Après un été éprouvant marqué par des épisodes caniculaires dévastateurs, la rentrée politique et sociale française aura été placée sous le signe de la crise écologique : démission de Nicolas Hulot, suivie d’une mobilisation citoyenne sans précédent lors de marches « pour le climat », organisées un peu partout en France le 8 septembre dernier. Dans ce contexte où les préoccupations environnementales deviennent centrales, il est intéressant de relire les résultats 2017 de l’enquête sur les représentations sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique, conduite chaque année par l’Ademe depuis l’an 2000.
Un sujet anxiogène pour tous
Premier enseignement tiré de cette enquête, les Français se disent inquiets des conséquences du changement climatique : 66 % d’entre eux pensent en effet que « les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques » en France d’ici une cinquantaine d’années.
C’est le score le plus haut enregistré depuis 2006 sur cette question, avec une forte progression de 11 points entre 2016 et 2017. Les jeunes de moins de 30 ans ne sont pas plus insouciants, avec 70 % des moins de 30 ans qui partagent cette opinion. Pessimistes, ils le sont aussi puisque 57 % (60 % des moins de 30 ans) pensent que le changement climatique ne sera pas limité à des niveaux acceptables d’ici à la fin du siècle.
De fait, le sujet est particulièrement anxiogène, et ce pour au moins trois raisons. Le changement climatique fait poindre la possibilité d’une destruction de notre environnement, il menace donc le futur des sociétés humaines et souligne, par là-même, la défaillance des institutions politiques censées protéger tout un chacun.
Dans un tel contexte, la prise en compte par les autorités publiques et les politiques de ce sentiment d’angoisse et de culpabilité généré par la conscience du problème climatique semble s’imposer.
Une préoccupation de plus en plus forte
Arrêtons-nous un instant sur l’évolution de la préoccupation pour le changement climatique dans l’opinion française.
Les Français priorisent le changement climatique parmi d’autres problèmes environnementaux dans les années 2007 (33 %), 2008 (29 %) et 2009 (28 %). S’en suit un creux important de la préoccupation climatique des années 2010 à 2013 avec un minimum en 2011 (15 %) avant un nouveau record en 2015 (32 %) mais aussi en 2017 (31 %).
Or, ces variations suivent précisément le traitement politique et médiatique de la question climatique, corrélation également mise en évidence aux États-Unis. En effet, l’année 2007 a été marquée par le prix Nobel de la paix accordé au Groupe d’experts internationaux sur le climat (GIEC) et à Al Gore pour son film Une vérité qui dérange. En France, le pacte écologique de Nicolas Hulot durant la campagne présidentielle, suivi du Grenelle de l’environnement, ont contribué à mettre le climat sur le devant de la scène, jusqu’à l’échec de la conférence de Copenhague sur le climat fin 2009, le Climategate et la montée du climato-scepticisme.
En 2015, la conférence de Paris sur le climat puis, en 2017, les positions du nouveau président américain sur le sujet ont largement contribué à réactualiser la question climatique dans les médias et donc aussi dans l’opinion française.
Une hypothèse serait peut-être, qu’au-delà des mécanismes de mimétisme social ou de construction idéologique des représentations sociales, le traitement politique et médiatique de la question climatique pourrait également fonctionner comme un « cadre » protecteur permettant de réduire l’angoisse climatique à un niveau suffisant pour éviter le déni. En d’autres termes, le problème du changement climatique est inassimilable par les individus sans réassurances sociales, ce qui implique, a minima, une multiplicité de paroles publiques et légitimes sur ce problème.
S’il existe bel et bien une angoisse climatique largement partagée par nos concitoyens, ne pas la traiter, par des réponses forcément collectives et donc politiques tant le problème dépasse les échelles individuelles, c’est accroître le niveau de mal-être mais aussi de défiance envers les institutions au sein de la population.
Les pouvoirs publics attendus
Reste néanmoins à savoir ce que les Français font de leurs inquiétudes et de leurs projections pessimistes sur l’avenir.
Il serait ainsi faux de croire qu’ils cherchent à fuir leurs responsabilités : ils ne sont plus que 32 % en 2016 à penser qu’il « ne sert à rien de faire des efforts pour l’environnement si les autres ne font pas de même » contre 41 % en 2005.
Plus encore, ils priorisent majoritairement (60 %) la modification nos modes de vie pour limiter l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre devant la réglementation étatique au niveau international (16 %), le progrès technique (10 %) ou la fatalité (13 %).
Il serait cependant tout aussi faux d’en conclure que « modifier nos modes de vie » signifie pour eux que l’action se situe uniquement, voire principalement, à leur niveau.
Interrogés sur qui « devrait agir en priorité pour la protection de l’environnement ? », les Français citent en premier les pouvoirs publics (55 % en 2016, contre 51 % en 2012) puis les entreprises (25 % en 2016 comme en 2012) et en dernier les ménages (21 % contre 25 % en 2012).
S’il s’agit de savoir quels sont les deux acteurs les plus efficaces pour résoudre le problème du changement climatique, ce sont toujours les États (55 % en 2017, +4 points par rapport à 2016) qui arrivent en premier, avant « chacun d’entre nous » (50 %, =) puis les instances internationales (34 %, =), les entreprises (25 %, -2 points), les associations, fondations, la société civile (9 %, -2 points), les collectivités locales (9 %, -2 points), « personne » (10 %, +1 point).
Les acteurs publics à tous les niveaux de gouvernance comptent au total pour une réponse sur deux, les individus pour une réponse sur 4 et les entreprises seulement pour une sur 8. Les attentes les plus nombreuses concernent, avant tout, les pouvoirs publics. Si désamour il y a, ce ne sera pas par indifférence mais bien par déception.
Chacun doit faire sa part
Les Français souhaitent un cadre et une efficacité collective, soit, mais qu’en est-il des efforts proprement individuels dans le domaine de la lutte contre le changement climatique ?
Interrogés sur l’éventualité de changements importants dans leurs modes de vie, les Français posent comme première condition, largement devant les autres, que ces changements soient partagés de façon équitable entre tous les membres de la société (47 %).
Cette exigence d’équité l’emporte sur l’exigence démocratique de participation aux décisions, qui arrive désormais en troisième position (14 %), sachant que 17 % de la population ne pose pas de conditions à l’acceptation de changements importants. À noter, les deux modalités de réponses qui offraient la possibilité de refuser cette idée d’effort en en restreignant l’ampleur (« qu’ils restent dans des proportions modérée… » ou « que les inconvénients soient compensés par d’autres avantages… ») sont les deux modalités les moins choisies par les répondants.
Un « monde d’après » acceptable, si ce n’est enviable, est un monde d’efforts, peut-être voire sûrement, mais où chacun « fait sa part ». Cette exigence de justice relève directement de l’organisation collective et du pouvoir politique.
Deux rendez-vous attendent donc les politiques et les pouvoirs publics : agir à la hauteur des connaissances et des inquiétudes de nos concitoyens en matière climatique, mais d’une façon qui soit juste. L’inaction ou l’accroissement des inégalités au sein d’une transition efficace d’un point de vue environnemental mais socialement régressive seraient toutes deux de nature à augmenter le mal-être et la défiance déjà bien installés dans notre pays.
Angoisse, sentiment d’inefficacité individuelle, exigence de justice, l’enjeu est bien que les Français ne finissent pas par dire, comme Günther Anders en son temps, « Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ! ».
Solange Martin, Sociologue, service « Économie et prospective », Ademe (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine
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