Richard Hababou est le directeur de l’innovation du Groupe Société Générale. A l’instar de Norbert Alter, il estime que « la coopération dans l’entreprise est le terreau de l’innovation ». Ce terreau de l’innovation et de la créativité s’accommode mal de l’uniformité. Aux « clones », l’innovation préfère les explorateurs qui savent mélanger points de vue décalés, créatifs, voire iconoclastes. Pour innover, il est indispensable non seulement de connaître les différents métiers de son secteur d’activité, mais également son historique et la philosophie qui l’anime.
Richard Hababou, tout en se disant sensible aux demandes actuelles, tout en anticipant les impératifs futurs, se compare volontiers au jardinier qui, avant tout nouveau labeur paysagiste, doit être respectueux de l’héritage dans lequel il s’inscrit. Des compétences de jardinier cultivé pour diriger un service comme celui de la direction de l’innovation de la Société Générale : intéressant ! Entretien.
Richard Hababou, quel est votre rôle, en tant que directeur de l’innovation, au sein du Groupe Société Générale ?
Richard Hababou : La Direction de l’innovation du Groupe est une direction transversale sur l’ensemble des métiers de la SG, c’est-à-dire que l’innovation du Groupe doit insuffler un esprit d’innovation pour faire participer l’ensemble de l’écosystème interne – les collaborateurs, aux projets d’innovation de la SG. Notre action est de donner une vision du monde extérieur sur l’innovation et saisir les tendances technologiques ou sociétales qui émergent autour de l’entreprise et de la société en général. Autre mission : déclencher des projets innovants qui pourraient impacter les métiers de la banque.
Nous sommes des éclaireurs, des jardiniers dans la culture d’innovation, des facilitateurs de l’exploration en avance de phase sur des ruptures technologiques ou des ruptures de tendances sociétales qui pourraient impacter la banque. Nous travaillons donc avec les lignes métiers pour appréhender ces ruptures avant qu’elles n’impactent de plein fouet notre activité.
C’est donc un rôle de coordination, d’insufflation d’idées, de prospective, de responsabilité de projets, d’animation et de communication, aussi, autour de l’innovation au sein du Groupe.
Comment vous y prenez-vous ?
RH : Nous avons adopté un concept précis : l’open innovation. Les structures et les réalisations tournent autour de ce concept qui, pour nous, est l’ouverture de l’innovation interne et externe. En interne d’abord, car il faut savoir décloisonner et faire en sorte que l’ensemble des collaborateurs, quels que soient sa position et son rôle à l’intérieur de la SG, ait en tête qu’il est un acteur de l’innovation : ouvrir, communiquer, faire-savoir, faire remonter les idées et projets de chacun. Dans tous les métiers de l’innovation, que ça soit de la prospective, de l’innovation participative ou des projets d’innovation de rupture, nous décloisonnons : tout le monde travaille avec tout le monde !
En externe, nous mettons en place des écosystèmes qui permettent à l’interne, une fois décloisonné, d’avoir des relations avec différents acteurs de l’innovation ; et ceci, évidemment dans la sphère financière, en premier lieu en France, et plus largement encore, sur l’ensemble du territoire mondial.
Le Groupe Société Générale a été récompensé en décembre dernier en recevant le « Trophée Innovation Participative Animation d’une démarche Groupe, Catégorie Internationale » par l’association Innov’Acteurs pour l’animation de leur démarche d’innovation participative à l’échelle internationale. Ce prix récompense le fait que Société Générale ait su mettre en place un réseau international d’innovation, composé de plus de 600 Innov’Acteurs qui mobilisent des salariés du monde entier. Très impliqués tout au long de l’année, ces Innov’Acteurs soutiennent l’innovation, encouragent l’échange des bonnes pratiques au-delà des frontières et des différents métiers de la banque.
C’est-à-dire des passerelles avec les acteurs académiques, les laboratoires de recherche publiques et/ou privés,… ?
RH : Tout l’écosystème externe englobe quatre grands pôles. Le premier, le pôle académique de recherches privées/publiques où l’on travaille sur des projets communs avec des écoles, des universités, des centres de recherche, comme l’INRIA, des acteurs que l’on essaie de diversifier d’une année sur l’autre. Ce qui permet d’élargir le spectre à l’intérieur de chaque sphère.
