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Disparition des récifs de coraux : est-il possible de réparer ce que l’homme est en train de détruire ?

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C’est une course contre la montre qui se joue en ce moment en Australie, comme dans d’autres endroits du monde. Les récifs coraliens, abris de la biodiversité marine disparaissent à vue d’œil. Si les températures de la planète continuent d’augmenter jusqu’à la barre des 2 °C, c’est la moitié des coraux de la planète qui auront disparu. Est-il possible d’enrayer cette horloge qui semble inéluctable ? Des scientifiques de toutes obédiences s’affairent pour trouver de nouvelles idées – croisements, hybridation, élevage, manipulations génétiques – pour sauver les coraux. Y parviendront-ils ou déclencheront-ils des effets encore moins maîtrisables ?
 
Aller de l’avant et aller vite. Cet impératif est devenu le mantra de toute la communauté des chercheurs sur les coraux du monde entier. Les coraux disparaissent du fait du réchauffement climatique et de l’acidification des océans, et c’est tout un pan de la biodiversité marine qui s’effondre. Si les récifs coralliens ne recouvrent aujourd’hui que 0.2 % de la surface des océans, ils abritent 30 % des espèces végétales et animales marines.
 

Course contre la montre

En Australie, la Grande barrière de corail, la plus grande du monde, a perdu la moitié de ses coraux à cause des vagues de chaleur qui se sont succédé ces dernières années. Une hécatombe face à laquelle les chercheurs de toutes disciplines sont mobilisés dans cette course contre la montre. Le gouvernement australien a ainsi injecté 25 millions de dollars pour construire un simulateur marin, le National Sea Simulator, dédié au sauvetage des coraux. Ici, dans des dizaines de bassins d’eau de mer où les conditions peuvent être parfaitement adaptées à celles de l’océan d’aujourd’hui ou de demain, les scientifiques s’affairent autour de créatures en danger. C’est un peu comme s’il s’agissait de cultiver de nouvelles variétés d’arbres afin de reconstituer leur milieu naturel.
 
Les techniques que les scientifiques utilisent vont des plus anciennes comme la domestication des espèces jusqu’aux plus modernes comme les manipulations génétiques. L’ambiance ressemble à une pépinière de startups où les échecs des uns enrichissent l’expérience des autres. Le mot d’ordre est de tester le plus rapidement possible les idées, sans passer par les circuits souvent alambiqués de la méthode scientifique habituelle. Car il y a urgence. Au cours de la dernière décennie, les vagues de chaleur ont transformé de vastes étendues de récif, d’oasis multicolores en déserts recouverts d’algues.
 
 
Les coraux bâtisseurs de récifs – un couple mutualiste constitué d’un animal qui construit un squelette dur, d’une part, et d’une plante monocellulaire qui vit dans ses cellules, d’autre part, montrent peu de signes d’adaptation au changement rapide. Normalement, les polypes coralliens – les organismes coralliens individuels, qui ressemblent à une anémone de mer de la taille d’une tête d’épingle – vivent en harmonie avec leurs partenaires algues, ce qui permet de nourrir les polypes et de donner aux coraux leurs couleurs vives. Mais pendant les vagues de chaleur, la relation se dégrade. Les polypes stressés et surchauffés perçoivent les algues comme un irritant et les éjectent comme des squatters indésirables. Le corail est blanchi, blanc comme un os et affamé. Si la chaleur persiste, le corail ne prendra plus de nouvelles algues et peut mourir. Si les températures mondiales augmentent de 2 °C, les récifs tels que nous les connaissons auront pratiquement disparu dans le monde.
 
Comme si le danger de l’augmentation des températures n’était pas suffisant, l’acidification des océans est une menace supplémentaire. L’absorption de dioxyde de carbone par la mer abaisse le pH de l’eau de mer, ce qui la rend corrosive pour les coquilles de carbonate de calcium que les coraux et de nombreuses autres créatures marines construisent. Un poison mortel.
 

