 3D d’une conception très restrictive du droit de la propriété intellectuelle pourra longtemps freiner le développement de cette technologie.
Le futur ne manque pas d’avenir !

©Guillaume Seligmann, Avocat associé chez Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral / Source : Les échos.fr – 21 octobre 2013

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