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Validation du mariage Bayer-Monsanto : les dessous de la création d’un monstre

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Après l’approbation de l’Union européenne, c’est au tour de la justice américaine de valider le mariage entre deux géants : le géant américain des pesticides et semences Monsanto et le conglomérat allemand de produits chimiques Bayer. Une union scellée pour la somme astronomique de 66 milliards de dollars. Produits phytosanitaires, semences, plantes génétiquement manipulées, mais aussi données massives sur l’agriculture sont désormais concentrés entre les mains d’une seule organisation. Un monstre qui donne les pires cauchemars à de nombreux agriculteurs et aux défenseurs de l’environnement. Retour sur la saga et les enjeux pour l’agriculture mondiale de cette alliance hors normes.
 
Le mariage a d’abord commencé par un combat de titans. Un combat entre Monsanto et Bayer qui se situe dans un contexte de grandes manœuvres d’un secteur qui concerne l’activité de centaines de millions d’agriculteurs dans le monde. Dans un contexte international hyperconcurrentiel, les six mastodontes du secteur – les américains Monsanto, DuPont et Dow Chemical ; les allemands Bayer et BASF ; le suisse Syngenta – se rapprochent et cherchent à fusionner. Le pire cauchemar des défenseurs de l’environnement.
 
Au cœur de ce champ de bataille, un combat sans merci s’était livré entre le groupe Bayer, connu pour fabriquer les très décriés pesticides « tueurs d’abeilles » au néonicotinoïdes, d’une part et Monsanto, la firme de Saint Louis dans le Missouri, spécialiste des semences OGM, fabricant de l’herbicide Roundup et bête noire des écologistes. Une bataille à coups de milliards de dollars, Bayer proposant in fine, avec une offre à 66 milliards de dollars la plus grosse acquisition jamais réalisée par l’industrie allemande, dépassant le précédent record établi lors du rachat de Chrysler par Daimler pour « seulement » 36 milliards de dollars à la fin des années 90.
 

Une histoire qui sent le soufre

L’histoire des deux groupes protagonistes de ce combat de poids lourds sent le soufre. Monsanto, dont la seule évocation du nom donne de l’urticaire au plus sage des écologistes, a une histoire chargée qui remonte à 1901.  Parmi les faits d’armes controversés de ce géant de l’agrochimie, on note qu’il a « été le fabricant de l’« agent orange », ce défoliant terrifiant largement utilisé pendant la guerre du Viêt-Nam entre 1961 et 1971.  Le produit était répandu sur les cultures lors de raids aériens pour affamer la population ; au passage, le produit contenait de la dioxine, agent contaminant des millions de civils. Selon les estimations d’une étude publiée en 2003 dans la revue Nature, c’est entre 2,1 et 4,8 millions de Vietnamiens qui ont été directement exposés aux herbicides entre 1961 et 1971, auxquels il faut rajouter un nombre inconnu de cambodgiens, de laotiens, de civils et militaires américains, et de leurs divers alliés australiens, canadiens, néo-zélandais, sud-coréens.
 
Malgré ces chiffres éloquents, Monsanto a soutenu pendant des décennies que son agent orange était sans danger. Même discours pour une autre famille de produits de la firme, les PCB  (polychlorobiphényles ou pyralènes) utilisés abondamment dans notamment les transformateurs et dont on admit, seulement en 1979 aux États-Unis et en 1987 en France que ce produit était hautement toxique. Ce composant se retrouve encore aujourd’hui dans notre environnement et des particules subsistent dans nos corps.
 
Autre produit controversé, le Roundup n’en finit pas de faire parler de lui. Ses détracteurs sont déchaînés et organisent marches et actions en justice pour accélérer son interdiction. Le président Macron s’est engagé à le faire disparaître « sous trois ans » mais les défenseurs de l’environnement voudraient que ce produit controversé disparaisse le plus vite possible.

LIRE DANS UP’ : Glyphosate : pas d’inscription d’interdiction dans la loi d’ici 3 ans

Mais ces pesticides ne sont que l’arbre qui cache la forêt ; en effet, 70 % du chiffre d’affaires de Monsanto ne provient pas des produits chimiques mais de ses semences et de son activité dans la manipulation génétique du vivant. Le seul mot d’OGM suffit pour actionner l’association avec les activités troubles de ce géant qui ambitionne de mettre l’agriculture mondiale sous sa coupe.
 