Second pôle de collaboration : les pôles de compétitivité. C’est un lien avec les centres de recherche ou les universités, mais aussi avec les start-ups, les PME.
Autre pôle : nos partenaires business, c’est-à-dire nos grands fournisseurs de technologies qui sont des pourvoyeurs d’innovations.
Enfin, avec les start-ups en direct, à partir d’incubateurs, comme ceux de la Ville de Paris par exemple, qui nous apportent un accès vers un deal flow de start-ups. Nous travaillons aussi avec le Pacte PME qui nous permet d’accéder à des PME innovantes.
Comment travaillez-vous avec ces start-ups ?
RH : Nous créons des événements où l’on fait se rencontrer des donneurs d’ordre SG et des start-ups ou PME innovantes sur des thèmes particuliers. Les start-ups viennent chez nous, pitchent, et ensuite, ont des relations directes avec les donneurs d’ordres SG.
Nous travaillons aussi en interne où, au niveau des achats, nous avons la capacité de pouvoir contractualiser avec ces petites entreprises pour faciliter, fluidifier les relations entre grandes et petites entreprises qui dépendent souvent de critères rigoureux et figés.
Comment un Groupe comme la SG intègre-t-il les nouvelles technologies dans les services clients ?
RH : Nous en revenons à notre critère de transversalité. Le travail effectué dans l’activité d’innovation du Groupe, c’est aussi la mise en place de réseaux internes nécessaires pour que l’innovation métier et l’innovation du Groupe travaillent ensemble. C’est ce travail en commun qui va intégrer des innovations dans chaque métier. Dans l’organisation du Groupe SG, chaque métier a son propre département d’innovation. Pour la banque de détail, c’est le marketing ; pour la banque d’investissement, c’est la recherche (recherche d’ingénierie financière) ; …
Le cœur du dispositif de travail en commun, c’est le Laboratoire : le « Lab by Société Générale », dédié à l’expérimentation de nouveaux modèles d’affaires et de solutions innovantes de rupture, et d’Innovation participative. Ce Lab fédère un réseau représenté par l’ensemble des métiers SG et établit un programme de travail selon les besoins stratégiques des métiers du Groupe qui est ensuite proposé aux instances dirigeantes du Groupe et qui est mis en œuvre au niveau du Laboratoire de l’innovation. C’est un binôme métier/innovation Groupe. Le financement est commun, ce qui permet de comprendre qu’il y a une direction de projets d’expérimentation en commun.
Grâce à la créativité de ses équipes, Société Générale a par exemple lancé cette année « Demat’ + », une solution de contrat de crédit à la consommation 100% numérique, innovante et performante qui a d’ailleurs reçu le Grand Prix de l’Innovation 2012 octroyé par le Comité Exécutif du Groupe.
Autre innovation : la première appli bancaire française sur iPhone accessible aux non-voyants, améliorant la compatibilité de l’application pour iPhone avec le logiciel de lecture d’écran VoiceOver. Cette mise à jour de l’Appli pour iPhone intègre ainsi un clavier virtuel sonore simplifiant la saisie du code secret par des clients non-voyants tout en restant parfaitement sécurisé.
Avec tous ces moyens mis en place, quelle sera la banque de demain ?
RH : Sans se tromper, on peut imaginer l’avenir comme un mixte linéairement commun entre agences et canaux électroniques : entrelacement entre le besoin du consommateur d’avoir un contact humain et le besoin d’accéder à sa banque n’importe où et quand il le veut. Le défi : pouvoir faire en sorte que ces deux façons d’accéder à la banque soient transparentes, «smooth transition», soit une continuité de contacts (entre humain et électronique).
La bonne question à se poser serait plutôt « comment le consommateur va consommer la banque demain ». De notre point de vue, il va demander des évolutions d’ordre sociétal (transparence, proximité, échange, conseil) ou technologique, avec les accès nécessaires quel que soit le lieu, le moment et le niveau d’interaction qu’il souhaite.
Demain, il y aura donc le Conseiller/l’agence qui devra répondre à des demandes de plus en plus sophistiquées mais en même temps de plus en plus proches du client, du para-bancaire. D’autres métiers de service s’incluront comme une marque de proximité avec le client.
