Il aura fallu attendre 44 ans pour que le crime contre la Nature entre enfin dans le droit français. L‘Assemblée nationale vient d’adopter ce mardi 15 mars dans le projet de loi sur la biodiversité un article introduisant la reconnaissance du préjudice écologique. Une grande avancée dans la loi sur la biodiversité obtenue à l’arrachée car le gouvernement avait introduit un amendement sous la pression des lobbies industriels et du Medef qui estimait que ce texte fragiliserait les entreprises. L’Assemblée nationale reconnait le préjudice écologique, un juste retour du principe de pollueur-payeur. Les difficultés de l’accouchement de ce texte démontre combien, quelques mois après les promesses vibrantes de la COP21, la fragilité et la difficulté qu’il y a à faire adopter des mesures qui vont dans le sens de la protection de l’environnement et de la Nature.
Dans le cadre de l’examen en seconde lecture du projet de loi biodiversité, les députés ont voté mardi soir (54 voix pour – 11 voix contre) pour l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. Cette mesure impose une remise en état du milieu dégradé par celui qui en est jugé responsable. Elle a été adoptée par le biais de trois amendements identiques des socialistes, écologistes et radicaux de gauche. Par rapport à la version votée au Sénat en première lecture, ces amendements ouvrent un champ plus large pour des actions en justice.
Si le préjudice écologique a été reconnu par le juge au travers de plus de 200 décisions de justice, nous ne sommes pas à l’abri d’une fluctuation de la jurisprudence. Il est essentiel de sécuriser la reconnaissance du préjudice écologique en l’introduisant dans le code civil tout en veillant à ce que les modalités de cette inscription ne soient pas en deçà de ce que permet la jurisprudence actuelle, née de la catastrophe due au naufrage du pétrolier Erika de Total en 1999 au large de la Bretagne, définissant le « préjudice écologique » comme « consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ».
Cet amendement instaure un régime de réparation du préjudice écologique défini comme né d’« une atteinte non négligeable aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Les actions en réparation seraient ouvertes « à l’État, au ministère public, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi qu’à toute personne ayant qualité et intérêt à agir ».
La réparation du préjudice écologique s’effectue « par priorité en nature » :« En cas d’impossibilité, de droit ou de fait, ou d’insuffisance des mesures de réparation, des dommages et intérêts pourraient être versés au demandeur qui les affecterait prioritairement à la réparation de l’environnement, et subsidiairement à la protection de l’environnement ».
Par ailleurs, le délai de prescription de l’action en responsabilité passe de dix à trente ans, à compter du jour où « le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage environnemental », sans pouvoir dépasser cinquante ans « à compter du fait générateur ».
Selon Pascal Canfin, directeur général du WWF France, « Les députés viennent de consacrer le préjudice écologique dans la loi. C’est un progrès important qui donne à la France un rôle de leader. Les lobbies qui avaient voulu vider la loi de sa substance il y a dix jours ont perdu.
L’amendement, vite retiré, que le gouvernement a déposé la semaine dernière vidait le préjudice écologique d’une grande partie de sa substance et aurait constitué une régression. L’amendement qui a été voté ce soir est un progrès : les dispositions adoptées permettent une meilleure prise en compte du préjudice écologique et donnent un cadre juridique aux entreprises, ce qui est toujours plus sécurisant pour elles qu’une jurisprudence fluctuante.
Avec une telle reconnaissance du préjudice écologique dans son code civil, la France serait en pointe au niveau mondial. Dans le cadre du travail étroit que nous menons avec des juristes spécialisés, nous allons suivre de près les travaux au Sénat pour que cette disposition demeure telle quelle dans la loi sur la biodiversité. Ce serait une grande avancée dont notre pays pourrait s’enorgueillir. »
Selon Isabelle Laudon, responsable des politiques publiques au WWF France, « L’article adopté par l’Assemblée nationale, sur proposition de la rapporteure Geneviève Gaillard et avec le soutien du gouvernement, est une avancée car il consacre la responsabilité civile sans faute en cas de dommage à l’environnement et ouvre l’action en justice à davantage de personnes.
Il permet une meilleure prise en compte des caractéristiques du préjudice écologique en affectant les dommages et intérêts à la réparation de la nature endommagée ou en allongeant les délais de prescription de 10 à 30 ans. L’entrée du préjudice écologique dans le code civil se fait par la grande porte et donnera une bien meilleure lisibilité au juge. »
Voilà donc qu’au terme de plus de dix années d’avancées jurisprudentielles et de quatre années de débats entre spécialistes, les députés donnent une réalité juridique au principe du « pollueur-payeur », qui fut reconnu pour la première fois en 1972, lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement et le développement, il y a maintenant déjà 44 ans….
* La loi sur la biodiversité, après son passage à l’Assemblée nationale en mars 2015 puis au Sénat en janvier, revient maintenant à l’Assemblée. Le texte a été discuté en Commission Développement durable (du 1er au 9 mars) et est maintenant en discussion en plénière (15-17 mars).
Photo : Barbara Pompili, secrétaire d’Etat à la biodiversité
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