Dans l’immensité glacée du Nord, une scène aussi vieille que l’histoire se rejoue sans cesse : l’aigle royal plane haut, solitaire et sûr de sa domination, tandis que l’oie canadienne, bruyante et résolue, refuse de céder le terrain. Ce duel entre deux symboles est plus qu’une image ; c’est la métaphore d’un rapport de force ancré dans le temps. L’aigle, incarnation de la puissance américaine, impose ses lois, ses volontés, ses tarifs, sans égard pour son voisin. Mais l’oie, sociale et opiniâtre, tient sa ligne, non par arrogance, mais par nécessité.
Le protectionnisme américain n’est pas un phénomène nouveau. Il est une marée qui revient, inlassablement, chaque fois sous un prétexte différent : stimuler l’industrie nationale, protéger les travailleurs, restaurer une grandeur perdue. Pourtant, chaque vague protectionniste a laissé derrière elle les mêmes débris : des hausses de prix, des déséquilibres économiques et une montée du nationalisme canadien. Trois épisodes illustrent particulièrement cette mécanique répétitive : le McKinley Tariff Act de 1890, les tarifs de Donald Trump en 2018, et l’escalade protectionniste de 2025.
Le McKinley Tariff Act de 1890 : Un précédent historique
L’Acte tarifaire de McKinley fut l’une des mesures protectionnistes les plus extrêmes de l’histoire américaine. Il imposait des droits de douane allant jusqu’à 50 % sur de nombreux produits étrangers, y compris ceux en provenance du Canada. Cette mesure visait à stimuler la production nationale en protégeant les industries américaines de la concurrence internationale.
Mais l’effet fut contre-productif : l’augmentation des coûts d’importation fit grimper les prix pour les consommateurs américains, affectant particulièrement les classes moyennes et inférieures. Les industries américaines, au lieu de prospérer, souffrirent de l’augmentation du coût des matières premières importées.
Sur le plan politique, le tarif McKinley provoqua un tollé. Les Républicains perdirent leur majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat en 1890 et, en 1892, Benjamin Harrison fut battu par le démocrate Grover Cleveland.
Pour le Canada, cette mesure fut un catalyseur du nationalisme économique. Plutôt que de renforcer les liens commerciaux avec les États-Unis, l’Acte McKinley poussa le Canada à se tourner vers l’Empire britannique, renforçant son identité distincte.
Les tarifs de Trump en 2018 : un écho du passé
Un siècle plus tard, Donald Trump adopta une stratégie similaire sous le prétexte de la sécurité nationale. En 2018, il imposa des droits de douane de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium canadiens, prenant de court l’un des plus proches alliés des États-Unis.
L’impact économique fut immédiat et paradoxal : alors que ces tarifs devaient protéger les industries américaines, ils augmentèrent les coûts de production des secteurs dépendant de ces matériaux, notamment l’automobile et l’aérospatiale. Le Canada répliqua en imposant ses propres tarifs sur des produits américains, tels que les denrées agricoles et le whisky, exacerbant la crise commerciale.
Les conséquences politiques ne tardèrent pas. Les élections de mi-mandat de 2018 virent les Républicains perdre des sièges, notamment dans les États industriels touchés par la guerre commerciale. Sur le long terme, comme en 1890, cette confrontation tarifaire poussa le Canada à accélérer sa diversification commerciale, renforçant ses liens avec l’Union européenne, le Japon et d’autres marchés asiatiques.
L’escalade de 2025 : une rupture profonde
Lors de son second mandat, Trump intensifia sa politique protectionniste en 2025 en imposant un tarif de 25 % sur toutes les importations en provenance du Canada et du Mexique, ainsi qu’un tarif de 10 % sur les produits chinois. Cette décision fut justifiée par des arguments liés au déficit commercial et au contrôle des flux de drogue. N’importe quelle excuse !
Les répercussions économiques furent sévères. L’industrie automobile, le secteur de la construction et l’aéronautique, dépendants des chaînes d’approvisionnement nord-américaines, subirent une hausse brutale des coûts. Le marché du bois américain connut une forte volatilité, affectant un secteur déjà fragilisé par des taux d’intérêt élevés et une pénurie de main-d’œuvre. Des entreprises comme Boeing souffrit de ces politiques, tandis que leurs concurrents comme Airbus en profitèrent.
Sur le plan politique, ces tarifs exacerbèrent les tensions avec le Canada et le Mexique. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, répliqua en imposant des mesures de rétorsion similaires, marquant une rupture plus profonde que jamais dans la relation entre les deux pays. Plus encore, cette crise stimula un nouvel élan nationaliste au Canada, où la souveraineté économique et la diversification des partenaires commerciaux devinrent des priorités absolues.
Le paradoxe du protectionnisme
Le McKinley Tariff de 1890, les tarifs de Trump en 2018 et l’escalade de 2025 démontrent les effets imprévus du protectionnisme :
- Une hausse des prix pour les consommateurs, rendant le ‘coût de la vie’ plus élevé et fragilisant les ménages.
- Un impact politique négatif : dans les trois cas, le parti au pouvoir a subi des revers électoraux en raison du mécontentement économique.
- Un renforcement du nationalisme canadien : au lieu d’affaiblir le Canada, ces mesures l’ont poussé à renforcer son indépendance économique et politique.
