L’agriculture fait salon, en pleine crise des éleveurs. Le modèle ancien basé sur la chimie craque de partout. Mais des solutions puissantes pour renouveler nos pratiques – tant agricoles que médicales d’ailleurs – viennent du côté de la modulation des organismes par leurs commensaux, les microbes. Un déluge de publications pleut depuis quelques mois sur ces « microbiotes ». Avec la perspective de manipuler ces microflores des plantes, de la peau, de la bouche, du vagin mais surtout des intestins. Zoom sur des expériences et marchés d’avenir …
L’homme ne peut survivre sans ses microbes. Avec près de deux kilos de bactéries dans le ventre – soit 100 000 milliards de microorganismes – chacun peut, non seulement assimiler ce qu’il mange mais recevoir des signaux qui modulent l’immunité, l’inflammation, la résilience des cellules.
Spécialiste de cette flore intestinale ou « microbiote », Joël Doré travaille depuis 30 ans à l’Institut national de la recherche agricole (INRA, Jouy-en Josas) et a joué un rôle pionnier dans la découverte du rôle protecteur pour notre santé des microorganismes que nous abritons. Pour lui, toutes nos stratégies thérapeutiques sont en train de se réorienter car « nous détenons avec le microbiote un formidable outil de prévention : un microbiote équilibré est la signature d’une bonne santé : il vous permet de résister aux stress ; la perte de sa diversité ouvre la voie aux maladies ».
La flore joue un rôle déterminant dans notre immunité : 70% des cellules immunitaires sont situées autour de l’intestin. Elle conditionne également la bonne assimilation des aliments, participe à la fabrication des vitamines B et K, facilite la digestion des protéines et du lait, et dégrade une partie du cholestérol. Quatre familles de bactéries sont dominantes et incontournables et leur disparition semble signer l’installation de maladies.
Vous perdez Faeccali bacterium et vous souffrez de douleurs inflammatoires intestinales : toutes les personnes atteintes par la maladie de Crohn ont perdu cette souche capable de fournir des molécules anti-inflammatoires. Des équipes françaises viennent de mettre en évidence la production de substances antalgiques par la souche Faeccali prausnitzii (Scientific Reports, 18 janvier 2016). Une équipe de chercheurs dirigée par Harry Sokol, du service de gastro-entérologie et nutrition à l’Hôpital Saint-Antoine-APHP, a utilisé une méthode de séquençage à haut débit pour montrer que le microbiote fongique était déséquilibré chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin avec des corrélations entre type de maladies et topographie des lésions. La part fongique (composée de champignons et de levures) du microbiote n’a été à ce stade que très peu été étudiée malgré l’existence de nombreux indices le mettant en cause dans la survenue de ce type de maladies. Ces travaux ont été publiés en ligne dans la revue Gut le 4 février 2016.
La seconde famille bactérienne vitale est Akkermansia. Elle manque souvent aux gens atteints d’obésité ou en surpoids. C’est une compagne qui protège contre le diabète de type 2. La troisième est Eubactérium qui joue un rôle similaire. Enfin, le quatrième habitant intestinal indispensable à notre bonne santé appartient au genre Blautia. Il protège de troubles fonctionnels comme les flatulences.
De façon générale, on observe que les personnes à la flore appauvrie ont plus de risque de développer des maladies métaboliques (diabète, maladies cardio-vasculaires, obésité, troubles hépatiques, anomalies sanguines …) et prennent plus facilement du poids. Ces risques concernent un quart de la population.
On peut donc aujourd’hui intervenir sur les maladies en traitant l’écosystème intestinal. C’est le cas dans le cas de diarrhées sévères à Clostridium difficile, que l’on guérit par des transplantations de contenus intestinaux issus de fratries par exemple. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) comme l’Administration américaine de régulation des aliments et des médicaments (FDA), ont observé les résultats très probants des premiers essais de ces thérapies dès 2012 et les considèrent désormais comme des traitements conventionnels.
Le risque cardio-vasculaire pourrait être aussi écarté en intervenant sur les hôtes intestinaux, selon les travaux sur la souris réalisés par l’équipe de Stanley Hazen basé à la Clinique Cleveland dans l’Ohio (publiés dans Cell le 17 décembre 2015). Le chercheur américain a montré que des bactéries commensales interviennent pour détruire le TMAO (oxyde de triméthylamine) issu de la triméthylamine, gaz formé lors de la digestion par les bactéries de la choline alimentaire (issue des viandes et œufs). Cette absorption diminue la plaque athérosclérosique qui peut boucher les artères.