Le groupe allemand n’a pas une réputation aussi sulfureuse. Il doit son image plutôt positive à ses produits pharmaceutiques au premier rang desquels figure l’aspirine que l’allemand inventa en 1899. Pourtant, Bayer n’est pas une blanche colombe. Le groupe est l’héritier avec l’autre allemand BASF du consortium IG Farben, le fournisseur du Zyclon B, ce gaz facteur de mort des camps nazis. Sur les 46 milliards d’euros de son chiffre d’affaires, 22 % sont produits par les semences et les pesticides. Il est le fabricant des marques Gaucho et Proteus, substances aux néonicotinoïdes dont on connait les effets meurtriers sur les abeilles en particulier et la faune en général.
 

L’agriculture mondiale en ligne de mire

L’enjeu de cette bataille de géants entre Monsanto et Bayer est la mainmise sur le marché de l’agriculture. Selon l’ONG Greenpeace, un mariage entre l’américain et l’allemand ferait naître un numéro un mondial des semences transgéniques et des pesticides, avec respectivement 30 % et 24 % de parts de marché.
Pour les organisations écologistes mondiales, le danger vient de l’inondation du marché mondial par des semences génétiquement modifiées avec une autre méthode que celle des OGM. En effet, fin 2016 Monsanto a passé un accord avec le Broad Institute du MIT et d’Harvard. L’accord porte sur la licence d’exploitation du CRISPR-Cas9 pour une utilisation dans le développement de semences. Avec cette acquisition, Monsanto va pouvoir créer de nouvelles plantes résistantes à la sécheresse ou de nouvelles propriétés agréables pour le consommateur comme une huile de soja modifiée de telle sorte qu’elle soit aussi bonne que la meilleure des huiles d’olive. Monsanto estime que sa licence lui permettra d’améliorer dans des proportions considérables sa technique, vieille de plusieurs décennies de fabrication d’OGM. Tom Adams, qui dirige la biotechnologie de Monsanto, affirme : « Je pense que nous verrons une accélération dans l’évolution dans caractéristiques végétales à un rythme que les créations traditionnelles d’OGM ne nous permettaient pas ».

LIRE DANS UP : Monsanto achète la licence du CRISPR, le plus puissant outil de manipulations génétiques

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les risques d’une telle fusion. Vandana Shiva, figure du militantisme pour la défense d’une agriculture durable alerte dans les colonnes du Huffington Post :  « Nous assisterons de notre vivant à la disparition totale de la biodiversité dans nos fermes, à la disparition des petits agriculteurs et à la fin de la vraie nourriture et de notre liberté alimentaire ».
 
Arnaud Apoteker, ancien de Greenpeace et expert en OGM affirme qu’avec cette fusion, « tout le système agricole mondial se trouvera entre les mains de trois conglomérats en mesure d’imposer des politiques agricoles basées sur les semences OGM et leurs pesticides associés ».

LIRE DANS UP’ : Arnaud Apoteker : « Il est plus que temps d’interdire le glyphosate »

Guy Kastler de la Confédération paysanne s’inquiète auprès de Libération : « Avec un tel « paquet complet », l’agriculteur sera totalement sous la dépendance d’une seule entreprise. Et ces multinationales, de plus en plus grosses, auront encore plus de poids sur les gouvernements pour faire passer des réglementations qui obligeront les agriculteurs à utiliser leurs produits. Regardez la guerre qu’elles font déjà aux semences paysannes, désormais encore plus menacées d’appropriation par les brevets sur les « new breeding techniques », ces nouveaux OGM que les firmes rêvent de pouvoir vendre sans étiquetage. J’y vois une menace pour l’ensemble des citoyens, car nous risquons de perdre notre souveraineté politique et notre indépendance alimentaire. »
 
Plus globalement, c’est un asservissement des agriculteurs aux produits de ces deux géants que l’on craint, d’autant que la stratégie du rapprochement est limpide : proposer une offre complète aux agriculteurs incluant les semences, les engrais, le conseil, les équipements et les « services climatiques ».
 

L’enjeu des données numériques

Les craintes sur l’asservissement de l’agriculture mondiale entre les mains d’un monopole sont amplifiées par la tendance que l’on voit poindre avec la révolution numérique de l’agriculture. Les géants du phytosanitaire et des semences s’organisent pour mettre la main sur les données des agriculteurs pour, à la manière de Facebook, mieux les connaître pour mieux les cibler.  
 