Une réponse canadienne marquée par l’histoire et l’humour
Jean Chrétien, interrogé sur la manière de gérer les relations avec Donald Trump, a répondu avec son ironie caractéristique : « Il change d’avis tous les trois jours. » Ce qui pouvait ressembler à une boutade est en fait devenu une réalité politique lourde de conséquences. Comment un pays peut-il bâtir une relation commerciale stable avec un partenaire qui renie ses engagements au gré de ses impulsions ?
Lors d’un discours au congrès du leadership libéral, Jean Chrétien a plaisanté, mais il a aussi lancé un avertissement clair à Donald Trump : « D’un vieux gars à un autre vieux gars, arrête ces absurdités. » Derrière l’humour, il dénonçait la division inutile que Trump imposait à une relation historique et fructueuse entre le Canada et les États-Unis.
Un Canada en transition : entre leadership et résilience
L’élection de Mark Carney à la tête du Parti libéral marque un tournant décisif dans la politique canadienne, à l’aube d’élections nationales cruciales. Face aux défis du protectionnisme américain et aux nouvelles réalités économiques mondiales, le Canada doit réaffirmer ses principes fondamentaux : justice, équité et coopération internationale.
Comme l’a souligné Carney, « le Canada se lèvera toujours pour ce qui est juste et équitable. » Ce n’est pas simplement une posture politique, mais une réalité forgée par l’histoire de la nation. Le Canada a toujours su résister aux pressions extérieures et transformer l’adversité en opportunité. Aujourd’hui plus que jamais, il lui faut une vision claire pour naviguer dans une époque de bouleversements économiques et géopolitiques.
Carney insiste également sur la nécessité d’un leadership positif, capable de dépasser les divisions et de rassembler les Canadiens autour d’un projet commun. « Les Canadiens savent que de nouvelles menaces exigent de nouvelles idées et un nouveau plan. Ils savent que de nouveaux défis demandent un nouveau leadership. Les Canadiens veulent un leadership positif qui mettra fin aux divisions et nous aidera à construire ensemble. »
Alors que le Canada entre dans une nouvelle ère sous la direction de Carney, l’un des principaux enseignements de ces confrontations est clair : la résilience économique ne repose pas sur la dépendance à un seul partenaire, mais sur la diversification et l’affirmation d’une souveraineté commerciale.
L’histoire se répète, mais le Canada s’affirme
Comme un refrain ancien qui traverse les époques, le Canada a toujours su s’adapter, résister et tracer sa propre route. Ce n’est pas la première fois que notre voisin du sud tente de redéfinir les règles du jeu à son avantage, et ce ne sera sûrement pas la dernière. Mais chaque vague protectionniste, chaque pression économique n’a fait que renforcer notre capacité d’innovation, notre solidarité et notre souveraineté.
Alors que le Canada entre dans une nouvelle ère sous la direction de Mark Carney, l’un des principaux enseignements de ces confrontations est clair : la résilience économique ne repose pas sur la dépendance à un seul partenaire, mais sur la diversification et l’affirmation d’une souveraineté commerciale.
Dans ce duel de l’aigle et de l’oie, l’histoire a montré que le Canada, malgré son apparente modestie, sait se tenir debout et tracer son propre chemin.
Coda : un Canadien errant
Et pourtant, pour ceux d’entre nous qui vivent loin de leur terre natale, il y a toujours cette note mélancolique qui résonne au fond de l’âme, celle du Canadien errant, ce chant d’exil et de nostalgie.
« Si tu vois mon pays, mon pays malheureux, Va dire à mes amis que je me souviens d’eux. »
Ces paroles résonnent différemment aujourd’hui. Elles ne sont plus celles d’un peuple en fuite, mais d’une nation qui se souvient, qui s’affirme, qui revendique son indépendance avec dignité. L’histoire nous a appris à survivre, mais elle nous enseigne aussi à bâtir, à tenir tête, à refuser l’assimilation imposée.
Le Canada, toujours errant sur les chemins d’un monde instable, trouve dans chaque défi une raison de s’affirmer, de grandir et de se réinventer.
L’Acte de McKinley en 1890, les tarifs de Trump en 2018 et l’escalade de 2025 illustrent un cycle récurrent dans l’histoire du protectionnisme américain. À chaque fois, les mesures prises pour renforcer l’économie américaine ont conduit à une instabilité économique, des défaites électorales et un Canada plus résilient.
Alors que le Canada entre dans une nouvelle ère sous la direction de Mark Carney, l’un des principaux enseignements de ces confrontations est clair : la résilience économique ne repose pas sur la dépendance à un seul partenaire, mais sur la diversification et l’affirmation d’une souveraineté commerciale.
Dans ce duel de l’aigle et de l’oie, l’histoire a montré que le Canada, malgré son apparente modestie, sait se tenir debout et tracer son propre chemin.
Sam Mattar, Chroniqueur invité de UP’ Magazine, Directeur général et partenaire fondateur de Construction Dynamics Solutions. Il est ingénieur de renommée internationale et ancien fonctionnaire du Centre des Nations Unies pour les établissements humains (HABITAT). Il est titulaire d’un BSc de l’Université de Leeds, d’un MSc de l’Université de Calgary et d’un doctorat de l’Université Concordia. Sam Mattar est de nationalité libanaise et canadienne.
Image d’en-tête : L’affrontement de l’aigle et de l’oie : un duel symbolique à l’ombre des tensions croissantes entre le Canada et les États-Unis – un présage ? »