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Confinement : la recherche du moindre mal ou du moindre bien ?

TRIBUNE LIBRE

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Alors que la souche historique du virus semble ralentir sa progression, celle des variants ne cesse de croître. L’hésitation va de pair avec l’incertitude et nul ne sait s’il faut mettre en place un reconfinement, total, partiel, sélectif ou si, au contraire il faut, comme le souhaite le président de la République, adopter une stratégie de « résilience », ce qui concrètement, ne veut pas dire grand-chose. Le professeur d’éthique médicale, Emmanuel Hirsch, partage avec les lecteurs de UP’ sa réflexion sur l’incapacité de nos instances dirigeantes à adopter des positions crédibles, justes, cohérentes.

L’esprit d’enfermement nous mène aux moins justes décisions

Une analyse liminaire et contextuelle tout d’abord pour comprendre que la discrimination des plus vulnérables s’imposera, faute d’avoir voulu envisager à travers la concertation l’ouverture éthique indispensable au processus décisionnel.

Désormais le gouvernement est tenu d’adopter des décisions arbitraires, faute d’avoir su prendre en compte l’importance de procédures d’arbitrage concertées. Cette intelligence démocratique dans la gouvernance de la crise sanitaire lui aurait évité le soupçon et la contestation des choix qu’il est contraint d’imposer aujourd’hui. Depuis les décisions fondées sur une évaluation discutable, imparfaitement justifiable de ce qui est essentiel et de ce qui ne l’est pas, des risques acceptables sous certaines conditions au regard d’une exigence de précaution réfractaire à tout forme de discussion et d’adaptation, les choix provoquent l’hostilité dès lors que leur pertinence est réfutable.

Il n’est pas tenable d’une part d’en appeler à la responsabilisation de tous, et d’autre part de considérer que la seule responsabilité concédée à la société est celle d’accepter l’autorité de directives à appliquer dans toute leur rigueur.
La méthode d’organisation du deuxième confinement a d’emblée abouti en quelques jours à un échec : celui de la crédibilité et de la justice des choix. L’inattention des décideurs publics aux conséquences de leurs décisions hâtives, précaires, reconsidérées et ajustées à l’épreuve d’un réel, accentue les incohérences et plus encore l’absence d’une stratégie explicite.

Les engagements à accompagner socialement et économiquement les fragilités et les drames qui déstructurent jour après jour la cohésion sociale, ne suffisent plus à dissimuler un sentiment d’accablement et de défiance. Car il est évident que, quel que soit le caractère imprévisible, complexe et peu maîtrisable de la dynamique pandémique, les directives gouvernementales dénotent l’incompréhension d’une réalité irréductible aux enjeux du PIB ou des résolutions incantatoires. Si les décisions sont redoutables dans leurs effets, encore est-il impératif qu’elles procèdent d’une exploration rigoureuse des alternatives possibles.

Privilégier, du fait de l’urgence avec ses limitations, le moindre mal n’exonère pas du devoir de tenter de privilégier le moindre bien. Dès l’annonce du deuxième confinement le 28 octobre 2020, nombre d’acteurs de la vie publique ont exprimé à la fois leur stupéfaction en découvrant les mesures arrêtées par le gouvernement sans concertation, et leur volonté d’engagement à lutter au mieux pour atténuer la menace sanitaire dans le cadre de leurs activités de proximité indispensables au bien de tous.

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Il n’est plus l’heure de déplorer la carence de critères sérieux, fiables et robustes mobilisés pour hiérarchiser de nos priorités humaines et sociales. L’inconsistance d’une réflexion responsable aboutit à une disqualification de ce qu’est le précieux de la vie démocratique. Le diktat de la fermeture impose sa logique et ses protocoles, là où il convenait d’être inventifs d’une ouverture préservée et repensée, en tenant compte d’impératifs que chacun comprend.