Plus surprenant encore, le microbiote intestinal semble avoir un effet modérateur sur la réponse au stress. Des expériences réalisées, en 2004 par le japonais Nobuyuki Sudo, de l’Université de Kyūshū, avec des rongeurs rendus vierges de tout germes (dits axéniques) montrent que les animaux deviennent hypersensibles au stress, anxieux et dépressifs. L’explication semble liée à la concentration sanguine en corticostérone, une hormone liée au stress, qui se trouve doublée chez les animaux dépourvus de microbiote. Peut-on obtenir un effet déstressant en ensemençant l’intestin ? Deux études réalisées en 2011 et 2012 par Javier Bravo, de l’Université de Cork, et ses collègues, et par Afifa Ait-Belgnaoui, de l’Inra, le suggèrent.
Des chercheurs explorent la piste bactérienne comme facteur déclencheur de l’autisme chez l’enfant. C’est le cas du Pr Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008, qui utilise des antibiotiques pour combattre les bactéries et faire régresser la maladie. A Genève, l’équipe du pédopsychiatre Stephan Eliez s’apprête à lancer une étude testant la transplantation de microbiote chez une trentaine de très jeunes enfants autistes. En France, l’Institut Pasteur de Paris développe le programme « Microbiote et cerveau », coordonné par Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neurosciences de l’institut et directeur de recherche au CNRS. « Les neurosciences doivent devenir un cœur de réseau, en connexion avec l’immunologie, la microbiologie… L’objectif est de travailler comme les physiciens, en cherchant une loi générale applicable à différentes disciplines ».
Le chercheur étudie des récepteurs à des fragments de bactéries intestinales, mis en évidence dans certaines régions du cerveau de souris. « En activant ces récepteurs, nous avons vu apparaître de nombreux troubles, en particulier du sommeil. Ces rongeurs ne rêvaient plus et présentaient des troubles de la mémoire et de l’humeur », raconte Pierre-Marie Lledo. La piste semble d’autant plus passionnante que ces récepteurs ont leur équivalent humain : le NOD2. Or le gène codant pour ce récepteur peut être muté dans une pathologie inflammatoire digestive chronique, la maladie de Crohn, qui a été récemment associée aux troubles bipolaires.
La psychomicrobiotique passionne le jeune psychiatre Guillaume Fond, qui est chercheur à l’INSERM et praticien à l’hôpital Henri-Mondor. Selon lui, les êtres humains peuvent être répartis en trois groupes selon leur microbiote : on parle d’entéroype selon les espèces majoritaires dans l’intestin : Bacteroides, Prevotella ou Ruminococcus.
Ce partenariat vital est le fruit d’une aventure que décrit fort bien le grand spécialiste d’immunologie, Patrice Debré, professeur à Pierre-et-Marie-Curie-Paris-VI dans son livre « L‘homme microbiotique » publié fin 2015 (éditions Odile Jacob). « J’ai souhaité donner une autre vision des microbes, de ceux qui, étrangers et nôtres, nous habitent et sans lesquels nous ne pourrions vivre. Notre futur dépend de cet indispensable partenariat ». Il décrit l’extraordinaire aventure du système immunitaire, qui apprend par les micro-organismes qu’il tolère, à résister à ceux qui lui sont dangereux.
La naissance est un moment clé : le passage par les voies vaginales joue un rôle majeur pour ensemencer le nouveau-né et initier ses capacités digestives. De même, le lait maternel, qui contient des débris de bactéries, informe le bébé sur les bactéries tolérables. C’est un apprentissage des cohabitations positives.
Marie-Gloria Dominguez-Bello, spécialiste du microbiome à New York University a révélé les conséquences immunitaires des césariennes (1/2 des naissances en Chine et au Brésil, 30% aux Etats-Unis) qui empêchent l’inoculation du bébé. Des études indiquent que les enfants nés par césarienne sont plus vulnérables aux allergies, aux infections que les enfants nés par voie basse. Ces constats amènent la chercheuse à s’inquiéter de la généralisation des pratiques occidentales en terme de naissance ou d’alimentation. « Nous n’avons pas beaucoup de temps pour conserver et restaurer la diversité des microbes ancestraux qui nous protègent, d’autant que le recours massif aux antibiotiques est désastreux » confie-t-elle. Elle a publié des résultats probants montrant que l’on peut enrichir la flore intestinale d’un nouveau né en lui faisant sucer une gaze imbibée par le mucus vaginal de la mère. Ces pistes vont être entreprises en France par le Pr. Jacky Nisard à la Pitié Salpétrière en coopération avec Joël Doré.
On l’imagine aisément, le microbiote intestinal est nécessaire à la croissance post-natale et va jouer sur la taille des individus adultes, notamment en cas de sous-alimentation. L’élément clé de cette relation est le facteur de croissance Insulin-like Growth Factor-1 (IGF-1) dont la production et l’activité sont en partie contrôlées par le microbiote. Ce résultat a été obtenu par des chercheurs de Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Claude Bernard – Inserm/Inra//Insa Lyon) et publié le 19 février 2016 dans Science, en collaboration avec des chercheurs de l’Académie des sciences de la République tchèque. En conséquence, certaines souches de bactéries intestinales, appartenant à l’espèce Lactobacillus plantarum, pourraient s’avérer une piste utile pour lutter contre les effets délétères de la sous-nutrition chronique infantile.