En 2013 déjà, Monsanto a racheté pour un milliard de dollars The Climate Corporation, une startup fondée par des anciens de Google, spécialisée dans l’analyse ultra localisée du risque agricole et la vente de polices d’assurance associées. La firme dispose ainsi de suffisamment d’informations sur les terres d’un agriculteur pour réagir immédiatement. En cas de sécheresse ou d’attaque de prédateurs sur sa parcelle, l’agriculteur reçoit de Monsanto, en quelques secondes sur son smartphone, une offre de produits phytosanitaires adaptés.
 
Plus récemment encore, la firme de Saint-Louis a développé la plateforme numérique Climate Fieldview. Celle-ci utilise des tracteurs équipés de GPS et bourrés de capteurs, d’un réseau de drones de collecte d’informations et d’algorithmes de surveillance spécialement conçus pour apporter en temps réel des conseils ultraciblés aux agriculteurs.
« La fusion entraînera la création de la plus grande plateforme de son genre qui bénéficiera comme Facebook de la ‘prime au premier entrant’, à cause des conséquences qu’elle aura pour les concurrents », a déclaré au Huffington Post Mute Schimpf, une porte-parole des Amis de la Terre Europe. Elle poursuit : « La nouvelle plateforme permet à Bayer-Monsanto de contrôler comment, où, quand et par qui la nourriture est produite. De la même manière que les algorithmes de Facebook décident de nos flux d’actualités, ‘Baysanto’ choisira quels pesticides doivent être utilisés et quelles semences doivent être plantées. »
 

Une stratégie périlleuse

Les pétitions, manifestations, déclarations se multiplient partout dans le monde contre cette fusion. Le comité de gestion d’un important fonds d’investissement, La Financière Responsable, s’est ainsi séparé des actifs Bayer de son portefeuille au motif d’une « incompréhension stratégique », affirmant dans un communiqué : « La société Monsanto est très controversée dans le domaine de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, et fait face à de nombreuses polémiques tant environnementales, comme l’affaire du Roundup, que sociales et sociétales (exemple : le coton transgénique Bt en Inde). La Financière Responsable estime donc qu’il n’est pas acceptable d’avoir une société comme Monsanto dans les portefeuilles de fonds ISR et ne réinvestira pas dans la société Bayer AG tant qu’elle maintiendra cette orientation stratégique. »
 
Selon certains experts, le rapprochement entre les deux groupes ne sera pas une sinécure. C’est ce que pense Michel Nakhla du Centre de Gestion Scientifique de Mines ParisTech : « Nous sommes ici face à un cas où l’énergie qui sera déployée pour rendre compatibles deux cultures d’entreprises se traduira inévitablement par une érosion commerciale, source d’échec d’une majorité des rapprochements. En plus, les autorités de la concurrence américaine et européenne peuvent cependant se réveiller pour empêcher la naissance d’un groupe qui contrôlerait près 37 % du marché mondial de l’agrochimie. Elles peuvent également donner un feu vert conditionné à la cession d’actifs ou à un désinvestissement de certains marchés pour éviter une position dominante. »
Les deux groupes Bayer et Monsanto fusionnés pourraient se voir obligés de céder une partie de leurs actifs. Par exemple, Bayer pourrait craindre une demande de cession de son portefeuille santé. Et ceci malgré les propos rassurants de Werner Baumann, le président de Bayer, qui répète qu’il ne se séparerait pas des activités pharmaceutiques historiques du groupe comme l’aspirine. Dans ce cas, Bayer devra dresser une frontière étanche entre la vente de l’aspirine et la vente des phytosanitaires, une question de confiance pour les consommateurs.
 
mise à jour du 4 juin 2018 
« Bayer demeurera le nom de l’entreprise. Monsanto, en tant que nom d’entreprise, ne sera pas maintenu« , a annoncé lundi 4 juin le spécialiste allemand de la pharmacie et de l’agrochimie, qui compte boucler l’opération ce jeudi. Par ce toilettage a minima, le groupe allemand s’efforce de prendre ses distances avec l’image sulfureuse de sa cible, honnie des organisations paysannes comme des écologistes. Monsanto a aussi été mêlée à une litanie de procédures judiciaires autour de scandales sanitaires et de nuisances à l’environnement.

LIRE DANS UP : Bayer va se débarrasser de la marque Monsanto

 
 
Cet article est la mise à jour de l’article publié le 14 septembre 2016 dans UP’ Magazine
 

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