Puis, il y aura l’ensemble des interactions électroniques du client, dont le mobile sera l’acteur majeur, ainsi qu’internet via ce mobile, avec convergences de systèmes d’exploitation et d’utilisation. Dans le domaine des paiements, nous allons prochainement connaitre une nouvelle étape dans la dématérialisation de la carte bancaire grâce au paiement sur mobile par NFC et le e-wallet, le portefeuille électronique de demain. Mais le téléphone gardera-t-il sa forme actuelle ? Avec la miniaturisation des composants, la carte à puce deviendra peut-être le téléphone de demain…
Les DAB se transformeront : toujours du cash mais aussi des sources d’informations, des vitrines interactives qui deviendront de plus en plus personnalisées grâce à la géolocalisation, la reconnaissance visuelle et faciale …
Vous parlez depuis le début de consommateurs et non de technologies. L’innovation dans le Groupe SG se fait à partir des besoins et des usages ?
RH : Nous essayons de répondre aux besoins des usages des consommateurs. Une grande partie de ces usages ont un sous-jacent technologique. Exemple : quand on travaille sur de nouveaux usages de type investissement responsable (investissement sur des projets que l’on maîtrise, dont on connaît la finalité), un nouveau besoin émerge, le crowd founding, c’est-à-dire la possibilité de mutualiser des fonds de consommateurs pour les investir dans des projets à caractère social ou responsable. Nous, banque, nous voyons émerger cette nouvelle tendance et on se demande quel est notre rôle : comment permettre à ces gens de pouvoir réaliser des investissements, dans un environnement sécurisé, de confiance, avec des éléments de prises de risques mesurés qui peuvent les aider à faire leur décision. Nous travaillons donc sur des plateformes électroniques de mise en relations : c’est de la technologie.
Il est toujours prouvé aujourd’hui que la banque est la plus légitime dans les transferts d’argent.
La banque est-elle encore légitime dans le financement de projets industriels ? Et notamment pour le financement des start-ups ?
RH : La banque a évidemment un rôle primordial à jouer dans le financement de l’économie. Elle a aussi un rôle à jouer en tant que client de cette économie.
Maintenant, le financement des start-ups fait-il partie de ce rôle ? Pas directement. Car le métier de la banque c’est la prise de risque, mais de la prise de risque maîtrisée. Le métier d’un entrepreneur de start-up c’est de la pure prise de risques.
J’ai travaillé dix ans dans la Silicon Valley pour investir dans les start-ups : ce ne sont pas les banques qui les financent, ce sont des fonds de capital risques. Ce n’est pas le même métier.
Par contre, des banques investissent dans des fonds de capital risques qui eux-mêmes investissent dans les start-ups. Ce n’est pas le métier de la banque d’investir directement dans les start-ups.
Travaillant en open innovation, vous repérez des start-ups très souvent en recherche de financement. Comment procédez-vous ?
RH : Il y a des instruments financiers dans les banques qui permettent de financer les start-ups, comme les FCPI en France, qui sont des moyens de collecter l’épargne pour investir le capital de start-ups, à travers des capital-risqueurs.
Lorsque la start-up grandit, elle peut se tourner vers la banque pour contracter un prêt avec divers outils, comme Oseo par exemple ou autre.
Il y a aujourd’hui une confusion générale dans le grand public sur le rôle des banques dans le financement de l’économie française.
RH : C’est vrai qu’il nous faut faire de la pédagogie sur le rôle des banques dans le fonctionnement de l’économie, sur ses métiers et ses interactions avec tous les acteurs de la société.
Nous avons en France un déficit de capital-risqueurs, d’angels-investors par rapport à d’autres pays et certaines entreprises innovantes ont pu décider de s’implanter dans d’autres pays où elles trouvaient des infrastructures de financement approprié. Pour améliorer les initiatives prises par les gouvernements (Oseo, Ubifrance, Coface,..), il faudrait permettre aux start-ups de démarrer avec un apport de fonds privés et développer le capital-risque privé, en créant une infrastructure financière dédiée.
Les démarches d’open-innovation avec en particulier les incubateurs publics ou privés y contribuent en faisant émerger les jeunes pousses ; mais l’écosystème capital-risque/start-up est l’élément clé pour construire durablement le paysage de l’innovation. Nous avons la chance en France d’avoir un domaine d’excellence qu’est notre Recherche & Développement, nous avons également de nombreux talents et particulièrement dans la Hi-Tech, il nous faut continuer à développer un environnement propice à l’innovation.