De la confiance en soi à la redécouverte de son ignorance, un nouvel équilibre est à trouver. Yuval Noah HARARI dans son ouvrage « Sapiens, une brève histoire de l’humanité » introduit l’âge de la révolution scientifique (à partir de 1500) en ces termes : « La science moderne repose sur un choix déterminant : l’empressement à s’avouer ignorant. Elle postule que nous ne savons pas tout. Elle accepte que ce que nous croyons savoir pourrait bien se révéler faux avec l’acquisition de nouvelles connaissances ». Cinq cent ans après la révolution scientifique, certains travaux en neurosciences et en psychologie cognitive rappellent que ce principe est toujours d’actualité, ils nous invitent à redécouvrir l’ignorance.
Dans bien des cas, nous avons une haute opinion de notre propre point de vue. Or celui-ci est toujours l’expression de nos perceptions, de la façon dont nous donnons de la valeur à tels ou tels critères, de nos expériences passées, des croyances qui se sont constituées au cours de notre vie. Les neurosciences ont prouvé la flexibilité cérébrale, ont analysé l’influence de l’environnement sur l’évolution du cerveau, et ont démontré que l’évaluation correspond à des appréciations fondées sur l’expérience du sujet et l’état affectif du moment. Ces connaissances permettent de prendre du recul sur ses propres opinions et certitudes. Sans douter de tout, il convient de rester circonspect.
Le paradoxe de la confiance en soi est qu’elle peut être vécue de manière ambiguë. En caricaturant, elle peut conduire à croire qu’elle justifie la pertinence de ses évaluations et ce, en toute circonstance. Or il n’en est rien ; avoir confiance en soi relève de la sécurité ontologique ; c’est un sentiment lié à l’identité du sujet et à la reconnaissance de ses talents et de ses compétences. Cela n’implique en aucune manière qu’il puisse avoir raison tout le temps, qu’il puisse tout savoir. Avoir confiance en soi ne confère pas la toute-puissance cognitive.
Selon un soudage national rapporté par SIMONS et CHABRIS, 63% des Américains considèrent qu’ils ont une intelligence supérieure à la moyenne. Le chiffre monte à 71% pour les hommes, il n’est que de 57% pour les femmes. Ces dernières, dignes de leur réputation de ne pas être assez sûres d’elles-mêmes, se montrent ici plus réalistes que les hommes. Une étude réalisée en Suède en 1981 révèle que 69% des étudiants considèrent conduire mieux que 50% de leurs camarades et 77% sont persuadés qu’ils font partie des 50% des conducteurs les plus prudents. Outre le fait que cette formulation a quelque chose de comique dans son énoncé, il est significatif de la façon dont nous aimons nous comparer aux autres.
Différentes études ont démontré l’existence de l’effet « incompétent-et-qui-l’ignore ». Cet effet consiste à évaluer la pertinence de leurs capacités par des personnes lors d’un jeu ou d’un questionnaire. Les personnes les moins compétentes se surévaluent beaucoup plus que les personnes compétentes. Si vous voulez vérifier ce fait, ce n’est pas difficile, demander leur avis à des gens qui ne connaissent rien à un problème, pour peu qu’il y ait un lien affectif avec le thème que vous proposez vous aurez une belle démonstration. Vous pouvez aussi choisir de vous observer lorsque vous donnez votre avis sur un sujet qui vous touche un peu, mais sur lequel vous disposez de sources d’information peu diversifiées.
La mémoire épisodique est sélective. Lors du rappel d’un souvenir, chacun a l’impression de se rappeler ce qu’il a vécu. Pourtant, le cerveau ne garde que des traces du souvenir. Celui-ci est « reconstitué » lors du rappel. Il est donc approximatif. On sait même aujourd’hui qu’il peut être complètement faux. Élisabeth LOFTUS en a fait la démonstration. Certaines personnes se souviennent d’événements qu’elles n’ont pas vécus. Lors des témoignages devant les tribunaux, la véracité des dires des témoins est de plus en plus remise en question. Chaque nouvelle évocation d’un souvenir peut conduire à sa transformation, d’autres informations, en lien direct ou en similitude de contexte, peuvent influencer la mémoire du sujet. Nous vivons avec une impression de réalisme mnésique, nous avons aujourd’hui la preuve de l’aspect fictionnel de la mémoire épisodique. Cette connaissance invite à la prudence et à la modestie. Il est possible de se faire confiance tout en sachant qu’une marge d’erreur est à prendre en compte.
Or surprise, passé le moment désagréable de cette prise de conscience qui peut heurter notre ego, la découverte de notre ignorance présente de nombreux avantages. Une stimulation de notre curiosité, le plaisir de l’émerveillement de la connaissance, l’envie de faire autrement… Toutes sortes de plaisirs qui donnent un coup de jeune au cerveau du blasé. Avoir tout vu, tout connaître et affirmer sans cesse que l’on a raison est, somme toute, assez fatigant pour soi et pour les autres. En prime, si vous souhaitez fabriquer de nouveaux neurones tout au long de votre vie, il paraît qu’apprendre est une condition de réussite !
www.lecerfthomas.com
Yuval Noah HARARI, Sapiens, une brève histoire de l’Humanité, Albin Michel 2015
Christopher CHABRIS & Daniel SIMONS, Le gorille invisible, LE POMMIER 2015
Élisabeth LOFTUS, Katherine KETCHAM, le syndrome des faux souvenirs, Exergue 1998 ou sur TED
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