Nous avançons donc vers une médecine préventive basée sur l’évaluation de la qualité des microbiomes et leur manipulation. Les moyens se mettent en place : Aux Etats Unis le NIH a lancé le Human Microbiome, tandis qu’en Europe le programme MetaHIT, coordonné par Stanislav Dusko Ehrlich (INRA Jouy-en-Josas) a permis de créer une plateforme de travail rassemblant cliniciens, génomistes, microbiologistes, informaticiens et bio-analystes. Avec pour résultats : le décryptage du métagénome intestinal (notre « deuxième génome »), la découverte des entérotypes (une classification des types de microbiotes) et la mise au jour des risques accrus pour une large part de la population de développer des maladies chroniques.
Un gros investissement a aussi été fait dans le projet MetaGenoPolis, piloté par Joël Doré en collaboration avec l’Institut hospitalo-Universitaire de cardiométabolisme et nutrition (ICAN). Financé à hauteur de 19 millions d’euros, il va mettre à disposition une biobanque nationale de plus d’un million d’échantillons intestinaux humains, des plateformes de métagénomique pour caractériser les molécules et mécanismes du dialogue entre bactéries intestinales et cellules humaines et pour définir le microbiote intestinal « normal » et pour proposer un suivi dans le temps de l’effet d’interventions (médicaments ou aliments). Un volet éthique est sociétal (lié notamment aux diagnostics et pronostics) est assuré par l’Université catholique de Lyon. « Car le microbiote est devenu prédictif de sévérité des cancers, souligne Joël Doré. Quand la maladie s’aggrave, il semble que des boucles de rétroaction négatives s’installent réduisant drastiquement la diversité du microbiote ».
Côté business, une dizaine de sociétés se sont constituées sur le créneau du microbiote depuis trois ans. Aux Etats-Unis, OpenBIOME achète les contenus intestinaux de donneurs volontaires, fait des contrôle de sécurité, les stocke pour les fournir aux hôpitaux. En France, MaatPharma intervient pour la transplantation autologue (le donneur est le patient lui-même) lors de chimiothérapie. Mais la valeur ajoutée de produits aussi bon marché ne pourra se faire qu’après création de cocktails thérapeutiques ciblés faits de mélanges bactériens ou des molécules produites par les précieux microbes…
Le versant analytique sera primordial afin de fournir des outils (puces à ADN…) capables de caractériser les souches présentes dans les fèces. La société Enterome, créée en 2012 par Stanislav Dusko Ehrlich et Pierre Bélichar, a levé 19 millions d’euros pour progresser sur ce marché. Son ambition est de dresser une empreinte génétique qualitative et quantitative du microbiote d’un individu, à partir de 1g de fèces, par le séquençage à très haut débit des gènes des bactéries intestinales.
Bien sûr, quantité d’entreprises interviennent sur ce secteur depuis longtemps pour fournir des probiotiques (bactéries, virus ou levures…) qui peuvent « nourrir » la flore intestinale et l’aider à fonctionner correctement. Dans l’élevage, ces probiotiques sont utilisés massivement avec des effets majeurs sur la santé des animaux et leur croissance.
Des initiatives sont prises pour maintenir ces atouts du vivant dans le domaine public. Ainsi à San Francisco, Alexandra Carmichael, directrice des produits, de la communauté et de la croissance de U-Biome qui vise à donner à chacun les moyens d’entretenir et de vérifier son microbiote. Elle a récolté 360 000 euros par crowd-sourcing afin de soutenir son projet de science citoyenne et participative. Une sorte de FabLab pour que les données restent la propriété de tous.
Reste une question qui fâche. Quelles sont les mesures en vue qui vont permettre d’éviter les dégâts produits par les médicaments, notamment les antibiotiques ? Selon Joël Doré, l’industrie pharmaceutique n’a aucune obligation de renseigner les prescripteurs et les consommateurs sur les effets des molécules actives sur le microbiote. Pourtant, on comprend que l’enjeu de santé publique est colossal. Protéger les populations de « massues thérapeutiques » qui les fragiliseraient définitivement, comme le répète à l’envi la spécialiste américaine Marie-Gloria Dominguez-Bello. On peut envisager ce défi comme une lutte pour la conservation de la biodiversité ancestrale microbiotique… Au final, il semblerait utile d’exiger de tout médicament du futur de préserver ces « gardiens sanitaires » que sont nos acolytes microbiens.
« Microbiote : ces bactéries qui nous gouvernent », un film de Mario Fossati et Ventura Samarra :
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