Six ans après l’adoption du règlement de l’Union européenne sur la pêche profonde qui mettait fin au chalutage de fond au-delà de 800 mètres de profondeur, l’UE vient enfin d’adopter l’ « acte d’exécution » interdisant désormais la pêche de fond sur les coraux d’eau froide et d’autres écosystèmes marins vulnérables (EMV) d’eau profonde présentant une grande diversité biologique et situés en dessous de 400 mètres de profondeur. La société civile se réjouit de l’adoption de ces mesures de protection tant attendues pour les EMV, même si elles sont déjà remises en question.
À la fin du mois de juin, après un retard de quatre ans, les États membres de l’Union européenne ont enfin franchi les dernières étapes permettant d’appliquer les dispositions du règlement sur la pêche profonde adopté par l’UE en 2016, l’objectif étant de protéger les écosystèmes d’eau profonde extrêmement sensibles aux pratiques destructrices de la pêche de fond dans les eaux européennes de l’Atlantique nord-est. En effet, très vulnérables au changement, les espèces des grands fonds et les milieux qui les abritent sont menacés par le chalutage des fonds. Même si les récifs coralliens ne couvrent que 0,1 % de la surface du fond océanique, on y rencontre 25 % des espèces marines connues, dont certaines nourrissent des millions de gens. Ils représentent aussi des protections côtières naturelles capables d’abattre jusqu’à 97 % de l’énergie des vagues et 84 % de leur hauteur. Et puis, les coraux sont aussi à l’origine d’une activité touristique. Si nous devions les perdre, nous compromettrions les vies de quelque 500 millions de personnes et un volume d’activité annuel de plus de 30 milliards d’euros de ressources naturelles et de services.
L’acte d’exécution adopté impose donc l’interdiction de la pêche de fond dans les zones où des coraux, des éponges et d’autres espèces formant des habitats d’eaux profondes se trouvent ou sont susceptibles de se trouver ; pour ce faire, il s’appuie sur l’avis scientifique rendu par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM).
L’acte d’exécution doit officiellement entrer en vigueur en septembre, à l’échéance d’une « période de notification » au Royaume-Uni de deux mois. Depuis l’adoption en juin de l’acte d’exécution, cependant, le secteur du chalutage de fond espagnol demande avec virulence le report de son entrée en vigueur, voire l’invalidation du vote qui a vu une majorité d’États membres de l’UE (14) se prononcer en faveur de l’acte.
Matthew Gianni, cofondateur et conseiller politique de la Deep Sea Conservation Coalition (DSCC) (1), explique : « Il est plus que temps de protéger les écosystèmes marins vulnérables (EMV) des eaux profondes alors qu’ils subissent une destruction probablement irréversible. Cela aurait dû être fait dès janvier 2018, comme l’exige le règlement de l’UE. La DSCC et ses membres attendent avec impatience l’entrée en vigueur officielle de la loi, et ce sans plus aucun délai. En dépit des critiques de certains secteurs de la pêche, la Commission doit maintenir avec fermeté sa décision d’appliquer les fermetures de zones et ne doit pas hésiter à protéger les hauts lieux de biodiversité qui se trouvent dans les eaux profondes de l’UE. »
Les écosystèmes marins vulnérables des eaux profondes abritent bien souvent des espèces à croissance lente et à longue durée de vie, ce qui les rend extrêmement vulnérables aux impacts du chalutage de fond. De plus, leur reconstitution peut être très lente et prendre, dans certains cas, des dizaines ou des centaines d’années. Le chalutage de fond dans ces zones peut entraîner l’extinction d’espèces et la perte définitive d’habitats présentant une grande diversité biologique.
Cecilia del Castillo Moro, chargée de mission chez Ecologistas en Acción, déclare : « Il est désormais crucial que les États membres de l’UE agissent en vue de stopper et d’inverser la perte de biodiversité dans les eaux profondes, conformément à ce qu’Ursula von der Leyen et les chefs de tous les États membres de l’UE, dont l’Espagne, se sont engagés à faire lorsqu’ils ont signé l’Engagement des dirigeants pour la nature, où une soixantaine de leaders mondiaux s’est engagée à inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 en faveur du développement durable ; ils doivent mettre en œuvre les fermetures de zones sans plus attendre pour protéger et reconstituer ces zones de grande valeur en matière de biodiversité. Notre patrimoine naturel ne peut pas dépendre des intérêts socioéconomiques à court terme d’une fraction du secteur halieutique. Nos représentants ont la responsabilité de conserver la biodiversité la plus précieuse de nos fonds marins. »
Après l’entrée en vigueur de l’acte d’exécution, la Commission devra réexaminer annuellement la liste des zones fermées. Le cas échéant, elle devra la modifier sur la base du principe de précaution et en fonction des meilleures informations scientifiques disponibles. Étant donné le processus en cours, la société civile demande instamment à la Commission de veiller à ce que le CIEM, l’organisme consultatif scientifique auprès de l’UE sur cette question, puisse continuer à fournir des conseils scientifiquement solides pour l’identification des zones où les EMV se trouvent ou sont susceptibles de se trouver.
Pour Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG Bloom : « Ces quatre années de retard dans la mise en œuvre du règlement sur la pêche profonde ont permis aux navires les plus destructeurs de continuer à détruire les écosystèmes les plus fragiles de l’océan. Ces habitats uniques qui abritent des animaux à longue durée de vie, tels que des coraux millénaires, auraient dû être strictement protégés dès 2018 comme l’exigeait la législation. Mais les États membres de l’UE ont fait traîner les choses pour éviter les fermetures. C’est inacceptable. La pêche en eau profonde est fortement subventionnée et détruit les finances publiques, la biodiversité et le climat, puisqu’elle libère le carbone naturellement stocké dans les sédiments marins profonds. Nous disons maintenant aux États membres de l’UE : mettez-vous au travail et protégez la biodiversité des eaux profondes contre les dégâts causés par le chalutage de fond. »
(1) La DSCC est composée de plus de 100 organisations non gouvernementales, organisations de pêcheurs, instituts politiques et juridiques, qui œuvrent ensemble à la protection des eaux profondes. Ils cherchent à réduire considérablement les menaces les plus importantes qui pèsent sur la faune et la flore des eaux profondes et à préserver la santé, l’intégrité et la résilience à long terme des écosystèmes d’eau profonde. Leur principal objectif est de garantir la durabilité de la pêche profonde et de répondre à l’éventuelle menace de l’exploitation minière dans les eaux profondes.
Image d’en-tête : Des éponges de verre « Farreid » sont visibles au premier plan de cette communauté d’éponges trouvée à environ 2 360 mètres de profondeur. Des coraux iridogorgia et bambou sont visibles à l’arrière-plan (Image : NOAA Office of Ocean Exploration and Research).