À quand des patients virtuels pour tester de nouveaux médicaments ? Aux Etats-Unis comme en Europe, les lignes réglementaires commencent à bouger pour intégrer la simulation par ordinateur (« in silico ») dans des essais cliniques, mais ce bouleversement s’annonce délicat à introduire.
La simulation numérique est couramment employée dans certains secteurs comme l’aéronautique, le nucléaire ou l’automobile. Cependant la recherche et le développement de nouveaux médicaments repose toujours essentiellement sur des expériences menées en laboratoire (« in vitro »), puis sur des êtres vivants (« in vivo »).
Ces études cliniques sont longues et coûteuses, avec un taux d’échec très important : moins de 10% des candidats-médicaments testés arrivent sur le marché. Un risque souvent invoqué par l’industrie pharmaceutique pour négocier des prix très élevés. Quant aux patients volontaires de ces essais, ils sont parfois exposés à des risques d’effets secondaires indésirables très graves, comme l’a rappelé l’accident mortel de Rennes en janvier 2016.
L’industrie pharmaceutique a déjà recours à des technologies in silico pour la recherche en amont, afin d’accélérer la découverte de molécules thérapeutiques prometteuses. Cependant ces technologies seraient capables d’aller plus loin, notamment de caractériser et prédire la toxicité d’un candidat-médicament, voire son efficacité, avant même son expérimentation in vivo. « Avec la simulation, vous pouvez commencer à aborder la complexité physiologique, comprendre comment le produit et sa cible se comportent dans l’organisme du patient« , déclare à l’AFP Adriano Henney, secrétaire général de l’Avicenna Alliance, une association de plus de 500 experts, missionnée par la Commission européenne sur ces enjeux. « Si on peut détecter plus tôt une molécule qui pose problème ou qui va marcher, c’est évident que ça peut réduire le coût total de la recherche-développement d’un groupe pharmaceutique, et donc potentiellement le prix de ses médicaments« , avance Serge Albou, fondateur et président de Bionext, société strasbourgeoise qui vient de lancer sa plate-forme en ligne de bio-simulation.
Cependant, tous les acteurs du secteur s’accordent à dire qu’aucune technologie prédictive ne pourra remplacer des tests sur un organisme entier. Ils plaident plutôt pour une combinaison des méthodes in silico, in vitro et in vivo, capable de minimiser les besoins de tests sur des animaux et sur les humains.
Cela pourrait s’avérer particulièrement utile pour des essais dans lesquels il est difficile de recruter des patients, « par exemple dans les maladies rares ou pédiatriques », selon M. Henney.
Aux Etats-Unis, l’opportunité de mener des essais cliniques in silico est déjà étudiée de près par l’agence américaine du médicament FDA, à la demande du Sénat. En Europe, un dossier d’évaluation d’un produit soumis à l’agence européenne du médicament (EMA) est désormais autorisé à inclure en annexe des simulations in silico. « Une avancée majeure », se félicite M. Henney.
Mais pour être validés, ces modèles devront éviter un effet « boîte noire » : il faudra offrir « une traçabilité complète » des données entrantes et des résultats obtenus à la sortie, afin de permettre à des non-experts de comprendre et auditer l’ensemble du processus, souligne François-Henri Boissel, cofondateur et PDG de la société lyonnaise de biosimulation médicale Novadiscovery.
Ces modèles peuvent déjà se baser sur des informations puisées dans la littérature scientifique, des expérimentations passées et des données en vie réelle. Mais s’agissant de données de patients, « il y aura des enjeux clés de confidentialité et de consentement, pas seulement pour les collecter, mais aussi pour pouvoir y accéder en continu et les réutiliser« , anticipe M. Henney. Plus largement, « un changement de paradigme sera nécessaire » de la part des agences réglementaires et des systèmes de remboursement de médicaments, estime Mohammad Afshar, PDG d’Ariana Pharma, autre société française de biosimulation.
Car pour l’heure, les systèmes de santé privilégient des médicaments fonctionnant pour un maximum de patients, alors que les technologies in silico ouvrent la voie à la médecine dite « personnalisée », consistant à optimiser un traitement pour des catégories de patients de plus en plus ciblées. « Il faut encore continuer à batailler pour montrer le bénéfice économique » d’une telle approche, relève M. Afshar.
Source AFP
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