Paule Pérez est philosophe et psychanalyste ; elle apporte ici son point de vue sur l’actualité et le traitement de l’information. Tant il est vrai que les « nouvelles » ne le sont pas pas toujours. Répétitions, refoulements, retournements, formations de l’Inconscient, transmissions inattendues, dénis y abondent, autant que distorsions, surdités, aveuglements ou étourderies. Parfois il suffit de modifier à peine l’angle de vue ou de s’attacher à un mot plutôt qu’à un autre, pour que le champ s’élargisse, s’approfondisse…
Autant de petites différences, qui nous éclairent autrement.
Premier exercice avec l’attentat au Parlement d’Ottawa :
Ce mercredi 22 octobre 2014, un homme armé est entré dans l’enceinte du Parlement d’Ottawa et a ouvert le feu. Sur une rapide riposte de soldats il a été blessé et n’y a pas survécu…
Bilan : deux morts, dont un possible suspect. On a dit que l’homme était un converti à l’Islam. Sa famille a aussitôt rendu publique une lettre d’excuses digne et bouleversante…
Le 8 mai 1984 le Caporal Denis Lortie entrait dans le Parlement de Québec et y ouvrait le feu, tuant trois personnes. Plus tard il déclara qu’en tirant il avait eu la sensation de tuer son père. Il fut condamné à perpétuité.
Pierre Legendre, au travers d’une importante réflexion sur ce drame, ‘‘Le crime du Caporal Lortie” (1987 puis 1994 – Fayard) démonte les nouages fondamentaux de la fonction collective de la Loi avec celle, plus particulière, du patronyme, laquelle s’attache, plus singulière,à l’inscription de chacun aux registres. Nouages et mouvements qui font de nous des citoyens électeurs éligibles, dans ce long et imparfait processus, la Démocratie, assignée chaque jour à innover, sous peine de disparition.
Si le Caporal Lortie a pu dire quelque chose du tireur d’Ottawa, en revanche nous n’entendrons plus rien.
De même nous n’avons rien entendu ces jours-ci dans les médias de l’acte princeps de Québec, dont celui d’Ottawa, à trente ans d’intervalle, apparaît dès lors comme une ”réplique” au sens de celle d’un séisme – et s’adressant à un même pays. Nous restons stupéfaits devant l’acte, la répétition, et l’amnésie qui s’y adjoint.
D’ailleurs, en cherchant à peine, l’internaute découvre qu’en février 1929, un incident s’était produit au Parlement du Québec où avait été découvert un bâton de dynamite…
Instaurer une petite différence, celle de rompre le silence sur la répétitivité constitutive de la pulsion de mort, cela paraît infime. Raison majeure pour nous y attacher.
Paule Pérez est Philosophe, Psychanalyste, Essayiste et Editrice de la Revue Temps marranes
Photo générique rubrique : ©Julie Paratian