L’esprit d’enfermement, cet isolement dans la pensée et dans le processus décisionnel ne trouvent aucune justification, y compris en situation de crises sanitaire et sécuritaire. L’esprit d’enfermement, cet isolement dans la pensée et dans le processus décisionnel ne trouvent aucune justification, y compris en situation de crises sanitaire et sécuritaire. Il est tristement évident que le refus d’une gouvernance inadaptée, intervenant à contretemps dans des adaptations improvisées au gré de circonstances incomprises, constitue une erreur politique.

Notre crainte est que l’absence de toute capacité de jugement critique de la part des instances dirigeantes, légalement libres de tout dans la gestion de la pandémie, ne nous confronte très vite à une crise sociale que nombre de commentateurs craignent inévitables.

Certains choix sélectifs, discriminatoires, sont attentatoires à ce que représente notre démocratie

Les décideurs invoquent le phénomène épidémique, identique dans nombre de pays européens, pour justifier de leurs choix et de l’importance de maintenir la ligne de gouvernance actuelle. Ils tiennent un discours moralisateur à l’encontre de toute mise en cause d’une démarche dont aucun indice ne permet de croire en l’efficacité. Ils usent du registre de la culpabilisation ou des menaces pour endiguer toute velléité de contestation. Cette posture révèle une fragilité tant du point de vue de l’analyse de la situation que de l’urgence et de la demande sociétale.

Là où un projet explicite, fort et mobilisateur permettrait de nous rassembler et d’agir ensemble, la ligne politique est ramenée à une succession d’annonces et d’injonctions souvent contradictoires qui ne parviennent plus à convaincre, qui n’impriment pas.Là où un projet explicite, fort et mobilisateur permettrait de nous rassembler et d’agir ensemble, la ligne politique est ramenée à une succession d’annonces et d’injonctions souvent contradictoires qui ne parviennent plus à convaincre, qui n’impriment pas.

Je ne sais s’il est encore temps de réformer cette logique gouvernementale, de même que j’en arrive à me demander s’il est sage de s’acharner à tenter par l’écrit ou par des prises de positions publiques à tenter d’inciter à une ouverture éthique afin de nous détourner d’une voie sans issue. Obstination déraisonnable ou pas, il me semble important de nous attacher à éclairer le cheminement d’une décision qui aboutirait demain à discriminer entre les personnes soumises au confinement et celles qui, pour des raisons notamment de continuité de la vie publique, ne le seraient plus.

En avril dernier, je m’étais exprimé dans le 20 heures de France 2 contre la proposition du président de la République en faveur du maintien du confinement des personnes plus vulnérables au Covid-19 du fait de leur âge. J’avais fait valoir qu’une personne ne se définit pas selon des critères d’âge et que la personne malade n’est pas réductible à sa maladie. Une histoire humaine façonne une identité et contribue à s’inscrire dans une dynamique d’existence qui porte des valeurs, et contribue à préciser nos repères à travers des attachements et des préférences.
Il convenait donc de reconnaître la personne en ce qu’elle est, sans lui appliquer des représentations souvent péjoratives comme on l’a fait du reste avec les « jeunes », considérés incapables d’intégrer les mesures de prévention.
Plutôt que d’isoler davantage encore celles et ceux qui sont souvent socialement marginalisés, il me semblait essentiel que nos solidarités et donc nos responsabilités à leur égard constituent une bulle protectrice plus efficace que la poursuite de leur enfermement.

J’avais notamment pour référence ce texte relatif à la bioéthique : « Aucun individu ou groupe ne devrait être soumis, en violation de la dignité humaine, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à une discrimination ou à une stigmatisation pour quelque motif que ce soit [1] ».
Les personnes vulnérables dans le contexte de la pandémie sont aussi celles qui présentent des facteurs de comorbidité ou de sur-vulnérabilité du fait de leurs conditions économiques d’existence (ou de survie).

On le sait, cette pandémie est révélatrice de ce que sont nos sociétés, de nos mécanismes d’exclusion, de nos injustices et de nos indifférences. De telle sorte que je pensais indispensable d’opter pour une stratégie inclusive plutôt que pour la mise à distance, l’exclusion et la discrimination de ceux qui éprouvent le plus grand besoin de la société du fait de leur vulnérabilité. Il ne me semblait donc pas incompatible, entre l’exigence de respect de la personne dans sa dignité et ses droits et le souci de sa juste protection, d’envisager un dispositif respectueux, bienveillant et adapté.

