Si des questions demeurent encore sans réponses sur le coronavirus, sa nature, sa dynamique, sa capacité de propagation voire de mutation, on en sait en revanche plus sur la caractéristique des populations touchées en premier. Les dernières études confirment que les personnes âgées et vulnérables fournissent le plus gros effectif des décès. Le virus s’attaquerait ainsi à nos vulnérabilités physiologiques. Mais ce qui est à craindre aussi, c’est qu’il attaque les vulnérabilités de nos sociétés. La crise du coronavirus, d’abord sanitaire, se double d’une crise économique et d’une crise politique que l’on voit déjà poindre dans plusieurs pays. Faut-il craindre une convergence des agressions —sanitaires, environnementales, économiques — dans un monde devenu de plus en plus vulnérable ?
S’il est une certitude dans la période d’incertitude que nous traversons, c’est que le coronavirus trouve dans les personnes âgées ses cibles de choix. Certes, les médias rapportent les cas de jeunes adultes, d’enfants, voire de nourrissons terrassés par le Covid-19. Mais si ces cas émeuvent les opinions publiques, statistiquement ils ne sont que des exceptions qui confirment la règle. Le coronavirus tue les personnes âgées, de préférence celles qui sont affaiblies par d’autres maladies.
Une étude réalisée en Italie par l’institut supérieur de la Santé a été publiée ce 26 mars. Elle démontre que près de trois victimes du Covid-19 sur quatre souffraient d’hypertension artérielle. La moitié des patients (50,7%) décédés en Italie du coronavirus souffraient d’au moins trois autres pathologies, et 25,7% de deux autres pathologies.
Cette étude, qui se base sur 6 801 victimes du Covid-19, révèle que 73% des victimes souffraient d’hypertension artérielle. C’est l’affection la plus présente parmi les personnes décédées. Autre pathologie souvent présente chez les victimes du coronavirus, le diabète, dont 31,3% des victimes du Covid-19 étaient atteintes.
Vulnérabilité et hyper-réaction immunitaire
Les maladies liées au cœur sont également un facteur important de comorbidité : 27,8% des victimes souffraient de cardiopathie ischémique (des troubles cardiaques en raison du rétrécissement des artères coronaires), 23,7% de fibrillation atriale (un trouble du rythme cardiaque qui fait battre le cœur de manière rapide et irrégulière) et 17,1% d’insuffisance cardiaque.
Parmi les autres affections dont souffraient les victimes du coronavirus dans cette étude, 22,2% étaient atteintes d’insuffisance rénale chronique et 17,3% ont été atteintes d’un cancer dans les cinq dernières années.
L’étude confirme aussi ce que d’autres recherches ont déjà montré : le facteur âge est déterminant. L’âge moyen des victimes italiennes est de 78 ans. On note une surreprésentation des hommes.
Les chiffres français publiés par Santé publique France ce 26 mars présentent le même profil. Les personnes de moins de 45 ans ne représentent que 0.2 % des malades hospitalisés alors que les plus de 75 ans fournissent 78 % des patients.
Les sujets les plus âgés donc les plus fragiles se retrouvent avec des défenses immunitaires amoindries face à un agresseur auquel leur système de protection naturel n’avait jamais été confronté.
Pour le professeur Jean-François Toussaint, c‘est la notion même de vulnérabilité qui doit être approfondie dans le contexte de crise que nous traversons. Il explique que les paramètres vitaux de tout individu se situent toujours par rapport à un « optimum ». Celui-ci définit des plages dans lesquelles la santé d’un sujet est évaluée et surveillée : tension artérielle entre 90/60 et 140/90 mmHg ; glycémie à 1 g/l +/- 0,25 ; température entre 33 et 41 °C ; indice de masse corporelle ou IMC entre 18,5 et 25 kg/m2, etc.
Hors de ces intervalles optimisés, l’organisme subit des contraintes métaboliques qui réduisent ses facultés d’adaptation. Toutes les pathologies ou insuffisances qu’un organisme subit (cardiaque, rénale, respiratoire, neuronale…) éloignent de cet optimum.
L’organisme lutte et s’enflamme, le malade succombant dans de nombreux cas, non au virus lui-même, mais à une hyper réaction immunitaire.C’est pourquoi les facteurs de risques d’être gravement atteint par le coronavirus, identifiés dans toutes les études et notamment l’étude italienne qui vient d’être publiée, sont toujours en étroite corrélation avec le taux de mortalité du Covid-19. Le virus cherche des portes d’entrée dans notre système de défense immunitaire, profitant des points de faiblesse de l’organisme.Le sujet affaibli, dont les constantes physiologiques sont éloignées de l’ « optimum », entreprend une lutte contre le virus agresseur en développant toutes les stratégies de défense dont il est capable : fièvre, toux, réactions à l’infection. L’organisme lutte et s’enflamme, le malade succombant dans de nombreux cas, non au virus lui-même, mais à une hyper réaction immunitaire.
