Une étude coordonnée par l’Inra et associant l’ACTA, le CNRS et l’ITSAP-Institut de l’abeille montre que le degré de sensibilité des abeilles face aux effets indésirables des pesticides varie selon les conditions environnementales. Les chercheurs ont observé qu’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes perturbe leur capacité à se repérer, en particulier dans un paysage complexe et sous des conditions météorologiques défavorables. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications le 10 juillet 2014.
Face au phénomène préoccupant de déclin des abeilles, chercheurs, ingénieurs, filières agricoles et apicoles se mobilisent ensemble pour tenter d’en expliquer les causes.
En 2012, une étude menée par l’Inra en collaboration avec l’ACTA, le CNRS et l’ITSAP-Institut de l’abeille avait déjà montré que de faibles doses d’un insecticide pouvaient perturber l’orientation des abeilles et provoquer leur disparition pendant l’activité de butinage (1). Dans la continuité de cette étude, les scientifiques ont analysé ce phénomène de désorientation en fonction de paramètres environnementaux, comme les conditions météorologiques et la complexité du paysage.
Les conditions météorologiques et la complexité du paysage comme facteurs de variation
Les chercheurs ont collé des micropuces électroniques RFID (Radio Frequency Identification) sur le thorax de près d’un millier d’abeilles. Ces micropuces ont permis de contrôler individuellement leur retour à la ruche grâce à une série de capteurs électroniques. Les butineuses ont été préalablement exposées ou non en laboratoire à des doses non létales de
thiaméthoxame, principe actif d’un pesticide utilisé en agriculture. Elles ont ensuite été relâchées à 1 km de leur ruche (2) dans des paysages de structure différente (paysage bocager ou plaine en agriculture intensive) et dans des conditions météorologiques plus ou moins favorables (ciel dégagé et températures supérieures à 28°c ou ciel nuageux et températures
entre 15 et 20°c).
Les résultats montrent une influence notable des conditions météorologiques et de la complexité paysagère sur la sensibilité des abeilles à l’insecticide. Les scientifiques ont pu établir que le pesticide induit un risque moyen de non-retour à la ruche augmentant de 3 % à 26 % lorsque les conditions météorologiques deviennent défavorables. Ce taux de disparition lié à l’insecticide est en outre modulé par l’environnement paysager, atteignant 35 % (une abeille sur trois) dans les paysages bocagers contre 18 % dans les paysages ouverts, de structure moins complexe.
La sensibilité des abeilles à l’insecticide n’est donc pas identique partout et par tous les temps, mais varie selon les conditions environnementales. Les chercheurs ont ainsi montré que, selon le contexte paysager ou météorologique, l’effet du pesticide peut être sous-estimé ou surestimé d’un facteur six.
Le bocage se transforme en labyrinthe
Pour rentrer à la ruche, les abeilles s’orientent grâce à la position du soleil et aux repères visuels (arbres, haies, lisières forestières) qu’elles ont mémorisés lors de leurs expériences de butinage passées. Dans des conditions météorologiques défavorables, les abeilles utilisent davantage les repères visuels du paysage pour s’orienter, mais l’étude montre qu’elles semblent ne plus y parvenir si elles ont été exposées à l’insecticide.
L’exposition à de faibles doses d’insecticide semble ainsi altérer leur capacité à faire appel à leur mémoire spatiale. Un réseau bocager dense devient alors un véritable labyrinthe pour ces abeilles, devenues moins capables de reconnaître leurs repères visuels. Il est possible que le taux de disparition accru par mauvais temps soit également relié à des contraintes physiologiques et énergétiques supplémentaires pour que les abeilles puissent voler à faible température.
Une nouvelle source de variabilité des effets d’un pesticide
Les scientifiques doivent maintenant explorer la complexité de ces interactions environnementales et toxicologiques. Ils avaient déjà mis en évidence depuis plusieurs années des effets d’interaction entre différents insecticides (effet « cocktail ») ou entre insecticides et agents pathogènes – l’effet des insecticides étant exacerbé chez des abeilles déjà affaiblies par des virus ou des parasites. Cette nouvelle étude révèle une interaction d’un type différent : entre pesticides et contexte environnemental. En caractérisant les conditions environnementales les plus à risque pour les abeilles, elle permet aux scientifiques de mieux évaluer les risques toxicologiques sur le terrain et d’améliorer la conception des réseaux de veille épidémiologique.
(1) http://presse.inra.fr/Ressources/Communiques-de-presse//abeilles-desorientees-par-faible-dose-insecticide
(2) Distance habituelle de butinage chez les abeilles domestiques
Références :
Mickaël Henry, Colette Bertrand, Violette Le Féon, Fabrice Requier, Jean-François Odoux, Pierrick, Aupinel, Vincent Bretagnolle, Axel Decourtye, Pesticide risk assessment in free-ranging bees is weather and landscape dependent, Nature Communications, paru le 10 juillet 2014.
(Source : CNRS – 10 Juillet 2014)