Nous pourrions développer une critique de l’impuissance à agir de manière satisfaisante dans un contexte qui permettait pourtant d’arbitrer la décision selon des critères justes parce que concertés.Faute de vouloir le construire dans le cadre d’une concertation, le gouvernement a alors préféré sursoir à la décision de confinement des personnes vulnérables, convaincu je pense que les circonstances l’imposeraient par la suite, dès lors qu’il n’y aurait pas d’autre choix.
Nous pourrions développer une critique de l’impuissance à agir de manière satisfaisante dans un contexte qui permettait pourtant d’arbitrer la décision selon des critères justes parce que concertés. Quelle valeur accorder à cette forme se stratégie du pire qui consisterait à préférer attendre le moment opportun, où du fait de l’incapacité à ne plus pouvoir faire autrement, les circonstances imposent leurs règles ? Notre liberté décisionnelle serait de la sorte entravée par un impératif, une urgence, invoqués pour tout autoriser, tout accepter, tout imposer. Y compris au risque de déconsidérer nos principes, de les fragiliser au moment où nous en éprouvons le plus grand besoin.  Est-ce ainsi que s’affirme le sens de la responsabilité politique ?

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D’autres exemples pourraient illustrer cette inconséquence qui aboutit à donner le sentiment que le poids et les conséquences de décisions adoptées in extremis ne sauraient être imputés aux décideurs publics, dès lors qu’ils ne disposeraient d’aucune autre marge de manœuvre. Il en est ainsi dans la priorisation discriminatoire entre des malades en situation d’urgence vitale parce que contaminés par le Covid-19, au détriment d’autres malades exposés aux risques d’une surmortalité du fait de la déprogrammation de leur traitement, en fait d’un renoncement, d’un abandon contraire aux valeurs de l’éthique médicale et de la loi : « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. »[2]

Il nous faut être vigilants lorsque l’imposture dans l’usage des mots et dans la justification de mesures discriminatoires menace l’intégrité des valeurs démocratiques dont nous sommes garants. Nous voilà en situation de considérer que certains choix sélectifs, discriminatoires, sont attentatoires à ce que nous sommes, à ce que représente notre démocratie. Si la dureté d’un temps d’épidémie, les contraintes, renoncements et adaptations nécessaires parce que justifiés nous imposent des compromis proportionnés et provisoires en toute transparence, il est toutefois des décisions inacceptables.

Si effectivement nous devons être soucieux des personnes vulnérables, du fait des risques pandémiques, c’est à nous de décider en société des mesures adaptées à mettre en œuvre et d’assumer des devoirs de solidarité à leur égard qui engagent davantage que l’application systématique de dispositifs indifférenciés de santé publique.

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay. Coordonnateur de l’ouvrage collectif « Pandémie 2020 – Éthique, société, politique » – Éditions du Cerf, 6 novembre 2020

[1] Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, UNESCO, 19 octobre 2005, article 11.
[2] Code de la santé publique, art. L. 1110-3.

Image d’en-tête : Illustration de Diana Aziz

Cette tribune a été publiée une première fois par UP’ Magazine le 6 novembre 2020

1 Commentaire
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allotoxconsulting***
3 années

Il en ressort que Mr Hirsch est bien marri de ne pas être LE conseilleur du Prince et des institutions. Il n’y a pas LA bonne solution, même si nous avons la chance d’avoir des esprits très éclairés… Chaque pays expérimente selon ses sensibilités, et chaque citoyen s’adapte selon ses convictions. Ce qui explique les flambées de prises de risques observées dans la population. Tout le monde est désorienté par cette pandémie, et les décisions prises par tous les politiciens sont empiriques, avec pour soucis principal de ne pas engorger les urgences et les hôpitaux, et de limiter le nombre… Lire la suite »

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