Une symbiose longtemps restée mystérieuse

Pour enrayer cette chronique d’une destruction annoncée, il faut mieux comprendre la relation entre le corail et les algues hôtes. Une relation complexe et longtemps mal comprise. Il y a à peine 25 ans, par exemple, les chercheurs pensaient que le corail abritait une seule variété d’algues symbiotiques. Maintenant, ils en ont identifié des centaines. Et ils commencent tout juste à examiner le rôle joué par le microbiome du corail, la ménagerie de bactéries qui habite un polype corallien.
 
Mais la complexité offre également de multiples voies aux scientifiques qui tentent de créer un lien moins fragile entre corail et algues. Il existe aujourd’hui quatre grands axes de recherche : le premier consiste à croiser des coraux pour créer des variétés tolérantes à la chaleur, soit en mélangeant des souches au sein d’une espèce, soit en croisant deux espèces qui ne se croisent pas normalement. La seconde recourt à des techniques de génie génétique pour modifier le corail ou les algues. Un troisième essaie de faire évoluer rapidement des souches de coraux et d’algues plus résistantes en les élevant depuis des générations dans des conditions de laboratoire surchauffées. Une quatrième approche, la plus récente, cherche à manipuler le microbiome du corail.
 

Donner au corail un avantage dans la course de l’évolution

L’université de Hawaï est à l’avant -poste de cette guerre pour sauver les coraux. Ses chercheurs ont imaginé donner aux récifs coralliens un avantage artificiel dans la course évolutive contre le changement climatique. Ils essayent ainsi de reproduire du corail capable de supporter des températures très élevées. Une idée qui ne faisait pas l’unanimité, il y a encore peu. Les méthodes de conservation des coraux ont longtemps été focalisées sur la minimisation des attaques causées aux récifs telles que la surpêche, la pollution marine, le tourisme, etc. Mais, si ces initiatives sont nécessaires, elles sont insuffisantes pour compenser la destruction massive à laquelle on assiste. C’est la raison pour laquelle d’autres pistes ont été explorées. Et notamment celles consistant à « assister » l’évolution en optimisant les modalités de reproduction des coraux, en quelque sorte, en les « domestiquant ». Cette nouvelle démarche dont la paternité revient à deux chercheurs, Madeleine Van Oppen et Ruth Gates (décédée à l’âge de 56 ans en 2018), a fait l’objet, en 2015, d’un article dans les Actes de l’Académie nationale des sciences.
 
Ruth Gates dans le documentaire de Netflix Chasing Coral
 
La difficulté est que les expériences sur la reproduction des coraux doivent se dérouler dans un créneau de temps extraordinairement mince. En effet, la période de reproduction se déroule pendant un temps très court, et seulement une fois tous les douze mois. A ce moment, les œufs libérés par les coraux doivent être ensemencés en quelques heures. Si cette fenêtre de tir est infructueuse, il faut repartir pour un an d’attente. De plus, les coraux sont des êtres très timides dans leur phase de reproduction. Le moindre changement de température de l’eau, la moindre lumière crue, leur fait arrêter le processus de fertilisation.
Quand la chance est de leur côté, les scientifiques parviennent à récupérer les œufs et le sperme des coraux. Leur travail consistera alors à établir des méthodes d’hybridation pour repérer les individus qui tolèrent plus que les autres une eau plus chaude et plus acide. Ces manipulations sont opérées dans les bassins du National Sea Simulator.
 
La sélection de nouveaux hybrides coralliens n’est que l’une des stratégies suivies par les chercheurs. Dans certains laboratoires, les scientifiques conservent des échantillons d’algues symbiotiques pour les exposer à des températures de plus en plus chaudes afin de sélectionner l’espèce la plus résistante.
Le simulateur abrite aussi des réservoirs dans lesquels les coraux sont exposés à la température de l’eau et au niveau de dioxyde de carbone que l’on s’attend à avoir dans les prochaines décennies. L’idée est ici aussi de sélectionner les souches les plus résistantes à la chaleur.
 