Cette crise nous renvoie à notre fragilité
Le coronavirus ne s’attaque pas qu’aux organismes fragiles. Il met en danger la plupart des sociétés humaines dans lesquelles il se propage. Il force les États à confiner leurs citoyens, l’activité économique à s’arrêter brutalement, les rues à se vider de toute vie. Le temps semble suspendu pour près de quatre milliards de Terriens.
« Cette crise nous renvoie à notre fragilité » écrit Erik Orsenna dans son Tract de crise publié par Gallimard. Il est vrai que l’équilibre du monde a semblé, depuis quelques années, d’une extrême fragilité. Les inégalités se sont creusées alors que les risques se multipliaient. L’urgence climatique est progressivement entrée dans la plupart des consciences, son tempo battant de plus en plus fort l’alerte. C’est sur ce monde fragile que la pandémie de coronavirus frappe. Elle révèle alors un niveau d’impréparation inimaginable pour des sociétés sur-organisées comme les nôtres : pénurie de masques, de respirateurs, de lits de réanimation, de personnels, de gants, de gels hydro-alcooliques… Autant de carences posant aux gouvernants la question cruciale de la confiance dans leurs capacités à protéger, anticiper et gouverner en temps de crise.
Le sacro-saint tabou du déficit budgétaire se fissureAlors que les économies ont longtemps chanté le couplet de la dette et de l’austérité, elles actionnent maintenant la planche à billets et font pleuvoir les milliards par milliers. L’Amérique de Donald Trump promet 2 000 milliards de dollars pour soutenir son économie menacée d’embolie par le virus ; quant à l’Europe, elle n’est pas en reste et soutient à bout de bras son activité économique, priant pour qu’elle ne s’écroule pas. Même en Allemagne, le sacro-saint tabou du déficit budgétaire se fissure, la chancelière Merkel assurant : « Nous allons faire le nécessaire. Et nous n’allons pas nous demander chaque jour ce que cela veut dire pour notre déficit. C’est une situation exceptionnelle »Face au coronavirus qui promet tant de victimes, on ne compte pas. Peu importe le coût, la santé d’abord ! Un credo repris en cœur par tout le monde ou presque, bon gré mal gré.
Ainsi le président Trump qui, une fois passé son agacement de découvrir que le coronavirus n’avait pas de compte Twitter, s’est rendu compte que la maladie allait faire beaucoup de morts dans son pays. Dans une volte-face dont il a le secret, il a d’abord nié la gravité de l’épidémie, juré que les Américains seraient en pleine forme sans confinement, prêts à travailler et à fêter Pâques le 12 avril, pour consentir le lendemain à des mesures de distanciation sociale jusqu’au 30 avril. L’idée d’arrêter l’économie pour un malheureux virus lui fait horreur. Dans sa balance, il soupèse la bourse ou la vie, le sacrifice de quelques centaines de milliers de ses concitoyens et le business des grands groupes et de ses amis. Car le président américain est certain d’une chose : il ne sera réélu en novembre prochain que si l’économie se porte bien.
Or les économies du monde se portent mal. Et par un étrange effet de domino, elles se contaminent toutes car elles sont toutes imbriquées, étroitement insérées les unes dans les autres. On découvre alors que les « chaînes de valeurs » de la mondialisation sont des failles de fragilité gigantesques. Le virus adore nos fragilités ; il y pénètre et s’en délecte.
Atteints par le mal, les cours des bourses penchant dangereusement vers des abimes inconnus, les économies tentent de réagir. Comme les organismes des malades atteints par le Covid-19, elles surréagissent. L’économie, comme les poumons des malades, se met en feu, brûle ses cartouches sans compter. Le monde donne l’impression de jeter ses dernières forces dans une bataille qui n’est pourtant que la première d’une série.
Car la crise climatique nous l’annonce : les temps à venir ne seront pas roses. Ils seront brûlants, ils seront secs et meurtriers. Les incendies de forêts comme ceux d’Australie vont se multiplier, l’air de nos villes sera irrespirable et tuera. Le CO2 que nous dégageons dans l’atmosphère nous apportera les feux du ciel et la folie des eaux. Les virus nouveaux se multiplieront disent les spécialistes car nous empiétons sans limites sur les frontières de la nature ; nos modes de vie et d’alimentation nous désarment face aux bactéries émergentes devant lesquelles nos antibiotiques ne valent plus rien.
Nous savons comment éviter le pire climatique ; tous les experts nous le disent. Mais la parenthèse de confinement forcé que la planète vit en ce moment montre à quel point la marche est haute et contraignante pour que le ciel s’éclaircisse et que les oiseaux chantent à nouveau.
Nos fragilités nous désarment face à ce que la nature nous prépare. Nous brûlons nos forces sans compter dès la première salve alors que les vecteurs des agressions que nous avons-nous-mêmes suscitées ne cessent de s’armer et se renforcer. La crise du coronavirus en est le signe précurseur. Quelles leçons en tirerons-nous ? Quels efforts serons-nous en mesure de faire encore ?