Pour la première fois depuis l’interdiction de la chasse à la baleine, de grands groupes de rorquals communs australs ont été observés dans l’Antarctique : 150 baleines se nourrissent ensemble. Une bonne nouvelle quand on sait qu’elles sont menacées d’extinction par la pollution des océans, mais aussi par les bateaux qui représenteraient plus de 20% des causes de décès chez ce cétacé, les faisant s’échouer sur les plages. L’espèce a été classée espèce en danger par l’UICN (1) depuis décembre 2021.
Après les baleines bleues, les rorquals communs sont les plus grandes baleines du monde (2) et le deuxième plus grand animal vivant sur la planète.
Les êtres humains ont chassé ces deux espèces jusqu’à leur quasi-extinction pour l’acide gras de l’huile de rorqual servant à la fabrication de savon et de margarine. Par cuisson, on obtenait également de la glycérine comme sous-produit, l’ingrédient de base pour la fabrication de la dynamite ; puis abondamment utilisée au début du XXe siècle pour la construction du réseau routier.
Après l’interdiction de la chasse commerciale à la baleine en 1976 (sauf en Islande qui cessera de chasser la baleine en 2024), les stocks de ces créatures à la vie longue mais à la croissance lente sont en train de se reconstituer : dans la revue Scientific Reports, des chercheurs et des cinéastes présentent conjointement des vidéos et des photos de grands groupes comptant jusqu’à 150 rorquals communs du Sud dans leurs zones d’alimentation historiques – plus que ce qui a été documenté auparavant à l’aide de méthodes modernes.
Les rorquals se nourrissent par filtration ; ils séparent les petits crustacés et les poissons de l’eau engloutie en utilisant des lames de kératine – la protéine qui constitue les cheveux, les ongles et les écailles de la carapace des tortues – qui pendent de leur mâchoire supérieure. Les baleines engouffrent en quelques secondes une dizaine de kilos de proies, contenus dans environ 70 000 litres d’eau. Elles ingèrent plus d’une tonne de krill en plusieurs heures de chasse ininterrompue. Paul Brodie, de l’Institut d’océanographie de Bedford, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse (Canada), l’a décrit comme « la plus puissante action biomécanique du règne animal ».
Étant donné le rôle clé de ces baleines dans le recyclage des nutriments, d’autres espèces de l’écosystème de l’Antarctique, comme le krill, pourraient également bénéficier du rebond de leur nombre.
« Je n’avais jamais vu autant de baleines au même endroit et j’étais absolument fascinée de voir ces groupes massifs se nourrir », s’enthousiasme le Pr Bettina Meyer, biologiste à l’Institut Alfred Wegener (3), Centre Helmholtz de recherche polaire et marine (AWI) et à l’Université d’Oldenburg ainsi qu’à l’Institut Helmholtz pour la biodiversité marine fonctionnelle, qui est coauteur de l’étude actuelle dans Scientific Reports.
De mars à mai 2018, elle a dirigé une expédition avec le brise-glace de recherche Polarstern dans la région de la péninsule antarctique, au cours de laquelle des groupes comptant jusqu’à 50, voire 70 rorquals communs (Balaenoptera physalus quoyi) ont été observés.
L’expédition a notamment étudié les effets du changement climatique sur le krill de l’Antarctique, qui constitue la base du réseau alimentaire de l’Antarctique et peut atteindre six centimètres de long. Ces minuscules crustacés bioluminescents constituent une source de nourriture de choix pour les poissons, les manchots, les phoques et les baleines.
Au cours de l’expédition, une équipe dirigée par le premier auteur de l’étude, le Dr Helena Herr, de l’université de Hambourg, et une équipe de tournage de la BBC ont utilisé conjointement l’hélicoptère embarqué du Polarstern pour effectuer des vols d’étude, compter et filmer les stocks de baleines.
Au cours de 22 vols, l’équipe a parcouru un total de 3251 kilomètres et a compté 100 groupes de rorquals communs, composés d’une à quatre baleines chacun. En outre, l’équipe de recherche sur les baleines a surveillé le pont et a repéré un groupe d’environ 50 rorquals communs du sud près de l’île Elephant, dans la mer de Weddell (4), au large de la péninsule Antarctique, puis plus de 70 au même endroit. « J’ai couru directement vers notre moniteur, qui utilise des méthodes de mesure acoustique pour indiquer la présence et la taille des essaims de krill dans l’eau », se souvient Bettina Meyer. « Et sur la base de ces données, nous avons pu identifier les essaims et même voir comment les baleines les chassaient. »
Mais les baleines ne se contentent pas de manger le krill, elles en profitent également : les excréments des baleines fertilisent l’océan, car les nutriments qu’ils contiennent – comme le fer, comparativement peu abondant en Antarctique – sont essentiels à la croissance du phytoplancton (microalgues) dans l’eau. À son tour, le phytoplancton est une source de nourriture pour le krill. « Lorsque la population de baleines augmente, les animaux recyclent davantage de nutriments, ce qui accroît la productivité de l’océan Austral. Cela stimule la croissance des algues, qui, de leur côté, absorbent le dioxyde de carbone de l’atmosphère par photosynthèse, réduisant ainsi la concentration de CO2 dans l’atmosphère », explique Bettina Meyer.
