La crise hospitalière ne faiblit pas en France. Elle prend, avec la surcharge des urgences une dimension dramatique se traduisant par une surmortalité avérée. Certains évoquent même une nouvelle maladie nosocomiale aux urgences devenues « zones de danger ». Hyères, Nantes, Toulouse… Après des décès « inattendus » dans des services d’urgences débordés, des députés et organisations réclament une commission d’enquête parlementaire. Pour les professionnels, la « surmortalité » liée à l’engorgement du système est difficile à quantifier, mais les témoignages affluent.
Mercredi dernier, à Toulouse, un patient s’est suicidé après plusieurs jours sur un brancard, dans une zone d’attente des urgences psychiatriques. « Il était stocké dans un bureau, faute de place« , dénonce Olivier Varnet, représentant hospitalier FO, qui voit dans ce drame une illustration de « la situation cataclysmique de l’hôpital ».
En déplacement à Toulouse ce 20 février, le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux a pointé des « dysfonctionnements inacceptables » liés, en partie, à une mauvaise coopération « entre public et privé » localement. Il a promis d’œuvrer pour mieux « répartir la charge ».
En octobre dernier, Lucas, 25 ans, est mort aux urgences de Hyères (Var), d’un choc septique, selon ses parents, après des heures d’agonie. D’autres plaintes de familles ont été médiatisées début 2024, comme à Nantes ou Eaubonne (Val-d’Oise). Les drames « évitables » sont-ils en augmentation ? « Difficile à dire, car aucun recensement n’est fait », note Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France (SUdF). « Mais il y a une sensibilité accrue. Tout le monde a compris que le système de santé, extrêmement fragilisé, ne fonctionne pas comme il le devrait« .
Seule donnée disponible, le nombre « d’événements indésirables graves associés aux soins » — à savoir les dysfonctionnements mettant en jeu un pronostic vital ou déficit fonctionnel, déclarés anonymement par les professionnels — reste « largement sous-déclaré », selon la Haute autorité de Santé. Selon les derniers chiffres, en 2022, elle a recensé près de 2.400 « événements indésirables graves associés aux soins ». (Dans 40% des cas, la nuit, le week-end ou un jour férié). Ce chiffre est en hausse de 27% par rapport à l’année précédente. Tous ces incidents graves ont entraîné, soit la mort du patient, soit des séquelles lourdes. Entre janvier 2022 et mars 2023, 136 « événements » de ce type, liés aux services d’urgences, ont conduit à un décès.
« Zones de danger »
Mercredi 21 février, des députés, syndicats et associations ont réclamé auprès de la présidente de l’Assemblée nationale la création rapide d’une commission d’enquête sur la crise des urgences et les « pertes de chances » vitales.
Mais un problème s’aggrave : les patients restent sur des brancards, parfois plusieurs jours, en attente d’hospitalisation faute de lits disponibles dans les services spécialisés. Des « zones de danger », car impossibles à surveiller correctement, souligne Marc Noizet. Une chose est sûre : passer une nuit sur un brancard à l’hôpital augmente de près de 40% le risque de mortalité pour les patients âgés de plus de 75 ans, selon une étude de l’AP-HP, de l’Inserm et de Sorbonne Université.
A l’été 2023, le nombre de fermetures la nuit par manque de personnel à atteint une ampleur inédite. Dans certains territoires, les autorités ont systématisé l’obligation d’appeler le 15 pour être pris en charge. Le SAS (service d’accès aux soins), Samu amélioré qui réoriente vers la médecine de ville les cas plus « légers », est présent aujourd’hui dans 63 départements, selon le ministère de la Santé. Lequel promet de déployer « partout » d’ici l’été ce système soulageant certaines équipes.
Marc Noizet dénonce une « spirale infernale », née d’un mode de financement « à l’activité » introduit en 2004 : il a conduit les établissements à « occuper 100% de leurs lits » par « souci de rentabilité », provoqué des fermetures de lits encore amplifiées par une stratégie de « virage ambulatoire » et des pénuries de soignants. Près de 40.000 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés entre fin 2013 et fin 2022, selon les services statistiques des ministères sociaux (Drees). Dont plus de 6.700 fermés rien qu’en 2022. Entraînant saturations des services, mettant sous pression les équipes et accentuant les tensions dans les services d’urgence, dénoncent régulièrement les soignants.
Résultat, une simple épidémie de grippe a obligé les urgences de l’hôpital de Vichy à activer le plan « hôpital en tension ». La semaine dernière, les syndicats ont alerté la direction de l’hôpital du Havre d’un « danger grave et imminent » à cause de l’engorgement du service des urgences.
« Pas une fatalité »
« C’est ce qui fait démissionner les soignants : ne plus travailler dans des conditions permettant la qualité et sécurité des soins« , souligne Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de Sudf et urgentiste dans le Val d’Oise.
« Il faut rouvrir des lits, concentrer les recrutements sur la médecine polyvalente« , poursuit Marc Noizet.
Le gouvernement doit aussi « avoir le courage politique » de mesurer et publier un nouvel indicateur : « le nombre chaque matin, dans chaque hôpital, de patients qui n’ont pas trouvé de place », pour l’intégrer parmi les critères donnant lieu à un « financement sur résultat, vertueux ».
« Cet engorgement « est une nouvelle maladie nosocomiale« , pointe l’urgentiste. « Ça doit devenir une cause nationale« .
« J’ai parfaitement conscience des difficultés » que rencontre le personnel hospitalier, a assuré le Premier ministre Gabriel Attal, lors d’un déplacement au CHU de Dijon le 13 janvier, promettant « 32 milliards d’euros supplémentaires » d’investissement dans la santé « dans les cinq ans ». S’il souhaite faire baisser les recours aux urgences grâce à davantage « de prévention et d’accueil en ville », il considère que l’enjeu désormais porte sur « les ressources humaines ». Il faut que « les postes ouverts dans nos hôpitaux soient pourvus ».
Une annonce saluée par la profession : « Un geste très fort », d’après le syndicat Samu-Urgences de France, qui alerte toutefois à nouveau : l’hôpital public a « besoin d’un choc d’attractivité », insiste Marc Noizet, président du syndicat. « L’hôpital public est en difficulté pour attirer de nouveaux médecins, de nouveaux professionnels de santé et c’est ce qui fait sa souffrance actuelle ».
Il y a déjà quatre ans la crise du Covid avait mis en évidence l’état de l’hôpital français. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Il est temps d’agir.
Avec AFP
Image d’en-tête : Arnaud Le Vu / Hans Lucas