Le génie génétique à la rescousse

Cette effervescence scientifique a attiré d’autres chercheurs qui eux, travaillent directement au niveau des gènes des coraux. De façon inévitable, des techniques comme CRISPR entrent dans la boîte à outils des chercheurs. Ceux-ci, comme Phil Cleves de l’Université de Stanford, jurent ne pas vouloir créer de nouveaux types de coraux. Il considère plutôt CRISPR comme un outil permettant de déchiffrer le fonctionnement interne de l’ADN du corail, en neutralisant ou en désactivant les gènes, l’un après l’autre. Il espère de la sorte identifier des gènes qui pourraient servir de « commutateurs maîtres », contrôlant la façon dont les coraux gèrent la chaleur et le stress. Autant de connaissances qui pourraient aider les chercheurs à identifier rapidement les coraux sauvages ou en laboratoire déjà adaptés à la chaleur.  La quête du gène de la résilience des coraux est devenue une priorité.
 
Toutefois, les scientifiques se déclarent très circonspects sur ces techniques de manipulations génétiques. Car il ne s’agit pas moins que d’introduire de nouvelles espèces modifiées dans l’environnement. Selon Warren Cornwall dans un article publié par Science, malgré ces réserves, les expérimentations se multiplient. En 2018, une équipe de scientifiques du Royaume-Uni et d’Arabie saoudite a annoncé avoir modifié avec succès le génome des chloroplastes à l’intérieur d’algues symbiotiques, soulignant que cette technique pourrait aider à révéler les mécanismes à l’origine du blanchissement des coraux. Et Madeleine Van Oppen a récemment reçu une subvention de 2 millions de dollars du gouvernement australien pour approfondir le microbiome du corail et explorer le potentiel d’ingénierie génétique des microbes pour aider le corail à devenir plus résistant. Son équipe étudie également les propriétés de différents microbes en tant que première étape dans la création de cocktails bactériens susceptibles d’aider leurs coraux hôtes en absorbant les molécules libérées lors du stress thermique.
 
D’autres chercheurs empruntent des voies très différentes. Leur pari est que la nature pourrait offrir des solutions plus rapidement et avec plus de sécurité que l’ingénierie génétique. C’est le cas de Steve Palumbi de l’université de Stanford, qui travaille sur les récifs du Pacifique sud. Il a découvert que les colonies d’une seule espèce de corail peuvent présenter différents niveaux de tolérance à la chaleur, en fonction de leur emplacement sur le récif. Découvrir ce qui rend les coraux plus résistants à la chaleur pourrait guider les efforts de propagation des souches les plus résistantes. « Il est plus facile de trouver des coraux résistant au climat que de les fabriquer », affirme-t-il.
 
Toutefois, et la disparition des coraux est là pour souligner l’extrême fragilité des milieux marins, les chercheurs, pour la plupart d’entre eux, avancent avec une immense prudence. Ils savent par exemple que la sélection de coraux résistant à la chaleur risque de créer des variétés incapables de survivre à la moindre baisse des températures. Ils connaissent aussi l’ampleur de la tâche à laquelle ils s’affrontent. Un récif corallien peut être composé de centaines de millions d’individus, suffisamment pour submerger l’impact génétique des nouvelles espèces de coraux que l’on voudra implanter. Enfin, quid de la création d’espèces hyper-résistantes, des sortes de « supercoraux » ? Ne risquent-ils pas de devenir de dangereux prédateurs pour la faune et la flore avoisinante ou détruire le délicat équilibre des écosystèmes coralliens ?
 
C’est la faute de l’humanité si les coraux meurent. Il appartient à l’humanité de tout faire pour aider les coraux à survivre. Mais pas à n’importe quel prix.
 
 
Source : Science
 

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