La reconstitution des stocks de rorquals communs semble être une tendance : un an après l’expédition Polarstern, l’équipe de recherche sur les baleines et la BBC sont retournées sur l’île Elephant avec un navire affrété et ont observé jusqu’à 150 animaux. « Même si nous ne connaissons toujours pas le nombre total de rorquals communs en Antarctique, en raison du manque d’observations simultanées, cela pourrait être un bon signe que, près de 50 ans après l’interdiction de la chasse commerciale à la baleine, la population de rorquals communs en Antarctique est en train de rebondir », déclare Bettina Meyer.
Le rôle essentiel de Sea Shepherd
L’océan est un écosystème à l’équilibre complexe et fragile, c’est le premier producteur d’oxygène, avant les forêts et il constitue la première machine de régulation du climat. Quel que soit l’endroit de la planète où nous nous trouvons, notre survie à tous est directement liée au bon fonctionnement de l’écosystème marin. Or c’est la vie marine, dans son ensemble et dans son interdépendance, qui permet à cette mécanique vitale de fonctionner. Les animaux marins sont la cheville ouvrière du premier poumon mondial.
Pour survivre et prospérer, ces animaux ont besoin de sanctuaires où s’alimenter, s’accoupler et élever leurs petits à l’abri de la pollution, de la surpêche, et d’un trafic maritime intense : Sea Shepherd se bat sur de multiples fronts pour protéger l’océan de la destruction engendrée par la prospection et le forage, la pêche illégale et la pêche industrielle, la destruction des récifs coralliens et la pollution des fleuves et des rivières tous connectés à l’océan. L’association, dès ses premières années, s’est appuyée sur le mandat de la Charte Mondiale de la Nature des Nations Unies pour faire respecter les lois internationales en matière de conservation lorsque les gouvernements ne le peuvent pas… ou ne veulent pas le faire. Aujourd’hui, Sea Shepherd travaille en collaboration avec plusieurs Marines nationales et avec des organismes chargés de faire respecter la loi tels qu’INTERPOL, afin d’aider à traduire les braconniers en justice et mettre fin à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée dans les eaux territoriales des pays concernés.
Pour Lamya ESSEMLALI, Présidente de Sea Shepherd France, » Si nous ne parvenons pas à sauver des espèces aussi charismatiques que les baleines, nous ne sauverons rien d’autre dans l’océan. Or si l’océan meurt, nous mourrons. Un monde sans baleines ne serait pas seulement un monde désenchanté, ça serait un monde sans nous. »
Sea Shepherd a été fondée en 1977 par le capitaine Paul Watson à Vancouver, au Canada, avec pour mission de protéger et de conserver toute la faune marine. Incorporé dans l’Oregon en 1981 sous le nom de Sea Shepherd Conservation Society, le mouvement compte aujourd’hui des entités indépendantes dans plus de 20 pays qui travaillent ensemble sur des campagnes d’action directe à travers le monde. Sea Shepherd France est une association loi 1901 dont l’objet est de soutenir financièrement, logistiquement et humainement les campagnes internationales mais aussi, et de plus en plus, de travailler sur des enjeux locaux. Un défi particulièrement important au regard de l’énorme territoire maritime français, le deuxième plus vaste au monde avec près de 11 millions de kilomètres carrés.
Voir le film documentaire (En anglais – A télécharger)
Source : Institut Alfred Wegener Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI)
(1) UICN : Union internationale pour la conservation de la nature
(2) Un rorqual commun peut atteindre 20 mètres, voire 27 mètres en Antarctique et 24 mètres en Arctique, pour un poids de 40 à 5à tonnes.
(3) L’Institut Alfred Wegener, Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI) mène des recherches dans l’Arctique, l’Antarctique et les océans des hautes et moyennes latitudes. Il coordonne la recherche polaire en Allemagne et fournit des infrastructures majeures à la communauté scientifique internationale, telles que le brise-glace de recherche Polarstern et des stations dans l’Arctique et l’Antarctique. L’Institut Alfred Wegener est l’un des 18 centres de recherche de l’Association Helmholtz, la plus grande organisation scientifique d’Allemagne.
(4) Fond de la mer de Weddell : La Commission internationale pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) vise à établir un réseau de zones marines protégées (ZMP) dans l’océan Austral. L’Union européenne (UE) a soumis pour la première fois une demande de création d’une AMP dans la mer de Weddell, le secteur atlantique de l’océan Austral, dans le cadre de la CCAMLR en 2016. Les données scientifiques de cette proposition ont été compilées et évaluées par des experts de l’Institut Alfred Wegener. La demande d’application de la ZMP de la mer de Weddell en tant que refuge pour les espèces frileuses est soutenue par de nombreux États, mais n’a pas encore été approuvée par la CCAMLR.